Cette reconnaissance n’ouvre la voie à aucune « demande légale d’indemnisation » déclare le chef de la diplomatie allemande
Ce fut le premier génocide du vingtième siècle, il est enfin pris en compte.
Le 28 mai l’Allemagne a pour la première fois reconnu, avoir commis un génocide contre les populations des Herero et des Nama en Namibie, pendant l’ère coloniale. C’est le résultat d’une mobilisation déterminée des descendant-es des victimes qui combattent dans ce sens depuis des dizaines d’années.
« Nous qualifierons maintenant officiellement ces événements pour ce qu’ils sont du point de vue d’aujourd’hui : un génocide », a déclaré le ministre des affaires étrangères allemand, Heiko Maas, dans un communiqué.
« A la lumière de la responsabilité historique et morale de l’Allemagne, nous allons demander pardon à la Namibie et aux descendants des victimes » pour les « atrocités » commises, a poursuivi le ministre. Dans un « geste de reconnaissance des immenses souffrances infligées aux victimes », le pays européen va soutenir la « reconstruction et le développement » en Namibie par un programme financier de 1,1 milliard d’euros, a-t-il ajouté.
« L’acceptation de la part de l’Allemagne qu’un génocide a été commis est un premier pas dans la bonne direction », a réagi Alfredo Hengari, le porte-parole du président namibien, Hage Geingob.
A la fin du 19e siècle, les envahisseurs allemands s’emparent des terres et du bétail des Nama qui menaient une vie pastorale.
Les populations Herero et Nama vivaient dans la partie Sud-ouest du continent africain, devenu depuis la Namibie.
Dans le cadre de l’expansion de la colonisation allemande menée par Bismarck, alors chancelier de l’empereur Guillaume Ier, l’Allemagne s’octroie ce territoire en 1884 et le colonise.
Une extermination pour créer « un territoire blanc »
Vingt ans plus tard, en 1904, des guerriers Herero, soutenus par leurs voisins Nama se soulèvent et tuent des colons allemands.
En juin 1904, le général Lothar Von Trotha, nommé commandant en chef des troupes de la colonie allemande du Sud-ouest africain, débarque dans la possession du Reich avec pour mission d’en finir avec la révolte des Herero et des Nama.
Von Trotha est déjà connu pour ses méthodes de répression coloniale en Chine et dans l’Est africain allemand (Tanzanie, Burundi et Rwanda).
La guerre qu’il va mener, sur ordre de l’empereur Guillaume II, est féroce. Il planifie l’extermination des deux peuples en vue de constituer un territoire « blanc ».
Extermination de la rébellion
Les tribus Hereros représentent aujourd’hui environ 7% de la population namibienne contre 40% au début du XXe siècle.
Au total, au moins 60 000 Herero et environ 10 000 Nama perdirent la vie entre 1904 et 1908. Les forces coloniales allemandes avaient employé des techniques génocidaires : massacres de masse, exil dans le désert, où des milliers d’hommes, femmes et enfants sont morts de soif, et camps de concentration, comme celui tristement célèbre de Shark Island.
Des ossements, en particulier les crânes de victimes, furent envoyés en Allemagne pour des expériences scientifiques à caractère racial. Le médecin Eugen Fischer, qui a officié à Shark Island et dont les écrits ont influencé Adolf Hitler, cherchait à prouver la « supériorité de la race blanche ».
Réparation limitée
Le chef de la diplomatie allemande précise qu’il ne s’agit pas de dédommagements sur une base juridique, et que cette reconnaissance n’ouvre la voie à aucune « demande légale d’indemnisation ». Cette somme sera versée sur une période de trente ans, selon des sources proches des négociations, et doit profiter en priorité aux descendants de ces deux populations.
« On ne peut pas tirer un trait sur le passé. La reconnaissance de la faute et la demande de pardon sont toutefois un pas important pour surmonter le passé et construire ensemble l’avenir », a estimé le chef de la diplomatie allemande.
Dans une volonté de réconciliation, l’Allemagne avait remis en 2019 à la Namibie des ossements de membres des tribus Herero et Nama exterminés, et la secrétaire d’Etat aux affaires étrangères, Michelle Müntefering, avait alors demandé « pardon du fond du cœur ».
Un geste jugé nettement insuffisant par leurs descendants et les autorités namibiennes, qui exigeaient des excuses officielles et des réparations. L’Allemagne s’y était à plusieurs reprises opposée, invoquant les millions d’euros d’aide au développement versés à la Namibie depuis son indépendance, en 1990.
Si le travail de mémoire en Allemagne sur la période nazie est généralement jugé exemplaire, celui sur la période coloniale en Afrique, de la deuxième moitié du XIXe siècle et du début du XXe, a été longtemps délaissé.
La reconnaissance du premier génocide du vingtième siècle représente un pas en avant et une victoire. En Allemagne également, le Parlement (Bundestag) avait reconnu le génocide arménien en mai 2016, s’opposant ainsi au négationnisme de l’État turc qui fait pression afin d’empêcher cette reconnaissance. D’ailleurs Angela Merkel considère que la résolution du Parlement n’est pas contraignante et n’a donc pas franchi le pas formel de cette reconnaissance.