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Macron et sa détestation des chômeurs et des pauvres. Pourquoi ? | Debout !  | Jean Gadrey | Les blogs d'Alternatives Économiques

LE BLOG DEJEAN GADREY

Pourquoi Emmanuel Macron et l’oligarchie au pouvoir expriment-ils tant de mépris voire de hargne vis-à-vis de millions de gens en grande difficulté ? Pourquoi les désigner comme responsables de leur chômage et de leur pauvreté ? Quel bénéfice les élites néolibérales attendent-elles de ces accusations répétitives blessantes (voir le billet précédent) ?

Il existe différentes explications complémentaires. Mais avant d’y venir, il faut faire un détour vers le parcours qui a conduit Macron à devenir « le Président des riches ».

MACRON COMME FONDÉ DE POUVOIR DES MILIEUX D’AFFAIRES

C’est sans doute l’explication la plus fréquente de la politique du Président comme de ses propos anti-pauvres. Elle est juste, mais elle ne suffit pas. On la trouve fort bien démontrée par les sociologues Pinçon-Charlot dans leur dernier livre, Le Président des ultra-riches (La Découverte). On doit à ces derniers cette formule choc qui peut sembler simpliste, mais leur analyse d’ensemble la justifie : « C’est Macron le capitaliste en chef qui mène la guerre des classes » (interview dans Libération).

COMMENT EST-IL DEVENU FONDÉ DE POUVOIR DU CAPITALISME FINANCIER ?

D’ABORD UN MILIEU ET DES RÉSEAUX

À nouveau, un bon résumé est fourni par les Pinçon-Charlot, qui ne sont pas les seuls à emprunter cette voie sociologique « bourdieusienne » :

« … Le storytelling médiatico-politique qui a entouré son élection a voulu nous faire croire à un ovni politique, sans passif. Mais notre enquête, qui croise le contenu de sa politique sociale et économique avec sa trajectoire socio-biographique et les réseaux oligarchiques, démontre qu’il est bien un enfant du sérail, adoubé par les puissants et soutenu par de généreux donateurs. A sa sortie de l’ENA, il intègre l’inspection des finances sous la direction de Jean-Pierre Jouyet, une des figures centrales du maillage oligarchique français.

Très vite, Macron participe à la fameuse « commission Attali » (pour la libération, en fait la libéralisation, de la croissance) sous Sarkozy, où il rencontre les plus grands patrons. Il occupe ensuite un poste de directeur à la banque Rothschild et devient en même temps le meneur du volet économique de la campagne de François Hollande pour la présidentielle. Entre la création du CICE et le pacte de responsabilité, il imprègne ensuite le mandat socialiste de la politique de l’offre selon laquelle plus on donne aux entreprises, plus elles investissent dans l’appareil productif. Enfin, il se sert de son poste de ministre de l’Economie pour concourir à la mandature suprême. »

Conscient que ces critiques peuvent faire mouche, Macron s’en défend comme il peut. Récemment, dans la Drôme, il a servi une gentille histoire déjà racontée pendant la campagne présidentielle : « Je ne suis pas un héritier, je suis né à Amiens, il n'y a personne dans ma famille qui était banquier, politicien ou énarque. Ce que j'ai, je le dois à une famille qui m'a appris le sens de l'effort. »

Ignorance de ce que sont les « héritiers » et de la diversité des « capitaux » (économique, social, culturel) dont ils héritent et qu’ils font fructifier dans les réseaux de la méritocratie française. Il n’y a pas besoin d’être fils de banquier, de milliardaire ou d’énarque pour suivre un cursus scolaire élitaire et pour qu’ensuite l’oligarchie vous repère et vous « assiste » afin de faire de vous un fondé de pouvoir dans la sphère politique. Il arrive que des milliardaires passent les rênes de leurs affaires à leurs rejetons, mais ils ne sont pas assez fous pour leur réserver leurs recrutements politiques, là où on ne gère pas les milliards de papa mais où on prend les décisions politiques favorables aux intérêts de papa et de ses semblables. Ils pratiquent ce que Juan Branco (voir plus loin) décrit fort bien : du recrutement direct dans les formations des « élites ». Et si besoin, comme Xavier Niel, ils font eux-mêmes ce boulot de recruteurs (autour de 20’ dans la vidéo de Juan Branco).

Pour sa part, Macron est issu d’une famille de la bourgeoisie aisée, comme fils d’un professeur de neurologie au CHU d'Amiens et d’une mère médecin conseil à la Sécurité sociale, le tout relayé et amplifié par la famille Trogneux, dont les alliances ont été déterminantes pour accompagner son ascension (voir Juan Branco). Pour une réflexion plus complète sur la méritocratie comme idéologie de justification des privilèges, voir Marie Duru Bellat « Et si la méritocratie corrompait nos élites ? »

PIEDS ET POINGS LIÉS VIS-À-VIS DES FINANCEURS DE SA CAMPAGNE ?

S’ajoutent à ces parcours allant d’un milieu social bourgeois jusqu’au sommet de l’État le « contrat » non écrit mais terriblement fort qui le lie à ceux, majoritairement des riches ou très riches, qui ont financé sa campagne. C’est l’argument majeur de l’économiste Julia Cagé. Voir cet entretien aux Inrocks. Explication importante mais partielle. Oui, Macron est l’obligé d’une petite minorité de très riches, mais pas principalement comme financeurs de sa campagne. D’abord parce que, bien avant cette campagne, cette minorité l’a sélectionné, fabriqué, a organisé son ascension et sa visibilité médiatique, ce qui me conduit au point suivant.

POUR FABRIQUER UN PRÉSIDENT DES RICHES IDÉAL, FABRIQUER AUSSI UNE IMAGE IDÉALE

Sur ce point, Juan Branco développe dans son pamphlet « Crépuscule » (mais sa vidéo sur là-bas si j’y suis est meilleure) des arguments factuels nombreux prouvant que des milliardaires propriétaires de grands médias, aux premiers rangs desquels Xavier Niel et Arnaud Lagardère, ont fabriqué – moyennant les services de leurs communicant.e.s - l’image de Macron comme Président idéal, destiné par ces milliardaires à servir leurs propres intérêts. Voir aussi cet article « comment les médias ont fabriqué le candidat Macron ».

RETOUR À LA QUESTION : POURQUOI CETTE HARGNE ANTI-CHÔMEURS ET ANTI-PAUVRES ?

Les réponses résultent de ce qui précède. Macron est non seulement le Président des riches et du MEDEF (au sens où il défend d’abord les intérêts de ces derniers), mais aussi le Président fabriqué par les ultra-riches, lesquels considèrent qu’ils l’ont formé et embauché contractuellement pour les favoriser et qu’ils le lâcheront s’il ne remplit pas son contrat. Alors on comprend toutes ses réformes. Réformes fiscales certes (ISF, « flat tax », CSG, CICE…), mais pas seulement : casse du Code du travail, retraites, services publics sacrifiés, austérité salariale, privatisations scandaleuses, accords de « libre-échange », etc. On comprend aussi pourquoi il ne peut pas reculer devant un puissant mouvement populaire sans se trouver privé de ses seuls vrais soutiens. Il est condamné à manœuvrer, mentir et louvoyer pour maintenir « son cap », ou à démissionner, scénario pour l’instant peu probable. Mais qui sait…

S’agissant des chômeurs, des précaires et des plus pauvres, ce qu’il dit doit d’abord lui servir à justifier publiquement ce qu’il fait : réduire les dépenses publiques en leur direction, renforcer les contrôles, radier, etc. Il ne peut évidemment pas dire, ce qui serait la stricte vérité, « je me fiche des conséquences de ma politique sur la vie de millions de gens pourvu que les actionnaires aient leurs gros dividendes et que les grandes entreprises puissent exploiter librement une main-d’œuvre dépourvue de protections ». Il dit : je fais tout cela pour les responsabiliser, leur sort est entre leurs mains, et s’ils ne traversent pas la rue pour trouver un job, alors je n’y suis pour rien.

Ces discours culpabilisateurs sont en partie destinés aux chômeurs et précaires, qu’il faut humilier, et stigmatiser, mais plus encore à tous les autres, avec l’espoir de les convaincre que les plus mal lotis n’ont pas fait ce qu’il faut et qu’il est contreproductif de les « assister », car ce « pognon de dingue » ne fait qu’encourager la fainéantise. C’est la vieille recette du « diviser pour régner » : les chômeurs comme fainéants, les précaires et bas salaires qui n’ont qu’à faire des heures sup, et les autres à qui l’on désigne les précédents comme boucs émissaires pour faire oublier l’ISF, le CICE et bien d’autres mesures qui les affectent. Dans une certaine mesure, c’est efficace car la « pauvrophobie », un mot inventé par ATD Quart Monde, est constituée de préjugés de classe pouvant se diffuser bien au-delà des riches ou des (vrais) privilégiés. Cette efficacité peut toutefois s’effriter, et c’est peut-être ce qui a commencé.

LA VIOLENCE DE LA PRÉCARITÉ REDOUBLÉE PAR LA VIOLENCE DE LA CULPABILISATION DES VICTIMES

J’ajoute un argument sur la précarité comme condition de la domination de l’oligarchie actuelle en reproduisant une citation de Pierre Bourdieu (1998) : « Le fondement ultime de tout cet ordre économique placé sous le signe de la liberté, est en effet, la violence structurale du chômage, de la précarité et de la menace du licenciement qu’elle implique… l’existence de l’armée de réserve des chômeurs. ».

En d’autres termes, le contrat implicite de Macron, comme président des riches et du MEDEF, inclut qu’il fasse tout pour maintenir la violente coercition sociale constituée par la précarité de l’emploi (il y a 25 à 30 % de précaires et chômeurs dans la population active). Mais pour cela son discours officiel doit emprunter la voie de la responsabilité individuelle et de la culpabilisation, afin de faire passer les victimes du système pour des victimes d’elles-mêmes. Une double violence de classe frappe ces personnes, et sur ce point les Pinçon-Charlot ont raison : c’est bien Macron le chef de guerre actuel.

ANNEXE : CROIT-IL VRAIMENT À CE QU’IL RACONTE SUR LES PAUVRES ET LES CHÔMEURS ?

Ce n’est pas une question très importante, mais elle se pose. Ma réponse : OUI, sur le fond, il y croit, même si dans certains cas il ment délibérément : il sait pertinemment que si les 5,6 millions de demandeurs d’emploi passaient leurs journées à « traverser la rue », moins de 2 % d’entre eux finiraient par trouver un emploi décent, voir mon précédent billet.

J’ai eu l’occasion de discuter du chômage et de la pauvreté dans le passé avec non pas des Présidents ou de conseillers des princes, mais avec des économistes néolibéraux, dont certains ont inspiré ou défendu les réformes du marché du travail et des prestations sociales. Ils croyaient dur comme fer à leur théorie des « incitations pour les chômeurs », et, pour certains de ces économistes, aux effets bénéfiques de la baisse du Smic ou de sa suppression. Or ils n’avaient pas tous des parcours de privilégiés à la Macron.

Dans le cas de Macron, il a absorbé ces idées depuis sa jeunesse et dans tous ses réseaux, et pour l’essentiel, je suis convaincu qu’il y croit. Enfin, sur un plan plus psychologique que sociologique, cette hypothèse de Guillaume Duval est crédible (voir sa page Facebook le 16 janvier) et elle rejoint bien l’analyse de Marie Duru-Bellat :

« Il est en réalité persuadé… que si lui-même a réussi si vite et est arrivé tout en haut de la hiérarchie de la société française, ce n'est pas parce qu'il est un fils de grand professeur de médecine élevé dans une école privée des beaux quartiers d'Amiens qui a épousé l'héritière d'une des grandes fortunes de la région, mais bien parce qu'il est plus intelligent et travailleur que la moyenne des Français. Et que si les autres étaient capables de faire autant d'efforts que lui pour bien apprendre leurs leçons à l'école et travailler 12 heures par jour ensuite, ils pourraient eux aussi devenir riches et prospères à défaut de devenir président de la République (faut pas déconner). »

Tag(s) : #Oligarchie
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