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Pentagone Papers #02 : Comment Mike Gravel a obtenu les documents secrets sur la guerre US du Vietnam

Si vous avez manqué la première partie, cliquez ICI

Ceci est la deuxième partie de la série en plusieurs épisodes de Consortium News sur le 50e anniversaire du jour où le sénateur Mike Gravel a obtenu les Pentagon Papers des mains de Daniel Ellsberg et les conséquences auxquelles Gravel a dû faire face pour avoir divulgué ces documents top secrets au Congrès, quelques heures seulement avant que la Cour suprême ne se prononce sur l’affaire le 30 juin 1971.

Dans la première partie, Gravel a apporté les documents au Capitole pour les rendre publics en les intégrant aux archives du Congrès. À la suite d’une erreur de procédure, Gravel a été contraint de quitter la salle du Sénat pour se rendre au sous-sol du bâtiment afin de commencer à lire les documents lors d’une réunion de sous-commission. Dans cette partie, un intermédiaire transmet les documents d’Ellsberg à Gravel qui est submergé par l’émotion lorsqu’il commence à les lire.

Les extraits publiés ici sont tirés du livre A Political Odyssey [Une odyssée politique, NdT] du sénateur Mike Gravel et de Joe Lauria (Seven Stories Press). Il s’agit de l’histoire de Gravel racontée et écrite par Lauria.

Deuxième partie : obtenir les Pentagon Papers

L’étude de 7 100 pages, qui avait été récupérée et qui m’avait été remise secrètement, détaillait dans 4 100 pages d’analyse – il manquait jusqu’à 3 000 pages de documents justificatifs – comment le gouvernement fédéral avait constamment menti au peuple américain concernant notre engagement militaire au Vietnam.

Ils révélaient un portrait détaillé d’un leadership arrogant, autoritaire et dissimulateur, couvrant les administrations démocrates et républicaines de Harry Truman à Lyndon Johnson, conduisant progressivement et de manière irresponsable la nation dans une guerre qu’ils savaient ne pas pouvoir gagner.

Parmi les nombreuses tromperies révélées au cours de trois décennies, les Pentagon Papers [nous les indiquerons sous le nom de Papers, NdT] montrent, par exemple, qu’en dépit de la promesse publique du président Lyndon B. Johnson de ne pas étendre la guerre, c’est pourtant exactement ce que secrétement il a fait, avec des raids de bombardement sur le Laos et le Nord-Vietnam ainsi qu’en faisant intervenir des unités de combat de la Marine américaine, bien avant que le public ne le découvre.

Les Papers avaient été préparés en tant qu’étude secrète à partir de juin 1967 sous la direction de Robert McNamara, alors secrétaire à la Défense. Il devait s’agir d’un document interne indiquant aux membres du gouvernement eux-mêmes, mais à personne d’autre, la vérité sur ce que les administrations successives avaient réellement fait au Vietnam depuis 1940. L’étude a été classée « top secret-sensible » afin de couvrir largement les ratés et les motifs cachés.

McNamara a fait classer les copies des quarante-sept volumes dans deux tiroirs fermés à double tour pour éviter toute fuite. Le vendredi 18 juin, onze jours avant mon entrée au Capitole avec les sacoches de voyage, je me faisais masser dans le gymnase du Sénat. C’était interdit à tous sauf aux initiés, c’est-à-dire aux sénateurs. Même le personnel y était interdit, mais mon collaborateur Joe Rothstein essayait d’entrer. Son message était si urgent qu’il a soudoyé le gars à la porte. On lui a ouvert et il s’est glissé à l’intérieur.

On me massait le dos, le visage tourné sur le côté. J’ai ouvert les yeux et j’ai vu la tronche de Joe qui me regardait. Il s’est penché sur la table et m’a chuchoté à l’oreille : « Quelqu’un vient d’appeler et il veut te donner les Pentagon Papers. Et il va rappeler. »

« Attrapons le fils de pute »

 

Cinq jours plus tôt, le dimanche 13 juin, le New York Times avait publié le premier volet des Papers divulgués. Le président Richard Nixon profitait encore des retombées du mariage de sa fille Tricia au Rose Garden, la veille, lorsque son exemplaire du New York Times est arrivé. Bien que l’étude se soit arrêtée à l’administration Johnson et aurait donc pu être considérée comme une aubaine pour les Républicains, Nixon était loin d’être satisfait.

La guerre à laquelle il avait promis de mettre fin était non seulement toujours en cours, mais avait été secrétement élargie au Cambodge. Il craignait que d’autres secrets de sa politique de guerre ne soient divulgués. Ce dimanche-là, selon les enregistrements de la Maison Blanche, il a dit à Henry Kissinger, son conseiller à la sécurité nationale : « Il faut faire payer le prix fort aux responsables de ce genre de truc … Mettons le fils de pute [qui a divulgué] en prison. »

 

Le lendemain, le ministère de la Justice a demandé au Times d’arrêter la publication. Le journal a refusé. Aussi, le mardi 15 juin, après que Nixon ait tapé sur son bureau ovale en criant : « Bon sang, il va bien falloir que quelqu’un aille en prison ! », le procureur général John Mitchell, qui lui-m^meem se retrouverait en prison pour le Watergate, a obtenu une ordonnance d’interdiction temporaire contre le Times. La publication a cessé le jour suivant.

Juste avant que je me rende à mon, massage, deux jours plus tard, j’ai vu que le Washington Post du matin même avait publié son premier article. Mais le gouvernement les a immédiatement bloqués, eux aussi. Le Times et le Post sont allés jusqu’à la Cour suprême des États-Unis dans leur bataille. Personne ne savait si les Papers seraient à nouveau publiés un jour.

J’ai enfilé mes vêtements, je me suis précipité jusqu’à mon bureau et j’ai attendu que le téléphone sonne. Quand il a sonné, quelques minutes plus tard, je n’avais aucune idée de qui était au bout du fil. Puis la voix a dit : « Sénateur, pourriez-vous lire les papiers du Pentagone dans le cadre de votre campagne contre le service militaire ? »

J’ai répondu : « Oui, et nous devrions raccrocher tout de suite. »

Il me faudra un certain temps avant de savoir que c’est à Daniel Ellsberg, l’analyste de la RAND et consultant du Pentagone que je parlais. Il était membre du groupe de travail de McNamara, composé de 36 personnes, qui avait fait des recherches et rédigé les Papers. Ellsberg, dans un acte de patriotisme extrême, avait volé une copie de ces documents classifiés pour exposer les mensonges derrière les massacres américains en Asie du Sud-Est.

 

Hôtel Mayflower, Washington. (Difference engine/Wikipedia)

Ellsberg a proposé à plusieurs membres du Congrès de rendre les documents publics en les intégrant aux archives du Congrès. Plusieurs d’entre eux ont tout d’abord accepté, puis ont réfléchi aux conséquences et se sont rétractés. L’un d’entre eux était George McGovern, sénateur du Dakota du Sud, qui s’est laissé convaincre par ses principaux assistants que cela n’améliorerait pas ses chances de devenir président l’année suivante.

Chaque sénateur se rêve président, même si ce n’est que pour un moment éphémère. J’étais certain que si j’acceptais les Papers, je laissais passer ma chance d’accéder à la Maison Blanche. Le FBI était aux trousses d’Ellsberg. Dan est entré dans la clandestinité dans un motel de Cambridge, Massachusetts, après avoir vu à la télévision deux agents fédéraux frapper à la porte de sa maison le 17 juin, la veille du jour où il m’a appelé du motel.

Ellsberg s’est arrangé pour que Ben Bagdikian, un rédacteur du Washington Post, me fasse parvenir les Papers. Bagdikian s’était rendu à Boston par avion la veille de l’appel de Ellsberg et, en utilisant des noms de code au téléphone, ils se sont rencontrés dans la chambre de motel de Bagdikian. Pour attacher les volumineuses boîtes de documents, ils se sont servis de le corde qui servait de clôture du motel, et que les clients utilisaient pour leurs chiens. Bagdikian a réservé deux sièges sur le vol retour vers Washington. Il a placé les boîtes sur le deuxième siège.

Le matin de mon massage, le Post a commencé à publier ses extraits. Le journal a été ensuite bloqué, mais a il contesté la décision devant la cour de district de Washington le mardi 22 juin, jour où le Boston Globe a publié des extraits et a été immédiatement entrâvé dans sa publication. Chaque fois qu’un journal était suspendu, Ellsberg divulguait les documents à un autre.

Je commençais à m’impatienter. Cela faisait cinq jours que la voix anonyme au téléphone m’avait promis les documents. Tous les journaux avaient été empêchés de publier et je n’avais pas eu de nouvelles de la personne qui avait téléphoné, quelle qu’elle soit. et puis j’ai reçu un nouvel appel, ne réalisant toujours pas à qui diable je m’adressais.

« Bon sang, allez-vous vous servir des Pentagon Papers dans le cadre de votre campagne d’opposition ? » a demandé la voix.

« Bon sang, ai-je répondu, vous ne me les avez pas transmis. »

Il a répondu : « Eh bien, je vais le faire. »

Se cacher derrière une colonne

(Ingfbruno/Wikimedia Commons)

Le lendemain, Bagdikian et moi nous sommes finalement retrouvés au Capitole pour organiser le transfert. Nous étions en train d’essayer de nous dissimuler derrière un des piliers du Capitole quand Bob Dole, sénateur du Kansas est sorti. Nous n’avions pas de liens d’amitié, mais il m’a repéré et a eu envie de parler. Bagdikian est resté derrière la colonne de marbre.

Ben a dit plus tard qu’en tant que journaliste, transmettre des documents classifiés à un membre du Congrès l’avait mis mal à l’aise, mais c’était la condition qu’Ellsberg avait fixée pour que le Post puisse publier. Bagdikian souhaitait faire le transfert à la campagne. Mais je lui avais dit que ce serait moins suspect si nous nous trouvions dans l’endroit le plus évident de Washington.

Le jeudi 24 juin à minuit, j’ai garé ma voiture à côté de la sienne, sous la marquise de l’hôtel Mayflower, à quelques rues de la chambre de Nixon. J’ai ouvert mon coffre et il a ouvert le sien, j’ai saisi les boîtes et les ai mises dans ma voiture. J’ai démarré en trombe, j’ai garé la voiture dans la rue et je suis retourné à pieds à l’hôtel. Bagdikian et moi avons ensuite pris un verre, comme si rien ne s’était passé.

Plus tard, j’ai repris ma voiture pour rentrer chez moi et j’ai mis les cartons sous mon lit. J’ai dormi cette nuit-là au dessus de ce qui était peut-être la preuve la plus accablante contre le gouvernement américain jamais couchée sur le papier. Au cours des cinq jours suivants, mon équipe et moi-même avons à peine dormi, tandis que nous lisions les 4 000 pages et en retirant les mots « Top Secret-Sensible » en haut de chaque page. Il m’a fallu décider, en fonction du contexte, des noms à censurer.

Pendant ces cinq jours, Walter Cronkite a interviewé Ellsberg à la télévision depuis un endroit secret. Un mandat d’arrestation à l’encontre d’Ellsberg a été émis et la Cour suprême a entendu l’argument du Times et du Post contre la restriction préalable. La veille de mon entrée au Capitole avec les sacs de voyage, Ellsberg s’est dénoncé devant la cour fédérale à Boston. En vertu de la Loi sur l’espionnage de 1917 de Woodrow Wilson, il risquait 115 ans de prison pour crime de divulgation de documents classifiés à la presse.

À ce moment là, ils ne savaient pas encore que moi aussi j’avais été destinataire d’une copie.

© Mike Gravel et Joe Lauria

Mike Gravel a siégé au Sénat américain pendant deux mandats, représentant l’Alaska de 1969 à 1981. Au cours de sa deuxième année au Sénat, Gravel a rendu publics les Pentagon Papers à une époque où la publication par les journaux avait été bloquée. Gravel est un farouche opposant au militarisme américain et s’est présenté à l’investiture du parti démocrate pour la présidence en 2008 et en 2020.

Joe Lauria est rédacteur en chef de Consortium News et ancien correspondant à l’ONU pour le Wall Street Journal, le Boston Globe et de nombreux autres journaux . Il a été journaliste d’investigation pour le Sunday Times de Londres et a commencé sa carrière professionnelle en tant que pigiste pour le New York Times. On peut le joindre à l’adresse joelauria@consortiumnews.com et le suivre sur Twitter @unjoe.

Source : Consortium News, Joe Lauria, Mike Gravel, 22-06-2021
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Tag(s) : #Etats-Unis Vietnam
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