Aïssatou Diallo Sagna,
Aide-soignante dans la vie, infirmière dans le film de Catherine Corsini, elle est arrivée sur les plateaux de cinéma presque par hasard, dans une expérience aux allures de parenthèse enchantée.
Son nom côtoie ceux de Valeria Bruni-Tedeschi, Pio Marmaï et Marina Foïs, acteurs (re)connus sur l’affiche du dernier longmétrage de Catherine Corsini.
Aïssatou Diallo Sagna est la divine surprise de la Fracture, sa part la plus authentique.
Aide-soignante dans la vie, elle incarne Kim, une infirmière douce qui en impose, accueillant, rassurant et pansant les plaies physiques et psychologiques des patients dans un service d’urgences. Longues tresses enserrées dans un bandeau en wax, visage rond encore juvénile, elle gère le flux des arrivées, amplifié par une manifestation de gilets jaunes et l’inquiétude de son mari, qui panique face à la fièvre de leur bébé. Un univers qu’elle connaît bien puisque, au moment du tournage, Aïssatou travaillait aux urgences. « J’ai fait le gros de ma carrière, dix-sept ans, à l’hôpital Saint-Joseph. Pendant dix ans, j’ai été agent des services hospitaliers, c’est-à-dire que je m’occupais du nettoyage des chambres, du service des repas. Ensuite, j’ai passé le concours d’aide-soig nante. O n pouvait a voir ju squ’à 180 passages par jour avec, comme dans le film, de vraies urgences vitales. »
« Un délire entre collègues »
Certes, Aïssatou prend bien la lumière, mais ce qui éblouit, c’est d’abord sa voix, chaleureuse et réconfortante. Et lorsqu’elle se raconte, son élocution, son timbre et son ton posé captivent. Rien ne prédestinait cette enfant de la campagne seine-etmarnaise, partie vivre à l’adolescence dans une cité du Val-de-Marne, à rejoindre les plateaux de cinéma. « Au départ, c’était un délire entre collègues. On devait aller à plusieurs au casting réservé au personnel médical. Certains ont eu peur, d’autres des contretemps. Je me suis retrouvée seule. J’ai failli ne pas y aller, mais pour une fois qu’on s’intéressait à nous, j’ai voulu aller voir. » Elle arrive en retard mais ne rate pas son rendez-vous avec le septième art. Quatre castings plus tard, elle rencontre Catherine Corsini, la réalisatrice. La cinéaste avait envisagé le rôle de Kim pour une actrice professionnelle.
« Avoir la validation de mes pairs est important pour moi. »
Elle a fini par jeter son dévolu sur Aïssatou. Bien lui en a pris car la trentenaire est étincelante, y compris dans les scènes de pure fiction. « On s’est beaucoup soutenus entre soignants. Nos expériences communes ont vite resserré les liens. Un tournage, c’est un peu comme à l’hôpital, avec une grosse équipe pluridisciplinaire. On a besoin les uns des autres. Je me suis sentie à l’aise relativement vite. Catherine et les accessoiristes nous sollicitaient beaucoup. Il y avait les professionnels acteurs, ceux de la mise en scène, et nous étions professionnels dans notre domaine. »
D’ailleurs, les situations du film et celles de son quotidien à l’hôpital se ressemblent parfois étrangement. Si elle n’a jamais vraiment subi de violences physiques, les agressions verbales se sont multipliées ces dernières années. « C’est un peu ce qui m’a fait quitter Saint-Joseph. On est trop souvent confrontés à un manque de respect par des gens qui estiment que tout leur est dû.
Il y a aussi eu des agressions raciales. J’y ai été confrontée pas mal de fois. Dans ces moments, ne pas toujours sentir le soutien de sa hiérarchie fait mal. »
Une ambiance singulière
Elle prend un mois de congé sans solde pour le ilm et découvre sur le plateau une ambiance singulière. « Je me suis retrouvée sur le décor du service d’urgences d’un hôpital parisien classique. J’avais mes repères. Tout le monde a été super-sympa et bienveillant. On était en plein Covid, tous masqués. On s’embarquait dans une histoire assez dingue. »
Avec les autres acteurs, la connexion s’opère. « Avec Pio, il y a eu un bon feeling tout de suite. Il a toujours la banane, le mot pour rire et met énormément d’ambiance. J’ai beaucoup observé Valeria. Je ne la connaissais pas particulièrement mais je me suis un peu renseignée avant le tournage. J’ai vu qu’elle était actrice et réalisatrice. C’est la fille de quelqu’un. On a eu du mal à s’appréhender, puis au bout de quelques jours, parler de nos enfants respectifs nous a rapprochées. Nous avons créé une jolie complicité. Avec Marina, nous n’avions pas beaucoup de scènes en commun. Cannes nous a énormément rapprochées. Je peux l’appeler juste pour discuter. Elle est d’une gentillesse et d’une bienveillance extrêmes. Marina est mon coup de cœur. » Et l’envie de réitérer l’expérience cinématographique a fait son chemin.
Si la sélection à Cannes ne l’émeut pas plus que ça, le Festival lui fait prendre conscience de la portée du ilm. Des gens la félicitent et la remercient dans la rue, des distributeurs internationaux l’interpellent. « C’était trois jours entre parenthèses dans une bulle. Ce n’était pas un rêve de petite fille, comme pour mes collègues qui adorent le cinéma, qui ont des références ou regardent tous les jours la montée des marches. Je me suis laissé porter, j’étais heureuse. Je ne m’attendais pas à cet accueil et à la standing ovation dans cette salle immense. Nous étions heureux, contents, mais après trois jours, j’étais contente de rentrer, de retrouver mes enfants, de faire une lessive. Ce n’était pas mon monde. »
Elle rêve que les soignants se reconnaissent dans ce ilm, rassurée par la projection parisienne qui leur était destinée. « Avoir la validation de mes pairs est important pour moi. » Aujourd’hui, Aïssatou a retrouvé son quotidien d’aide-soignante. Elle voit néanmoins dans le ilm un outil pour que les « décisionnaires entendent cette sonnette d’alarme qu’on tire depuis longtemps. On manque de moyens, de considération. Trop de soignants qui démissionnent d’épuisement. Si on perd cette humanité, que va-t-il rester » ?
MICHAËL MELINARD