Pour une grande bouffée d’énergie et d’optimisme ! Avec sept films documentaires sortis en salle depuis 2006, Gilles Perret nous a habitués à des témoignages recueillis auprès de milieux très divers mais toujours avec beaucoup d’empathie et pour illustrer un propos militant. En collaboration avec François Ruffin, comme déjà pour Je veux du soleil ! auprès des Gilets jaunes, Debout les femmes ! s’attaque à la précarité des travailleurs des métiers dits du « lien » ou du soin, en l’occurrence des travailleuses(1).
Le fil conducteur du scénario est une mission parlementaire demandée en 2018 par le député insoumis. Pour celle-ci, la commission des Affaires économiques désigne comme corapporteur Bruno Bonnell, élu LREM. Cette collaboration d’abord improbable entre les deux hommes est décrite avec humour et s’approfondit à partir des constats communs et des conclusions du rapport rendu en juin 2020. L’enquête s’effectue principalement à Amiens, Abbeville et Dieppe, auprès d’auxiliaires de vie sociale (AVS) et couvre les premiers mois du confinement, dans des conditions de travail particulièrement difficiles.
Parce que les tâches effectuées auprès des personnes âgées étaient traditionnellement effectuées au sein des familles et qu’elles sont salariées de structures privées ou publiques très variées, les AVS n’ont pas de statut et de plus, isolées, elles ne sont pas en situation de faire valoir de revendications. Les conditions de travail qu’elles décrivent rappellent tout à fait celles du personnage féminin du film de Ken Loach Sorry We Missed You : une course épuisante d’un domicile à l’autre pour des interventions brèves, avec des horaires morcelés tôt le matin puis de nouveau le soir… Une cinquantaine d’heures par semaine pour 700 à 800 euros mensuels, avec pourtant des contrats qui n’atteignent pas toujours le plein temps. On découvre des situations peu connues (la fréquence des accidents du travail dus à la manipulation de personnes peu mobiles, la gestion des fins de vie…) mais chez la plupart un véritable attachement à un métier ancré dans l’humain. Ce qui est en jeu, ce ne sont pas seulement les conditions matérielles et financières de ce travail, c’est la reconnaissance de son utilité sociale, et plus encore pour François Ruffin, la nécessité d’un service public des métiers de ce secteur du lien.
Ce film que Gilles Perret revendique « féministe » s’achève par une scène de fiction quasiment onirique filmée dans l’hémicycle du Conseil économique, social et environnemental où des dizaines de protagonistes du film occupent les sièges des députés et la tribune, alors que Ruffin et Bonnell sont modestement travestis en huissiers à chaîne. Elles scandent et chantent « Debout les femmes ! » en signe de leur détermination à lutter(2).
Une lutte à ce jour inaboutie puisque, malgré certaines avancées obtenues lors du vote du budget 2021 ou sectoriellement, les « augmentations vont dans le bon sens, mais ne règlent pas le problème majeur qu’est le temps partiel subi ». Et la proposition de loi « Reconnaissance des métiers du lien » déposée en septembre 2020 par les deux députés semble en panne. Elle incluait les assistants maternels et les animateurs périscolaires.
Quant à la loi Grand âge, à laquelle la situation des aides à domicile doit se rattacher, plusieurs fois annoncée puis reportée, il n’y a aucune certitude qu’elle soit présentée avant la fin du mandat.
Le « road-movie parlementaire » n’est donc pas achevé. Au-delà d’un film plein d’émotion s’attachant à des catégories de travailleuses dont la précarité a été mise en évidence par la crise sanitaire, il reste malheureusement tant de secteurs où le terme de « reconnaissance » n’est pas d’actualité, où la « dignité » et « l’amour de ce qu’on fait » ne sont pas de mise ! Si les mesures sectorielles dictées par l’indignation ne sont pas à négliger et l’organisation des intéressé(e)s nécessaire, il faut espérer que leur cause fasse tache d’huile dans l’univers en expansion des statuts précaires du capitalisme actuel.