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[La police française contrôlant les auto-attestations de sortie de la population confinée, octobre 2020 | AFP]

 

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Sans surprise, le gouvernement français vient d’annoncer qu’il se donnait la possibilité de prolonger le recours au pass sanitaire jusqu’à l’été 2022. Au moment de son extension à l’ensemble de la population (police exceptée, bien entendu), la Défenseure des droits avait alerté l’opinion, au mois de juillet dernier, sur la toxicité d’un tel dispositif : en vain.

En santé comme ailleurs, l’appareil macroniste maltraite les libertés publiques et cogne les travailleurs — plusieurs milliers de soignantes et de soignants ont déjà été suspendus.

Si Christophe Prudhomme, porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France, urgentiste au Samu de Bobigny et syndicaliste CGT, a dénoncé la gestion à la fois autoritaire et calamiteuse de la pandémie de Covid-19, c’est à une réflexion plus globale qu’il nous convie : comment sommes-nous arrivés à pareil délabrement de l’hôpital public ?

Et le soignant, « fervent partisan de la vaccination », de revenir sur le long et méthodique travail de sape capitaliste.

On vient d’apprendre que 5 700 lits ont été fermés dans les hôpitaux français en 2020. Que doit-on en conclure du gouvernement Macron ?

 

D’abord, qu’Emmanuel Macron et Olivier Véran, le ministre de la Santé, ont menti dans toutes leurs déclarations. À la fois devant la population et la représentation nationale. Monsieur Véran avait promis l’ouverture de lits pour répondre aux difficultés que rencontraient les hôpitaux pour hospitaliser les patients. Une des raisons de l’intensité de la crise liée à l’épidémie du coronavirus, ce n’est pas tant le nombre de malades — qui est important mais n’avait rien de catastrophique — que l’inadéquation en termes de capacité hospitalière.

 

Si nous avions disposé de 10 000 lits de réanimation — un chiffre qui n’a rien d’extraordinaire au regard des comparaisons avec d’autres pays européens — et non de 5 000, le choc aurait été moins rude. Nous avons été obligés de concentrer toute notre activité pour les malades atteints du coronavirus, au détriment des autres malades, majoritaires. On a laissé tomber ces derniers et on commence déjà à payer les conséquences que ça a eu sur leur santé. On risque de les payer encore plus cher : dépistages des cancers, retards d’un certain nombre d’interventions chirurgicales, etc.

 

Si le gouvernement continue de fermer des lits, c’est qu’il veut réduire à tout prix les capacités hospitalières car ça coûte cher. Leur objectif est financier. Et, de façon plus cachée, il s’agit de faire place nette afin que le secteur privé lucratif en vienne, face aux difficultés du public, à prendre en charge les activités les plus rentables. Et donc prospère. L’exemple le plus flagrant est les États-Unis, et c’est aussi le modèle de Macron. Aux yeux de ces gens, la santé est, pour la partie solvable de la population, un service marchand comme un autre. On doit laisser la place à des investisseurs dans l’offre de soin et l’offre assurantielle. De nos jours, on ne dégage plus des marges dans l’industrie mais dans les services : et c’est justement dans la santé que les marges sont les plus importantes. On ne compte pas pour la santé : les gens sont prêts à vider leur livret d’épargne pour se soigner.

 

Dans un texte, vous faisiez remonter le début de la mise à mort de l’hôpital public en 1983, c’est-à-dire le « tournant » libéral de Mitterrand.

 

En effet. Tout ça vient de loin : c’est la revanche des libéraux. Ils ont théorisé leur modèle dès 1947, via l’École de Chicago et la Société du Mont-Pèlerin. Les libéraux n’ont jamais accepté que deux secteurs de la société — la santé et l’éducation — échappent au marché. Après la guerre, les politiques keynésiennes ont permis le développement des services publics, mais les libéraux ont repris les manettes avec Thatcher, Reagan et Bérégovoy. Leur stratégie est parfaitement organisée. Macron n’est jamais qu’une caricature de bon petit soldat libéral.

 

Il y a dix jours, on a vu, à Tarbes, un certain nombre d’urgentistes menacer de démissionner face aux manques de moyens. Il y a deux jours, le chef de service du Centre hospitalier intercommunal Marmande-Tonneins a claqué la porte. Que ferait un gouvernement responsable pour faire face à l’effondrement ?

 

Nous sommes dans une situation de sous-effectif. Pourtant, on fait tout pour faire fuir le personnel de l’hôpital de public. Prenez le dernier décret en date : il modifie les modalités d’autorisation d’ouverture d’un service d’urgence. On peut désormais ouvrir des antennes de médecine d’urgence, mais uniquement en journée. C’est la porte ouverte à la multiplication des services privés : ils vont ouvrir des antennes pour prendre en charge les patients dont l’état n’est pas très grave et les médecins du public — qui subissent des rythmes de travail épuisants — iront travailler dans ces nouvelles structures. Vous commencerez à 8 heures et vous terminerez à 20 heures, vous n’aurez plus de garde de nuit, vous aurez vos week-end : évidemment, vous quitterez le public.

 

Le Ségur de la santé [mai-juillet 2020, ndlr] n’a absolument rien réglé. Sa mesure emblématique a été l’augmentation de 183 euros des salaires. Quand on prend le salaire moyen de l’hôpital français, cette augmentation ne correspond qu’à la compensation de la perte de pouvoir d’achat accumulée depuis 2010. Avant le Ségur, les infirmières françaises avaient une rémunération qui correspondait, en parité de pouvoir d’achat, au 22e rang du classement des pays de l’OCDE. Depuis le Ségur, elles sont passés au 18e rang ; autrement dit, les infirmières mexicaines sont mieux payées, en termes de pouvoir d’achat. Et on s’étonne qu’on ait du mal à recruter ?

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[Un citoyen brésilien vacciné par un vaccin de confection chinoise, le 22 mars 2021 | Lucio Tavora | Xinhua | Redux]

Nous faisons face à un abandon du métier — un métier essentiellement féminin. Si on prend la fourchette basse, nous avons, en France, entre 150 et 180 000 infirmières diplômées qui n’exercent plus leur métier ! Soit elles ont arrêté de travailler, soit elles ont complètement changé de métier. Si on ajoute à ça les 40 000 professionnels de santé — essentiellement des infirmières — qui, chaque jour, vont travailler en Belgique, en Allemagne, en Suisse ou au Luxembourg, ça nous fait environ 200 000 professionnels de santé qui manquent dans nos hôpitaux.

 

Et c’est une pénurie organisée. Dans les années 1990, on a fermé les lits et les hôpitaux au motif qu’il fallait fermer les petites structures car elles seraient dangereuses pour les patients. On avait, dans les années 1970, 1 600 maternités ; aujourd’hui, on en a un peu plus de 400. Vous vous rendez compte ? On a fermé 100 000 lits en vingt-cinq ans. Résultat, en psychiatrie, la majorité des patients ne sont plus pris en charge. Soit ils sont dans la rue, soit ils sont en prison.

 

Et voici qu’on place les toxicomanes dans des camps. Ce sont là les conséquences des politiques libérales menées depuis Bérégovoy et largement accélérées par Macron. Notre système sanitaire est à la limite de la rupture. Heureusement, des luttes ont été menées ces dernières années. Mais si on a encore Macron pendant cinq ans, ça sera très dur de résister. On atteint ce que les sociologues nomment un « effet seuil » : on tire sur la corde, les gens se mobilisent, ça tient comme ça peut et puis, à la fin, ça craque. Tout s’effondre sous nos yeux. Voyez les plans blancs à Aulnay, à Mulhouse, voyez les démissions ou les menaces que vous évoquiez. On fait fuir le personnel puis on justifie les fermetures au prétexte que les services manquent de bras !

 

C’est dans ce contexte que vous avez fait savoir que le renvoi des soignantes et des soignants non vaccinés était « catastrophique » — même si vous étiez favorable à leur vaccination.

« On tire sur la corde, les gens se mobilisent, ça tient comme ça peut et puis, à la fin, ça craque. Tout s’effondre sous nos yeux. »

Je suis un fervent partisan de la vaccination, mais il y a un principe de réalité. Ce gouvernement fait voter une loi mais certains départements ne l’appliquent pas — la Guadeloupe et la Martinique. Car si, là-bas, la loi s’applique, les hôpitaux ferment. On a simplement demandé que s’applique, ici aussi, ce principe de réalité. Les soignants suspendus sont au nombre de quelques milliers1. C’est assez peu, mais ils sont indispensables au regard de la pénurie préexistante. Sans eux, des équipes pourront s’effondrer. C’est d’ailleurs ce qu’il s’est déjà passé dans le bloc opératoire de Montélimar ou en neurologie à Soissons.

 

Sur le terrain de la santé publique, on doit analyser le rapport bénéfices/inconvénients de cette mesure. Au regard de la situation qu’on connaît, quel était le pire ? Laisser travailler des soignants non vaccinés qui, dès lors qu’ils se protègent, présentent un risque de transmission tout à fait minime ou renvoyer des patients car on n’a plus les moyens humains de les prendre en charge ? Il n’y a pas photo. On devait maintenir le personnel en poste.

 

Doit-on entendre cet autoritarisme sanitaire dans le cadre, plus large, d’une gouvernance en tout point autoritaire ?

 

Les libéraux sont très autoritaires : c’est même dans leur ADN. Vous savez, quand les résultats sont au rendez-vous, en matière de santé, la population accepte. Quand elle a confiance, elle suit les mesures énoncées — quand bien même le régime ne serait pas démocratique. Le gouvernement Macron est incapable de la moindre autocritique. Il se braque, il sort le gros bâton ; c’est parfaitement contre-productif.

 

[New Dehli (Inde), avril 2021 | Adnan Abidi | Reuters]

Comment comprendre, malgré les recommandations de l’OMS en matière de pédagogie sanitaire quant au vaccin, que le gouvernement Macron ait opté pour la coercition ?

 

Il pense qu’il peut en tirer un bénéfice politique. Macron s’appuie sur une partie de la population, minoritaire, mais c’est celle qui vote et qui votera. Il a été élu par 18 % du corps électoral2 et la moitié de la population, aujourd’hui, ne vote plus.

 

En Espagne ou au Portugal, les personnes de plus de 80 ans sont toutes vaccinées. En France, le taux n’était, le 3 septembre, que de 85 %. Pourquoi un tel écart ?

 

Le gouvernement n’a joué que sur le paraître. L’ouverture des vaccinodromes, et en particulier celui du Stade de France, a été une opération médiatique. Mais elle a été contre-productive sur le terrain de la santé publique.

 

La semaine de l’ouverture du vaccinodrome du Stade de France, les livraisons de vaccins étaient insuffisantes ; on a donc diminué de moitié les livraisons de vaccinations destinées à la Seine-Saint-Denis pour tout concentrer au stade. Il faisait, dans un premier temps, 1 000 à 1 500 injections par jour ; or, quand on ouvre un espace de cette taille, c’est pour vacciner 10 000 personnes par jour !

 

Cette débauche de moyens était inadaptée à la situation. Pourquoi n’a-t-on pas vacciné tous les plus de 80 ans ? Car on ne s’est pas donnés les moyens, contrairement au Portugal, d’aller vacciner les gens à leur domicile. À cet âge, la mobilité est réduite. En France, on a payé grassement les médecins pour se rendre dans les centres, à savoir 800 euros la journée en forfaitaire : comment voulez-vous qu’ils aient envie, ensuite, de vacciner à domicile ?

Tag(s) : #Pandémie Opinion
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