negaWatt, un scénario capitaliste antisocial
L’envolée des prix de l’énergie dans le contexte de la présidentielle produit un débat vif sur la transition énergétique, son coût et son impact social, son orientation future.
Le dernier rapport du GIEC confirme l’urgence climatique et nous rappelle à quel point c’est d’abord un enjeu mondial. Sur ce point Macron n’a pas tort, l’avenir de la planète ne se joue pas en France, mais en Russie, USA, Chine, Inde, et pour l’Europe en Allemagne ou en Pologne, les principaux pays consommateurs de charbon ! Pour la France, malgré la baisse de ses émissions carbonées, notre impact carbone est en hausse à cause des importations ! Sauf que pour réindustrialiser la France, on ne peut compter ni sur la "startup nation" de Macron, ni sur une transition énergétique dont nous avons l’expérience cruelle dans la filière photovoltaïque comme éolienne !
La politique actuelle, notamment depuis le gouvernement PS-EELV de François Hollande, se caractérise au plan technologique par la limitation du nucléaire et le fort développement de l’éolien et du photovoltaïque, et au plan économique par les privatisations et déréglementations dans le cadre de la concurrence européenne. Ses promoteurs en veulent plus,. Toujours dans le cadre du marché, ils demandent la sortie du nucléaire et le "100% EnR" inspiré par le "scénario négawatt" lequel vient d’être remis à jour. Ce nom est surprenant. Le watt (et ses dérivés, kilowatt, megawatt) est l’unité de mesure le plus fréquemment utilisée pour la puissance électrique. Mais l’électricité ne représente que 23% de l’énergie totale en France et est déjà dé-carbonée !. Pour le climat, l’urgence est au contraire la réduction des énergies fossiles, ce que propose d’ailleurs un autre scénario, celui de l’association Sauvons le Climat, dénommé negaTep, pour réduire les énergies fossiles donc les "tonnes équivalent pétrole" [1].
Mais l’urgence pour certains, c’est la sortie du nucléaire, donc la limitation de l’électricité (d’où le nom "negaWatt" [2].). Pour pouvoir quand même sortir aussi des fossiles, cela impose des hypothèses irréalistes technologiquement, économiquement ou encore politiquement, hypothèses souvent joliment présentées derrière le terme poli de "sobriété".
L’hypothèse la plus radicale est de diviser par 2 la consommation d’énergie finale en 2050. Comment ? Plus d’efficacité bien sûr, mais une part importante vient de la "sobriété", autrement dit, la baisse des usages, et le scénario oublie toute vraie réindustrialisation de la France, laissant notre impact carbone résultant de nos importations. C’est là que le débat politique prend toute son importance. Qui décide de la légitimité des usages de l’énergie, et donc du niveau d’énergie nécessaire ?
La deuxième hypothèse fondatrice est que des innovations résoudront les problèmes d’intermittence et de stabilité d’un système électrique 100% EnR... Tout le monde sait qu’il n’y a pas de soleil la nuit, et parfois pas de vent, donc qu’il faut stocker d’énormes quantité d’énergies pour assurer la continuité de service. Pour l’instant, tout ou presque repose sur les barrages, que le scénario negaWatt ne propose pas de développer [3]. Il fait le pari du développement des batteries, de l’hydrogène, du biogaz, sans démontrer la faisabilité des capacités de stockage gigantesques qui seraient nécessaires [4]
Mais le cadre politique le plus fondamental de ce scénario est bien que tout se passe dans un système capitaliste dirigé par le marché et la rentabilité privée des investissements. La logique économique de negaWatt, c’est celle de la taxe carbone et du signal prix. C’est une vérité dérangeante pour tous ceux qui se cachent derrière ce scénario à gauche. negaWatt est un scénario capitaliste et antisocial.
Prenons le temps de regarder quelques-unes des conséquences de ce scénario, sur nos déplacements, le logement, l’industrie, sur l’emploi...
Supprimer le nucléaire, c’est nécessairement réduire les consommations énergétiques. C’est la première leçon de ce scénario, les renouvelables ne pouvant pas remplacer le nucléaire avec le même niveau de consommation. Certes, les améliorations techniques réduisent les consommations énergétiques comme tout le monde le voit sur nos équipements ménagers. Mais ça ne peut pas suffire du tout à diviser par 2 nos consommations totales. Il faut donc moins se déplacer, moins se chauffer, occuper moins de surface, manger moins de viande... Et ce n’est pas du tout pour "le climat", non, c’est uniquement pour "sortir du nucléaire". C’est pourquoi negaWatt met en cause nos modes de vies, évidemment en nous promettant le bonheur comme tout discours politique :
La sobriété énergétique nous invite à questionner nos besoins, nos choix et habitudes de consommation, et plus globalement nos modes de vie. Loin des clichés comme le retour à la bougie, la sobriété peut être heureuse et conviviale, surtout lorsqu’elle s’inscrit dans une démarche d’équité et de partage des ressources.
Au total, la sobriété représente 30% de la réduction totale de l’énergie consommée.
Par exemple, le scénario negaWatt propose "une diminution des distances parcourues (télétravail, réduction des déplacements très longue distance)". L’énergie consommée dans les transports passerait de 600 à 200 TWh, la moitié venant de la réduction des déplacements. Oui, negaWatt vous demande de vous déplacer moins !
Mais qui décide de ce qui est doit être réduit, de qui est concerné ? Le scénario est muet sur les inégalités dans les déplacements, le logement, les consommations ! Et il est bien plus facile de laisser monter les prix des carburants que de limiter les gros SUV hybrides des catégories aisées ou même des hélicos privés de la côte d’azur ! Qui a le droit d’aller voir sa famille à l’étranger en avion ? Si c’est la hausse des prix qui pousse à réduire l’avion longue distance, alors c’est la double peine pour les familles populaires d’origines immigrées !
Pour le logement, negaWatt propose
"une diminution des surfaces neuves construites annuellement (résidentiel et tertiaire), au profit de la réhabilitation de bâtiments existants"
Mais son bilan est 25 millions de logements en 2050, autant qu’en 2018. Il suppose donc en fait de stopper la construction !
Mais il y a 2 millions de demandes de logement en France, 80 000 dans la métropole du Grand Lyon, dont 60% de personnes sans logement personnel ! negaWatt ose leur dire que leur besoin de logement n’est pas légitime car il ne rentre pas dans son bilan énergétique ?
Et quid de la terrible expérience du confinement qui conduit à réinterroger la baisse régulière des surfaces que la hausse prix du m2 impose ? Encore un exemple ou la "sobriété" negaWatt rejoint la "rigueur" capitaliste... Il faut réduire nos espaces de vies quand tant de familles rêvent de plus de places !
Un scénario énergétique progressiste devrait partir des besoins humains, du droit au logement, aux déplacements, aux loisirs, à l’échange, et chercher les solutions technologiques et économiques pour y répondre en sortant du carbone. negaWatt fait l’inverse, il veut imposer l’austérité pour adapter les modes de vies aux seules énergies renouvelables. Et comme toujours, ce seront les pauvres qui n’auront pas le choix. negaWatt est un scénario antisocial et régressif.
Supprimer le nucléaire, c’est nécessairement réduire les consommations énergétiques. C’est la première leçon de ce scénario, les renouvelables ne pouvant pas remplacer le nucléaire avec le même niveau de consommation. Certes, les améliorations techniques réduisent les consommations énergétiques comme tout le monde le voit sur nos équipements ménagers. Mais ça ne peut pas suffire du tout à diviser par 2 nos consommations totales. Il faut donc moins se déplacer, moins se chauffer, occuper moins de surface, manger moins de viande... Et ce n’est pas du tout pour "le climat", non, c’est uniquement pour "sortir du nucléaire". C’est pourquoi negaWatt met en cause nos modes de vies, évidemment en nous promettant le bonheur comme tout discours politique :
La sobriété énergétique nous invite à questionner nos besoins, nos choix et habitudes de consommation, et plus globalement nos modes de vie. Loin des clichés comme le retour à la bougie, la sobriété peut être heureuse et conviviale, surtout lorsqu’elle s’inscrit dans une démarche d’équité et de partage des ressources.
Au total, la sobriété représente 30% de la réduction totale de l’énergie consommée.
Par exemple, le scénario negaWatt propose "une diminution des distances parcourues (télétravail, réduction des déplacements très longue distance)". L’énergie consommée dans les transports passerait de 600 à 200 TWh, la moitié venant de la réduction des déplacements. Oui, negaWatt vous demande de vous déplacer moins !
Mais qui décide de ce qui est doit être réduit, de qui est concerné ? Le scénario est muet sur les inégalités dans les déplacements, le logement, les consommations ! Et il est bien plus facile de laisser monter les prix des carburants que de limiter les gros SUV hybrides des catégories aisées ou même des hélicos privés de la côte d’azur ! Qui a le droit d’aller voir sa famille à l’étranger en avion ? Si c’est la hausse des prix qui pousse à réduire l’avion longue distance, alors c’est la double peine pour les familles populaires d’origines immigrées !
Pour le logement, negaWatt propose
"une diminution des surfaces neuves construites annuellement (résidentiel et tertiaire), au profit de la réhabilitation de bâtiments existants"
Mais son bilan est 25 millions de logements en 2050, autant qu’en 2018. Il suppose donc en fait de stopper la construction !
Mais il y a 2 millions de demandes de logement en France, 80 000 dans la métropole du Grand Lyon, dont 60% de personnes sans logement personnel ! negaWatt ose leur dire que leur besoin de logement n’est pas légitime car il ne rentre pas dans son bilan énergétique ?
Et quid de la terrible expérience du confinement qui conduit à réinterroger la baisse régulière des surfaces que la hausse prix du m2 impose ? Encore un exemple ou la "sobriété" negaWatt rejoint la "rigueur" capitaliste... Il faut réduire nos espaces de vies quand tant de familles rêvent de plus de places !
Un scénario énergétique progressiste devrait partir des besoins humains, du droit au logement, aux déplacements, aux loisirs, à l’échange, et chercher les solutions technologiques et économiques pour y répondre en sortant du carbone. negaWatt fait l’inverse, il veut imposer l’austérité pour adapter les modes de vies aux seules énergies renouvelables. Et comme toujours, ce seront les pauvres qui n’auront pas le choix. negaWatt est un scénario antisocial et régressif.
Depuis le raté de Jospin avouant face à la fermeture d’usine "je n’y peux rien", tous les gouvernements successifs lancent de grands "plans pour l’industrie", à coup de milliards de subvention. Aucun n’a inversé la désindustrialisation. Gérard Collomb le justifiait au nom de la "destruction créatrice", vous savez, cette théorie économique qui dit qu’il faut détruire l’ancien pour que le nouveau arrive. Emmanuel Macron nous promet la "startup nation" oubliant les nombreux exemples d’innovation française se terminant en rachat de brevet par un grand groupe US. Les promoteurs de la transition énergétique nous promettent des emplois non délocalisables en oubliant le terrible bilan des milliards dépensés pour le développement du marché du photovoltaïque qui a conduit... à la fin de l’industrie photovoltaïque française...
Alors, que nous propose negaWatt ?
Une diminution de la production d’acier, de ciment et de plastiques et de la consommation d’énergie, rendue possible par la baisse de la demande de différents secteurs (bâtiment, transports) ou produits (engrais, emballages, etc.)
La production française d’acier prévue par negaWatt passe de 15Mt en 2015 à 11Mt en 2050 ! Pourtant, on importe déjà 14Mt d’acier par an, sans compter le solde des échanges de produits fabriqués comportant de l’acier qui ajoute un déficit de 4Mt. Et negaWatt n’est qu’un exercice théorique pour justifier la baisse de la consommation énergétique sans tenir compte de la réalité industrielle... La sidérurgie française est totalement spécialisée dans le contexte de la mondialisation, elle exporte donc. Aucune transformation n’est possible sans retrouver une souveraineté technologique et économique qui supposera une forte augmentation de la production d’aciers répondant aux besoins de l’industrie nationale.
Au total, negaWatt impose à tout développement industriel une contrainte majeure, réduire la consommation d’énergie de l’industrie de 600TWh à 340TWh. Impossible pour negaWatt de s’aventurer à prévoir le niveau de production industrielle de la France en 2050 ! Si on voulait réindustrialiser le pays, notamment pour réduire notre impact carbone importé, alors il faudrait doubler la production industrielle, ce qui a technologie inchangée, conduirait à passer de 600TWh à 1200TWh. negaWatt repose donc sur d’hypothétiques innovations qui permettraient un gain d’un facteur 4 d’efficacité sur l’ensemble de l’industrie. Un pari technologique sans aucune justification réaliste et qui nous montre simplement qu’en réalité, negaWatt refuse la réindustrialisation.
D’ailleurs, negaWatt a bien conscience qu’il va conduire à de nouvelles et lourdes restructurations, fermetures de sites industriels, et suppressions d’emplois.
Bien sûr d’abord pour le nucléaire
Mettre en place des plans de reconversion professionnelle pour les salariés du secteur nucléaire, y compris les sous-traitants
Mais pas seulement !
Accompagner les transformations des secteurs les plus impactés, notamment en facilitant les mobilités entre secteurs. Financer par un fonds de transition juste les mobilités de secteurs, de métiers ainsi que les mobilités géographiques...
Et comme pour la destruction de la sidérurgie engagée par Mitterrand en 1983, il faut même organiser économiquement la destruction industrielle !
Créer une structure de défaisance, gérée paritairement, permettant d’accompagner les fins de vie des sites non pérennes.
Un scénario énergétique progressiste devrait partir de l’urgente nécessité de réindustrialiser la France, dans des coopérations internationales débarrassées de la domination des multinationales, et qui nous permettent de réduire le coût carbone de nos marchandises, donc notre impact carbone total. Il devrait donc permettre une augmentation de l’énergie consommée par une industrie décarbonée, en privilégiant l’électrification et la recherche sur les alternatives au charbon et au gaz.
Bien sûr, le discours général est vendeur :
L’évaluation économique et sociale du scénario négaWatt chiffre à plusieurs centaines de milliers la création nette d’emplois, pour la plupart non délocalisables. Mais ce résultat positif ne peut être atteint qu’au prix de mutations qui doivent être anticipées, discutées et accompagnées, que ce soit pour amortir les réductions d’emplois et les fermetures d’entreprises qui se produiront malgré les dynamiques de relocalisation, ou pour engager les investissements et accélérer le développement de nouvelles compétences afin de soutenir la croissance des secteurs moteurs de la transition énergétique.
Mais les exemples quantitatifs (peu nombreux !) montrent à quel point l’ambition n’est pas de supprimer le chômage ! Il y a 6 millions de demandeurs d’emplois en France. Que propose negaWatt ?
35 000 emplois dans le photovoltaïque
250 000 emplois dans la rénovation thermique
90 000 emplois dans les renouvelables
Le compte n’y est pas du tout !
35 000 emplois créés dans le photovoltaïque dont 5 000 dans l’industrie à la suite de la mise en service en 2023 d’une filière de production intégrée (de la cellule au module) de 2 GW/an de panneaux puis de son extension à 5 GW/an, ce qui permet à la France de couvrir son besoin en panneaux
À titre d’exemple, dans le scénario 2022 ce sont plus de 250 000 emplois supplémentaires qui peuvent être créés dès 2030 dans le secteur de la rénovation des bâtiments (300 000 en 2040), et près de 90 000 dans les énergies renouvelables (135 000 en 2040).
Un scénario énergétique progressiste devrait partir du principe d’une société de plein emploi, d’emplois qualifiés, diversifiés, dignes, respectés... Et donc en conclure qu’il faut de l’espace, de l’énergie, des transports pour ces emplois. Cela confortera la nécessité absolue d’une hausse des consommations énergétiques et donc l’exigence d’avoir d’autres énergies décarbonées que les seules renouvelables
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