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McKinsey: Le Parquet national financier se réveille

Par Laurent Valdiguié
Publié le 06/04/2022 

Le PNF s’attaque à McKinsey. Le parquet spécialisé dans la grande délinquance financière a ouvert une enquête pour blanchiment aggravé de fraude fiscale visant le cabinet américain. Un dossier potentiellement explosif qui, à terme, pourrait provoquer une myriade de perquisitions au cœur de l’appareil d’État.
Avis de gros temps sur McKinsey. Le parquet national financier a décidé de lancer une enquête pour blanchiment aggravé de fraude fiscale visant le cabinet de conseil américain. La décision a été prise dès le 31 mars, en toute discrétion, et n’a été rendue publique que ce 6 avril en fin de matinée, le PNF préférant ces deniers jours ne « rien communiquer »… Au risque d’ailleurs de se voir reprocher son manque de curiosité, voire de diligence dans un dossier visant potentiellement le sommet de l’État. « Pas de commentaire », réagit auprès de Marianne une source au sein du parquet national financier. « Il en allait de l’image et de la réputation du PNF que cette enquête soit ouverte, et c’est heureux qu’elle l’ait été », glisse un haut magistrat, « sans préjuger d’ailleurs de son résultat »…

Suite au rapport du Sénat du 16 mars dernier affirmant que McKinsey ne payait pas d’impôt en France depuis dix ans, le parquet avait l’option, soit d’attendre le résultat des courses de l’enquête pour fraude fiscale déclenchée à Bercy, et une éventuelle plainte de l’administration, soit d’ouvrir les hostilités sans attendre sur la base de l’infraction de blanchiment. C’est cette dernière option qui a été finalement retenue et qui devrait permettre à court terme des opérations visant à « sauvegarder des éléments de preuve », c'est-à-dire en langage courant des perquisitions.

LÉGAL OU PAS LÉGAL
Le PNF a confié l’enquête au service de Bercy créé en 2019, le SEJF (service d’enquête judiciaire des finances), un pool d’enquêteurs spécialisés du fisc né de l’ancien service national des douanes judiciaires. Placé sous la direction d’un magistrat, Christophe Perruaux, ancien procureur adjoint à Paris, ce service, sous l’autorité de Bercy et non pas du ministère de l’Intérieur, a pour compétence les infractions fiscales complexes. Saisi de faits supposés de blanchiment aggravé, le SEJF va mettre à plat les relations financières entre les deux entités françaises de McKinsey et leur maison mère implantée dans un paradis fiscal au cœur des États-Unis, le petit État du Delaware. Via un jeu de « redevances » et de charges diverses et variées, comme l’a mis à jour le rapport du Sénat, les structures françaises de la société de conseil reversent tous les ans des fonds aux États-Unis. Ces remontées financières plombent les finances des filiales françaises et les placent en situation déficitaire leur permettant d’échapper à l’impôt hexagonal. Légal, pas légal ? Les enquêtes fiscales devront dire si ces remontées sont justifiées, facturées au juste prix, ou si elles sont gonflées artificiellement dans le but d’aiguiller les bénéfices de McKinsey vers un territoire où l’imposition est la plus douce… le Delaware.

Dans une enquête du même ordre concernant Google France, le PNF a établi que les remontées de fonds en direction de la structure irlandaise étaient largement bidon dans le but d’échapper au fisc français. Montant de l’ardoise pour Google : un milliard d’euros.

RENVOIS D'ASCENSEURS ?
Concernant le dossier McKinsey, les sommes en jeu sont moindres puisque l’évasion fiscale présumée se chiffrerait plutôt en dizaines de millions d’euros. Mais c’est à un autre niveau que l’affaire sent le soufre. McKinsey, qui compte 600 employés en France, irrigue toute la haute fonction publique française, de par ses conseils, ses études, ses interventions et ses liens de personnes… « Enquêter sur les prestations de McKinsey, c’est enquêter sur la prise de décision de l’État », ironise à peine un haut fonctionnaire, pronostiquant de possibles perquisitions… jusqu’à Matignon. « Si le PNF se met en tête de vérifier les prestations facturées par McKinsey, cela va l’occuper tout un quinquennat, de ministère en ministère », ironise cette source.

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Les études sont-elles facturées au juste prix ? Y a-t-il dans cet univers des renvois d’ascenseurs ? Ce genre de cabinet n’empiète-t-il pas tout simplement sur l’expertise d’agents de l’État eux-mêmes ? « Il y a beaucoup de fantasmes derrière ce sujet, pondère une autre source étatique. Pour l’essentiel, ces cabinets travaillent dans le domaine informatique. En France, nous n’avons pas de bons informaticiens, et quand nous en avons, on ne peut pas rivaliser avec les tarifs du privé pour les garder, ce qui fait que dans ce domaine, l’expertise de l’État est défaillante… » Sauf que les prestations de McKinsey, notamment lors de la crise sanitaire et la gestion du Covid, débordent largement de la seule sphère informatique. La justice creusera-t-elle plus en avant ?

DÉTOURNEMENTS DE FONDS PUBLICS ?
Pour l’heure, le PNF ne vise pas d’autre qualification que le blanchiment de fraude fiscale. Mais selon nos sources, un angle de « prise illégale d’intérêt » serait aussi « à l’étude ». Il s‘agirait à terme de vérifier si d’anciens membres de McKinsey, placés dans des cabinets ministériels, n’auraient pas été en situation de confier des contrats à leur ex-société. « Il faudrait faire une carte de qui fait quoi, et qui commande quoi au cœur de l’appareil d’État », confie un expert de ces questions.

De son côté, l’association Anticor envisage de laisser passer les élections et de déposer plainte à son tour. « Il y a d’autres sujets de réflexion que le seul volet fiscal, analyse Me Jérôme Karsenti, un des avocats de l’association. S’il est établi, comme semble le suggérer le rapport du Sénat, que certains rapports de McKinsey sont de simples copier-coller, cela pourrait constituer des faits de détournements de fonds publics. » Elise Van Beneden, la présidente de l’association, se pose la question de savoir si le recours à un cabinet de conseil, en doublon d’éventuelles compétences existantes au sein de l’État, ne constitue pas, en soit, « un détournement de fonds publics par négligence ». « Il faut aussi s’interroger, poursuit-elle, sur la validité de ces accords-cadres fourre-tout, passés avec ces cabinets de conseil, un système qui semble contourner la règle ordinaire des appels d’offres et le jeu normal de la mise en concurrence. »

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Autre sujet d’interrogation, la participation de cadres de McKinsey, même à titre « bénévoles » dans l’équipe de campagne du candidat Macron en 2017. « On peut se poser la question d’éventuels renvois d’ascenseur », souffle Elise Van Beneden…

Quoi qu’il en soit, la justice va donc mettre son nez dans un drôle de maquis. Dès 2015, dans un rapport ordinaire, la Cour des comptes avait lancé une mise en garde contre le recours aux cabinets de conseil. À l’époque, pour la période 2011-2013, la Cour avait identifié des dépenses annuelles de l’ordre de 150 millions d’euros. Mais ces dépenses ont explosé sous ce quinquennat, pour atteindre le milliard d’euros annuel… Dans ce domaine, les recommandations de la Cour des comptes semblent donc être restées lettre morte. Comme trop souvent…

 
Laurent Valdiguié

Tag(s) : #Macron Affaires
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