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le-figaro : tous les articles d'occasion, rares et de collection - Page 92  - le-livre.fr

QUAND ANNIE LACROIX-RIZ REPOND A MONSIEUR BROVELLI
M. Brovelli, vous ricanez volontiers en dépréciant vos interlocuteurs, mais c’est vous qui avez la mémoire sélective, ou pas de mémoire du tout, faute, tout simplement, de connaissance du dossier historique.
 
Les archives originales ne ne dressent pas du tout votre tableau du pacte de non-agression germano-soviétique : il était inévitable selon les diplomates, notamment français et anglais, unanimes sur ce point depuis 1933 (et même depuis juillet 1932), si Paris et Londres refusaient aux Soviets le renouvellement de l’alliance défensive formelle d’avant la guerre précédente : elles sont formelles, Staline n’avait pas le choix : lesdits diplomates l’avaient écrit depuis sept ans, ils le confirmèrent à la signature du 23 août. Sur la phase finale que j’ai intitulée « la farce de Moscou » (août 1939), les fonds français, que j’ai davantage exploités dans Le choix de la défaite, anglais dans De Munich à Vichy, sont catégoriques.  Lisez-les donc, au lieu de vous gausser. Vous noterez d’ailleurs que la prétendue « alliée » soviétique d’Hitler a accru ses effectifs militaires, à sa frontière occidentale, de 1,5 million de soldats en septembre 1939, à 3 en juin 1941. Voyez donc, par exemple, le très bon ouvrage de Geoffrey Roberts, qui colle du « dictateur » Staline toutes les pages mais a travaillé : il n’a trouvé que le modeste et marxiste (quelle horreur!) éditeur Delga pour traduire ses Guerres de Staline (1939-1953).
 
Votre thèse sur les « trois débarquements des alliés » (pourquoi, l’URSS du Plan Bagration n’était pas « alliée ») mérite documentation, je ne vois pas à quoi vous faites allusion. Il est vraiment un débarquement « occidental » qui a chassé la Wehrmacht d’Europe : lisez donc les historiens américains, nombreux à être aussi clairs que les soviétiques). Réalité d’ailleurs reconnue par tous les Occidentaux du temps, dont nos propres militaires, de Gaulle en tête. J’ai une bibliographie historique, notamment américaine, à votre disposition.
 
Sur Katyn et les déportations, quelques mots. Même Pétain fut du lot des sceptiques, comme le prouve un télégramme de Krugg von Nidda, représentant du Reich à Vichy, après son entretien avec Pétain, le 8 mai 1943 :
Télégramme transcrit par Schleier, adjoint d’Abetz sous l’Occupation et son remplaçant en 1943 par télégramme 2916, 8 mai 1943, à Ribbentrop : fonds W 3 (de la Haute Cour de Justice), vol. 89, Bousquet, Archives nationales
Je cite : au cours de l’entretien Pétain a saisi l’occasion de me « demander si l’Allemagne voulait toujours faire la guerre à la fois contre l’Angleterre et la Russie ou si elle ne préférait pas combattre un jour avec l’Angleterre contre la Russie. » J’ai répondu [gros mensonge à l’époque où tous ces gens prenaient ou avaient déjà pris contact avec les Américains, et aussi éventuellement avec les Anglais, ALR] qu’il n’y avait « aucune différence entre les deux et que le combat était aussi ferme et résolu contre l’Angleterre et la Russie jusqu’à la victoire. Les récentes déclarations de ou des (manque le mot suivant dans texte allemand : vraisemblablement « gouvernements ») anglais et soviétique au sujet des assassinats de Katyn (Mord von Katyn) ont amplement montré l’étroite liaison qui existe entre les Anglo-Saxons et les bolcheviks. » Il n’y a donc « aucune illusion » possible pour France, et j’ai rappelé à Pétain « les déclarations » hostiles faites hier par Eden aux Communes « sur Vichy et la personne de Pétain. […] Ce qui est étrange c’est que Pétain a exprimé des doutes sur ce qu’on avait trouvé dans la forêt de Katyn. Me référant alors au protocole officiel, j’ai pris position de la façon la plus formelle. »
Par ailleurs, les recherches « archéologiques » de Furr jettent le doute sur la date de la liquidation des Polonais, voir les liens : https://msuweb.montclair.edu/~furrg/research/furr_katyn_2013.pdf, https://msuweb.montclair.edu/~furrg/research/furr_katyn_preprint_0813.pdf
Comme cette pratique est une pratique courante nazie, et qu’on ne connaît pas d’autre cas soviétique que Katyn, on peut au moins avoir l’envie de se renseigner davantage. 
 
Vous devriez en outre vous informer de l’abominable politique pro-allemande, antisémite, francophobe, slavophobe (eh, oui, bien que le peuple polonais soit incontestablement slave) de la Pologne (un exemple : « Polen in der außenpolitischen Strategie Frankreichs (Oktober 1938-August 1939) », communication au colloque sur la campagne de Pologne, Varsovie, 15-16-17 octobre 2009, Actes non parus, Polen und wir, n° 3, 2014, p. 11-17 (version française, « La Pologne dans la stratégie politique et militaire de la France (octobre 1938-août 1939) ». http ://www.historiographie.info/polognefranceww2mai2015e.pdf; http ://www.les-crises.fr/annie-lacroix-riz-la-pologne-dans-la-strategie-exterieure-de-la-france-1938-1939/. La Pologne gouvernementale a martyrisé, en faisant des grâces au Reich hitlérien, ses voisins slaves, et notamment les Tchèques dont le « chacal » ou le « vautour » polonais, termes utilisés par Paris et Berlin, est allé voler en octobre 1938 le territoire de Teschen, que le Reich a récupéré en septembre 1939. C’est bien simple, l’actuel pouvoir polonais est le successeur du tandem Pilsudski-Beck, et ce n’est pas flatteur.
 
Ce que vous appelez les « déportations » et consistait en éloignement de populations jugées dangereuses pour la sécurité des frontières, notre ambassadeur à Moscou, Charles Alphand, les jugeait inspirées par la simple sécurité militaire. Voir les sources du Quai d’Orsay mentionnées dans Le choix de la défaite.
 
La haine recuite contre les bolcheviques, russes de surcroît, a été incroyablement renforcée par notRe atlantisation culturelle depuis 1945-1948 (je vous signale à ce sujet ma communication au colloque des Amis d’Henri Guillemin, dont les Actes viennent de paraître : « “Guerre culturelle” étatsunienne et histoire française des relations internationales du premier après-guerre au second », in Berthier Patrick, dir., L’enseignement de l’histoire en péril, colloque des Amis d’Henri Guillemin, 6 novembre 2021, Actes, Bats, Utovie, p. 85-104, 2022). Elle empêche toute perception un minimum honnête de la situation de l’avant-guerre et de la guerre. Lisez donc le discours de Churchill (un sacré pro-bolchevique!) aux Communes du 4 octobre 1939, qui déclare préférer voir, sur la Baltique pour l’heure, la présence militaire soviétique, car elle s’oppose (mais oui)  à l’allemande. C’est d’autant plus savoureux que c’est Londres qui avait réorienté le Reich sur la Baltique, contre l’URSS, par son fameux pacte naval de juin 1935, conclu dans le dos de la France (qui ne faisait pas mieux), pacte violant ouvertement les clauses de Versailles sur l’interdiction de la marine de guerre allemande. Et que Londres a participé pleinement au rejet de l’alliance avec Moscou non pas seulement en août 1939 mais depuis que les Soviets avaient entièrement axé leur politique extérieure sur cette alliance (certes, Churchill n’était pas au gouvernement mais c’est lui-même qui a nommé ambassadeur à Washington, en mai 1940, le symbole ou un des symboles par excellence de la capitulation permanente des « Apaiseurs », Halifax). Lisez donc les seules archives publiées britanniques, vous serez fixé.
 
Quant à la présumée grande victoire britannique aérienne sur le Reich, soyons raisonnables et évoquons les motifs du « soutien » américain à la Grande-Bretagne, qui acheva de la tuer, liquidant sa zone sterling et son empire : la bibliographie anglophone est énorme, jamais traduite et donc ignorée en France.
 
Les Russes ne voulaient pas « occuper » la Finlande : ils voulaient échanger des territoires pour protéger Leningrad, et ils n’ont pas, après leur très difficile victoire du 12 mars 1940 (vingt ans de tapage antibolchevique et russophobe avaient comme de nos jours été très efficaces) demandé un m2 de plus que ce qu’ils avaient proposé, en vain, à l’automne 1935 au gouvernement finlandais, allié objectif du Reich, notre attaché militaire Palasse passait son temps à le répéter (Le choix de la défaite, index Palasse) : la Finlande était devenue depuis 1935 (pas 1940 ou 1941), un aérodrome militaire truffé de bases allemandes. À la lumière de la suite, l’URSS a fort bien fait d’agir ainsi, ce qui a permis à Leningrad (plus d’un million d’habitants morts de faim, tués par le siège allemand) de ne pas tomber et a sérieusement aidé l’Armée rouge à vaincre le Reich . 
 
Je le répète, et pas seulement parce que j’aime bien l’URSS, c’est l’Armée rouge qui a vaincu la Wehrmacht et nulle autre. Tout le monde le savait en 1945, et les archives ont confirmé tout cela.
 
Bref, faites de l’histoire, si possible en lisant des travaux appuyés sur les sources originales, activité qui, j’en suis certaine, vous dissuadera du sarcasme permanent au profit d’un vrai débat historique. On ne demande à personne d’être « grand historien », je me contente du statut, que je revendique, d’honnête historienne. Et c’est depuis quelques décennies, en France, fort difficile quand il s’agit de sujets touchant l’URSS et bien d’autres sujets.
 
 
Annie Lacroix-Riz
Tag(s) : #Histoire
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