Pour la première fois de son histoire, l’UE a décidé d’outrepasser ses compétences pour bannir, y compris en France, des entreprises de presse financées par la Russie. Je l’affirme : oui, RT France peut être vertement critiquée pour sa ligne éditoriale. Non, la République ne sort pas grandie de ce moment sombre pour le pluralisme démocratique.
Depuis début mars, le couperet est tombé contre deux médias financés par la Russie, Sputnik et RT France, bannis de toute diffusion et tout canal par les autorités européennes, une action arbitraire soutenue par le gouvernement français. La guerre en Ukraine a légitimé cette sanction. Si l’on croit les propos de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen ou des membres de l’exécutif français, RT France serait en effet l’arme de propagande du Kremlin pour justifier la guerre menée par la Russie.
RT France ébranlerait même la démocratie. Il fallait donc l’interdire… au nom de celle-ci. Notre démocratie est-elle si fragile pour qu’un média comme RT France - qui n’a au demeurant diffusé aucune fake news - puisse tant la menacer ?
L’interdiction de RT a en fait servi d’exemple. A défaut de pouvoir faire la guerre à la Russie, le gouvernement et l’UE ont utilisé RT France comme une cible collatérale. Cet objectif s’avère davantage être une entrave à la démocratie et à la liberté pour chacun de se faire une opinion.
Les allusions avec Orwell et son livre 1984 ressurgissent inlassablement. Pour la liberté, on censure. Un ministère de la Vérité européen a décidé qu’il fallait même effacer de toutes les plateformes, de tout réseau social, le contenu de plus de cinq ans de travail et d’analyses, réalisés par une centaine de journalistes, tous reconnus en tant que tels par la Commission de la carte d’identité des journalistes de presse. J’ai personnellement travaillé sur la gauche, la droite, les syndicats, l’action gouvernementale, l’écologie, les Gilets jaunes, le gaullisme, le souverainisme, l’école, l’universalisme français… Aux oubliettes. Je n’ai pourtant jamais été accusé d’avoir désinformé, ni d’avoir trahi les propos de mes interlocuteurs.
La censure visant à supprimer un média, pourtant reconnu par les instances de contrôle, sans passer par les voies juridiques, est un fait totalement inédit depuis 1945. Même la presse pro-communiste avait droit d’existence au temps de la Guerre froide… Et c’était très bien ainsi. Cela démontrait la force d’une démocratie.
Où est donc l’Arcom (le nouveau nom du CSA), cette institution française de régulation censée juger que tel média est en conformité avec sa mission ? Totalement effacée de la décision dont elle est pourtant normalement souveraine, cette autorité de contrôle a préféré botter en touche, demandant simplement aux opérateurs de suivre la décision européenne et de bloquer toute diffusion des deux médias. La rédaction de RT France est donc coupable sans avoir fauté. Cette belle UE, censée être un espace de libertés et de protection des valeurs démocratiques, a donc franchi une étape dangereuse. Au diable, la pluralité des opinions, des idées et de l’information.
Le sujet n’est évidemment pas de défendre la ligne éditoriale de RT. Les citoyens, politiques, gouvernants ou confrères ont le droit de la critiquer, de l’attaquer. C’est même sain dans notre démocratie. C’est aussi cela l’esprit Charlie qui doit nous animer. Aucun média ne peut faire l’unanimité. Le CSA a renouvelé la convention avec RT en 2021. Aucune sanction ne lui a été adressée depuis cette période, y compris durant le conflit opposant la Russie à l’Ukraine. Avons-nous été irréprochables ? Certainement pas. Des concurrents l’ont rappelé à longueur de papiers. Ces critiques, certainement légitimes, pouvaient permettre à la jeune rédaction - qui prend ses ordres à Boulogne-Billancourt et non à Moscou - de s’améliorer et progresser. L’UE et le gouvernement ont décidé de l’en empêcher. Quel média peut-il oser dire qu’il a été pour sa part irréprochable ? Ceux qui ont repris des fausses informations sur l’Ile des serpents ? Nous - monde médiatique - pouvons globalement faire une autocritique sur notre manque de hauteur, à trop souvent chercher l’explication dans l’instantané, le cliché, l’information spectacle et l’émotion.
Oui, RT France participait au pluralisme médiatique en France, celui-ci étant la condition sine qua non pour la bonne vie démocratique d'un pays. En tant que citoyen, je ne peux que souffrir aujourd’hui…
Joanny, journaliste et membre de l'équipe SNJ (Syndicat national des journalistes)