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Le destin de la civilisation (Multipolarista)

Le déclin du dollar américain, les trois "systèmes", la guerre des sanctions contre la Russie, à la veille de la publication du nouveau livre du professeur Hudson :

 

« The Destiny of Civilization : Finance Capitalism, Industrial Capitalism or Socialism ».

[NdT : la traduction de cette interview a parfois fait l’objet d’un allégement du style "parlé", plus facile à écouter qu’à lire]

BENJAMIN NORTON : Salut, tout le monde. Je suis Ben Norton, et c’est le podcast Multipolarista. Et j’ai le grand plaisir de recevoir aujourd’hui un de mes invités préférés, l’un des économistes les plus importants au monde aujourd’hui, le professeur Michael Hudson.

Si vous avez vu l’une des interviews que j’ai réalisées avec le professeur Hudson ces dernières années, vous savez probablement que c’est un analyste brillant. Il a toujours, je pense, la meilleure analyse pour comprendre ce qui se passe économiquement et aussi politiquement, géopolitiquement, dans le monde d’aujourd’hui.Et je pense que le moment est très important pour recevoir le professeur Hudson aujourd’hui. Nous allons parler de la guerre économique contre la Russie et du processus de découplage économique entre la Russie, la Chine et l’Occident, un sujet dont le professeur Hudson parle depuis de nombreuses années. Et cela s’est vraiment accéléré avec les sanctions occidentales contre la Russie au sujet de l’Ukraine.

Nous allons également parler du déclin de l’hégémonie du dollar américain. Un récent rapport du Fonds monétaire international, qui est dominé par les États-Unis, a reconnu que l’utilisation du dollar dans les réserves des banques étrangères diminue progressivement. Cela ne va pas disparaître du jour au lendemain. Mais même le FMI reconnaît que l’hégémonie du dollar s’érode. Et, bien sûr, le FMI a reconnu que les sanctions occidentales contre la Russie vont éroder davantage l’hégémonie du dollar américain. Nous voyons maintenant la Russie faire des affaires avec la Chine avec le yuan chinois. La Russie fait également des affaires avec l’Inde avec la roupie indienne. Et bien sûr, la Russie a dit à l’Europe que si elle voulait acheter de l’énergie russe, elle devait le faire avec des roubles russes.

Il y a tant de choses à dire aujourd’hui, Professeur Hudson, mais je voudrais commencer la première partie de cet entretien en parlant d’un nouveau livre que vous êtes sur le point de publier.

Nous sommes le lundi 9 mai. Vous avez dit que le livre sortait le mercredi 11 mai. Et il s’appelle "The Destiny of Civilization : Finance Capitalism, Industrial Capitalism or Socialism" (Le destin de la civilisation : Capitalisme financier, capitalisme industriel ou socialisme).

Et tout ce que je viens de dire en préambule à cette interview, la guerre économique en Russie, les sanctions et le découplage, tout cela est profondément lié à ce dont vous parlez dans ce livre. J’ai eu le plaisir d’en obtenir un exemplaire en avance et de le lire. Je pense que c’est un livre vraiment important.

Vous parlez de ce clivage fondamental au niveau international - et c’est un clivage qui remonte en fait à l’histoire également - entre ces trois modèles de systèmes économiques différents dont vous parlez : le capitalisme financier, le capitalisme industriel et le socialisme. Et votre argument est que l’empire américain a été une force pour imposer le néolibéralisme, qui est une forme particulière de capitalisme financier, qui est non productif, dans lequel le capital financier détruit les industries productives dans la poursuite de la recherche de rente, et ce que vous appelez la classe des rentiers. Ainsi, au lieu de produire, comme les économistes bourgeois classiques avaient dit que le capitalisme serait un système productif, le capitalisme financier est fondamentalement un système de destruction et de dette. Et votre argument est que cela est profondément enraciné dans la politique étrangère des États-Unis. C’est la stratégie de politique étrangère des États-Unis pour étendre leur pouvoir économique, imposer ce modèle capitaliste financier au monde.

Pouvez-vous développer davantage votre argumentaire sur la lutte entre le capitalisme financier, le capitalisme industriel et le socialisme, et expliquer pourquoi vous avez décidé de publier ce livre maintenant ?

MICHAEL HUDSON : Le livre est né d’une série de dix conférences que j’ai données à mon public chinois. J’ai été professeur d’économie à l’Université de Pékin pendant plusieurs années et j’ai également enseigné dans d’autres universités, à Wuhan et à Hong Kong. Et j’ai un public assez large, environ 65 000 personnes par conférence là-bas. Et on m’a demandé de donner une vue d’ensemble, une sorte d’histoire du développement économique en Occident, pour les Chinois.

Pour comprendre le capitalisme financier d’aujourd’hui, il faut comprendre ce qu’était le capitalisme industriel, tel qu’il était décrit au XIXe siècle. Et on oublie souvent, ou on minimise, que le capitalisme industriel était révolutionnaire. Ce qu’il essayait de faire - depuis les physiocrates en France à la fin du 18e siècle jusqu’à Adam Smith, John Stuart Mill, Marx et toute la floraison du socialisme à la fin du 19e siècle - l’idéal de la théorie classique de la valeur et de la théorie de la rente, c’était de déterminer quelle est la valeur réelle, la valeur du coût de la production des biens et des services.

Et qu’est-ce qui est méritant pour le capitaliste, quand il emploie le travail pour faire un profit, et qu’est-ce qui n’est pas méritant ? Ce qui n’est pas méritant, c’est la classe des propriétaires. C’était la classe guerrière héréditaire qui a conquis tous les royaumes européens au Moyen-âge. Alors les industriels anglais disaient : "Regardez, nous ne pouvons pas devenir l’atelier du monde ; nous ne pouvons pas être moins chers que les pays étrangers si nous avons une classe de propriétaires qui nous arrache tout l’argent avec la rente foncière". Et si nous avons des banques prédatrices, ou si les riches prêtent uniquement pour acheter des biens, ou font des prêts en situation d’urgence ou des prêts prédateurs qui n’ont rien à voir avec le financement de la formation réelle de capital.

Ce qui a rendu ce capitalisme révolutionnaire, c’est que les industriels britanniques et les défenseurs de l’industrie, et même les banquiers à l’époque de Ricardo, ont dit que pour renverser la classe des propriétaires, qui contrôlent la Chambre des Lords et toutes les chambres hautes des gouvernements en Europe, il fallait une réforme démocratique. S’il y a une réforme démocratique et qu’on accorde le droit de vote au peuple, il votera contre la classe des propriétaires, et on aura alors une économie efficace où les prix de nos exportations des biens et services reflètent le coût réel de la production, et non la rente de la classe des rentiers, ni la rente de ce que les propriétaires prennent, ni la rente de ce que les banquiers prédateurs prennent.

Tout le long du 19e siècle qui a précédé la Première Guerre mondiale a été marqué par cette théorie révolutionnaire de la valeur qui décrivait la rente foncière, la rente de monopole et les rendements financiers comme des revenus immérités et qui voulait les supprimer.

Tout cela semblait se diriger vers le socialisme. Les industriels étaient tous en faveur des services publics de l’État, de l’entreprise publique, parce qu’ils disaient que si l’État ne fournissait pas de soins de santé, les individus devraient les payer, et cela coûterait très cher, comme c’est le cas aux États-Unis. Ainsi, le premier ministre conservateur d’Angleterre, Benjamin Disraeli, a déclaré que la santé était tout, qu’il fallait fournir une santé publique à la population. Et c’est le conservateur Bismarck en Allemagne qui a dit que l’Etat devait fournir des retraites. Si la main-d’œuvre doit économiser pour les retraites, elle n’aura pas assez d’argent pour acheter les biens et services que nous, Allemands, produisons. Les retraites doivent êtres prises en charge par l’Etat.

Toute cette évolution vers le socialisme ne visait donc pas seulement à augmenter le niveau de vie, qui a grimpé en flèche au XIXe siècle, mais aussi à libérer l’économie de la classe des rentiers, des propriétaires terriens et des banquiers. Et pour les économistes classiques, un marché libre était un marché sans propriétaires, sans banquiers, sans monopoles.

Inutile de dire que les rentiers se sont défendus. Et après la deuxième guerre mondiale, nous avons vu en permanence une théorie anti-classique remplacer l’idée classique de marchés libres par une théorie de la valeur de la liberté, disant que tout le monde mérite ce qu’il possède. Toute richesse possédée est forcément méritée. Et si les associés de Goldman Sachs gagnent plus que quiconque, c’est parce qu’ils sont très productifs. Vous avez donc eu un mouvement de rejet de l’économie classique, une économie de pacotille, et une sorte d’économie artificielle qui ne parle pas vraiment de la façon dont le capitalisme financier a fonctionné. Et il s’avère que le modèle du capitalisme financier était si prédateur qu’il en était anti-industriel.

C’est pourquoi le président Clinton, aux États-Unis, a proposé d’inviter la Chine au sein de l’Organisation internationale du travail, en disant nous pouvons lutter contre la hausse des salaires en Amérique par une course vers le bas. Nous pouvons embaucher des Asiatiques pour faire du travail, et cela provoquera du chômage ici. Et c’est merveilleux pour les industriels. Cela va essentiellement réduire les salaires et maintenir les salaires américains bas. Ceci est fondamentalement la stratégie du capitalisme financier, dont le but n’est pas d’investir dans des usines, des équipements, de la recherche et du développement, mais de vivre à court terme, de faire de l’argent par l’ingénierie financière, pas par l’ingénierie industrielle.

C’est ainsi qu’il devient prédateur, et qu’on se retrouve avec toute l’attaque idéologique contre les entreprises publiques. Vous avez « The Road to Serfdom « ("La route vers la servitude") de Frederick Hayek, où on nous dit que si le gouvernement fournit des soins de santé publics, c’est "la route vers la servitude", alors qu’en fait c’est le capitalisme financier qui est la route vers les dettes et la servitude. Vous avez maintenant un dénigrement total du gouvernement ce qui constitue une contre-révolution par rapport à l’élan révolutionnaire du capitalisme industriel à ses débuts.

Il est vrai que les entreprises sont maintenant autant à droite que les banques et les fonds spéculatifs. Mais c’est parce que l’industrie est passée sous le contrôle du secteur financier, et que les dirigeants de presque toutes les entreprises industrielles sont récompensés à la hauteur avec laquelle ils arrivent à faire monter le prix des actions, pour exercer ensuite les options d’achat d’actions qui leur sont accordées. Le prix des actions est augmenté non pas en investissant davantage, non pas en embauchant plus de main-d’œuvre ou en augmentant la productivité ou les ventes, mais simplement en utilisant les revenus dont vous disposez pour racheter vos actions. Et en rachetant ses actions, ça fait monter leur prix.

Et, surtout, en versant des contributions politiques dans ce pays aux Démocrates et aux Républicains, qui nomment les dirigeants de la Réserve fédérale qui ont dépensé 7 à 9 trillions de dollars pour acheter des actions et des obligations afin d’augmenter le prix d’un revenu des retraites, d’augmenter les prix de Wall Street, d’augmenter les prix des logements et de rendre l’Amérique encore moins compétitive sur le plan industriel. Le capitalisme financier est donc ce qui a essentiellement désindustrialisé les États-Unis et transformé le Midwest en une ceinture de rouille.

L’alternative, évidemment, ce sont les sociétés qui n’ont pas suivi ce plan capitaliste financier néolibéral. Et l’économie la plus prospère, évidemment, a été la Chine, ce qui explique pourquoi elle y a consacré autant de temps. La Chine a fait exactement ce que les États-Unis, l’Allemagne, l’Angleterre et la France du XIXe siècle ont fait. Elle a maintenu les services de base, les besoins fondamentaux, le logement et, surtout, la finance et la banque, dans le domaine public, en tant que services publics. Au lieu d’avoir un secteur financier indépendant fonctionnant dans son propre intérêt, la Banque de Chine crée l’argent. Et la Banque de Chine prête de l’argent en décidant : où faut-il investir dans l’immobilier pour fournir des logements à la population à un prix aussi bas que possible ? Comment développer l’industrie ? Comment mettre en place un système éducatif avec des formations ? Comment assurer la santé ? Et le résultat est que vous avez une planification centrale dans un style socialiste efficac. Pas une planification type stalinienne à laquelle tout le monde se réfère en Russie, mais une économie mixte comme celle que vous avez en Chine, qui est vraiment une économie mixte, avec une orientation, comme la planification française.

C’est manifestement la façon de survivre et d’éviter de surcharger l’économie avec le service de la dette, avec des loyers élevés, avec des paiements élevés aux monopoles des soins de santé aux États-Unis, en évitant tous ces paiements à une classe de rentiers qui a ce que les économistes classiques appellent des revenus immérités, des revenus prédateurs. Mais au lieu de les virer, nous les avons placé aux manettes, et fait des banques et de Wall Street, de la ville de Londres et de la Bourse de Paris, les planificateurs centraux. Nous avons donc une planification centrale beaucoup plus centralisée que tout ce dont rêvaient les socialistes. Mais la planification, la planification centralisée est faite par le secteur financier. Et la planification financière, c’est du court terme ; c’est de la planification à court terme ; c’est prendre l’argent et partir. Et c’est ce qui dépouille et appauvrit l’économie mondiale aujourd’hui.

BENJAMIN NORTON : Dans votre livre, vous écrivez sur la distinction importante entre l’idée économique classique d’un soi-disant marché libre, et comment, selon vous, les néolibéraux renversent cette idée.Vous écrivez : "L’idéologie néolibérale inverse l’idée classique d’un marché libre, d’un marché exempt de rente économique à un marché libre pour les classes rentières" - c’est-à-dire les classes qui vivent de rentes - "pour extraire la rente et acquérir une position de domination." Ils ont donc complètement inversé l’idée de ce que signifie un marché libre. Vous notez aussi que, "contrairement à l’économie politique classique, cette idéologie néolibérale promeut le favoritisme fiscal pour les rentiers, la privatisation, la financiarisation et la déréglementation." C’est, bien sûr, ce que l’on pourrait appeler le consensus de Washington. Vous affirmez ensuite que "la politique étrangère américaine cherche à étendre ce programme néolibéral rentier dans le monde entier".

Il y a aussi une section très intéressante de votre livre où vous discutez de ce concept comme "impérialisme de libre-échange". Pouvez-vous nous dire quelle est votre idée de l’"impérialisme libre-échangiste" et son rapport avec la politique étrangère des États-Unis ?

MICHAEL HUDSON : Le prix Nobel est donné essentiellement pour l’économie de pacotille. Et probablement le pire économiste de pacotille du siècle était Paul Samuelson. Il a affirmé de manière absurde qu’il avait prouvé mathématiquement que, si le commerce était libre, qu’il n’y avait pas de droits de douane et qu’il n’y avait pas de protection gouvernementale, nous serions tous plus égaux. Ou du moins les inégalités entre le travail et le ca

pital seraient moins grandes.

En réalité, c’est le contraire....

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https://www.legrandsoir.info/le-destin-de-la-civilisation-multipolarista.html

Tag(s) : #Economie
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