Chaque ville de Bielorussie rappelle à ceux qui ont vécu l'époque, le nom de batailles auxquelles s'est illustrée l'Armée rouge, durant la Grande Guerre Patriotique, et les villages des milliers d'Oradour, illustrant tragiquement la résistance populaire des Partisans...
Jour de la victoire à Minsk : un autre regard sur le monde multipolaire À plusieurs reprises dans ce journal, nous avons accordé de l'espace à des études approfondies sur la situation politique, économique et sociale en Biélorussie, en analysant ses inévitables contradictions à travers un regard attentif et sans jamais nous limiter au portrait dressé par la propagande des grands médias et des politiciens occidentaux.
Ceux qui, s'érigeant en "champions de la démocratie" au rythme des "guerres humanitaires" et des sanctions, présentent le Belarus comme "la dernière dictature d'Europe", rendant le contraste avec l'idée d'une Union européenne "de paix, de démocratie et de justice".
Mais la réalité est complexe et articulée, difficile à réduire à une étiquette, encore plus pour un pays et une population intimement liés à leur histoire, à la résistance contre le nazi-fascisme et à la lutte pour construire une alternative à la barbarie néolibérale occidentale.
D'une part, ils veulent manipuler, voire effacer l'histoire - il suffit de penser aux revirements des valeurs et du combat de la résistance partisane associée à l'armée ukrainienne et à ses bataillons de nazis -, d'autre part, ils veulent empêcher les gens de connaître la réalité des faits, en inondant les journaux et les chaînes de télévision de récits parfois fantaisistes et crapuleux.
Nous rapportons ci-dessous le témoignage de Lorenzo Trapani qui, à l'occasion des célébrations des 8 et 9 mai pour la victoire sur le fascisme nazi, a fait partie de la délégation internationale 'Nikolai Gastello' qui s'est rendue à Minsk.
Une chronique directe basée sur l'observation de la réalité sociale biélorusse qui, précisément à cette époque, exprimait toute sa signification historique et politique, plutôt que de célébrer un anniversaire. **** J'avais décidé d'écrire cet article comme un journal de voyage, dans lequel je noterais les choses importantes.
En fait, je dois admettre que le résultat est plutôt une systématisation de quelques notes prises pendant les quatre jours que j'ai passés en Biélorussie, lors de la Brigade internationale à laquelle j'ai eu la chance de participer.
Je n'ai pas rapporté tout ce que j'ai fait, ce serait long et peu pratique. Il manque tant de visites, tant de détails. Cependant, il y a des situations et des émotions qui leur sont liées et que je pense qu'il est important de transmettre, ou du moins d'essayer.
Tout d'abord, il faut faire les présentations, car la Biélorussie est dépeinte comme un pays aux teintes sombres et oppressantes, mais ensuite - en laissant de côté la propagande mesquine - peu de personnes sous nos latitudes peuvent prétendre connaître quoi que ce soit sur ce grand État slave.
La Biélorussie vous accueille avec mille forêts de bouleaux et de nombreux villages composés de maisons en bois à un étage, peintes de toutes les couleurs. Le ciel est de type continental, très haut. Si en hiver elle est couverte de mètres de neige, en mai, nous avons été accueillis par le vert des champs, les nombreux arbres et les nids de cigognes entre un village et un autre. À la campagne, on respire la tranquillité et l'équilibre ; cela ne signifie pas immobilisme ou pauvreté, comme nous serions trop facilement amenés à le penser.
Nous entrons dans le pays, prenons deux bus, profitons du paysage et en quelques heures nous arrivons à Minsk. Et nous sommes étonnés : la capitale de la "dernière dictature d'Europe", comme aiment à l'appeler les combattants de la liberté en Occident, est immense, splendide, d'une propreté irréprochable - avouons-le, les villes italiennes sont un dépotoir en comparaison -, pas un seul bâtiment, même en périphérie, ne présente de rouille. Une ville pleine de verdure et très aérée, à l'échelle humaine malgré la taille d'une métropole. L'architecture alterne entre les différents styles soviétiques, qui sont imposants, et les maisons du 17ème siècle dans le style classique impérial russe. Elle est pleine de jeunes, d'étudiants universitaires et de travailleurs ; sa circulation n'est pas du tout chaotique, presque calme, respectueuse des habitants et de tous les sons de la ville.
Ce n'est pas la ville des rêves, mais certainement une ville dans laquelle on vit très bien.
L'une des caractéristiques frappantes en arrivant dans les centres urbains biélorusses est la quasiabsence de publicité. Ce n'est pas qu'il n'y en ait pas, remarquez, il y a plein de McDonald's et d'Intimissimi et toutes sortes de grandes marques, il y a des enseignes de toutes les couleurs ; mais vous remarquez immédiatement que ce n'est pas de la publicité envahissante comme ici : si vous voulez, vos yeux peuvent l'éviter. Je n'irai pas plus loin dans les descriptions générales, bien qu'il y aurait tant à dire. Parce que ce voyage était une délégation politique pour les célébrations des 8 et 9 mai, et non une présentation par une agence de tourisme.
Les engagements "institutionnels" commencent le matin du 8 mai, lors du grand rassemblement du Jour du Drapeau, dans un immense espace situé entre le Palais présidentiel ultramoderne et la Foire de la ville. Je remarque également qu'un autre bâtiment est en construction sur le côté de la place, un énorme chantier qui laisse présager de la taille du bâtiment une fois terminé. Je demande à notre guide de quoi il s'agit : on achève les travaux de la nouvelle ambassade de Chine.
Peu avant le discours du Président de la République, nous sommes accueillis par le vice-maire de Minsk, qui nous remercie pour notre présence internationaliste et nous explique la valeur du 9 mai. Nous apprenons que le jour de la libération est en fait le 3 juillet, un jour férié qui a les mêmes contours que le 8 mai français, jour où le Belarus s'est libéré de l'invasion nazie-fasciste.
Le 9 mai, en revanche, est le jour de la Victoire, un jour férié de tradition soviétique qui est présent dans de nombreuses républiques issues de l'effondrement de l'URSS, du moins celles qui ne sont pas tombées sous le parapluie de l'OTAN.
C'était un jour conçu pour unir les peuples, destiné à célébrer la lutte pour la liberté contre la barbarie venue d'Europe centrale. Au Jour du Drapeau, la moyenne d'âge est plutôt basse, le travail des nombreuses associations scolaires et de jeunesse étant important. Mais sont également présentes les forces armées et civiles, la police, le service d'urgence, l'armée.
Tous ont épinglé sur leur poitrine le symbole de la fête, une fleur de pommier qui, précisément à cette époque, commence à fleurir, combinée aux couleurs du drapeau national. Cette année, le discours du président tourne autour de l'importance du drapeau national, qui a été conservé malgré la proposition de changement de l'opposition parlamentaire.
La question est simple : le drapeau national est l'un des symboles les plus importants de l'État, un symbole de l'histoire et de la tradition d'un peuple.
Ce n'est pas une coïncidence si en Ukraine, où le nazisme a refait surface en force, l'histoire de nos ancêtres est également effacée par la destruction des symboles et des festivals d'État. Un concept qui devrait peut-être être signalé à ceux qui, sous nos latitudes, ont "oublié", lors du concert du 1er mai à Rome, que ce sont les gouvernements ukrainiens du coup Maïdan qui ont interdit cette fête (et d'autres).
Le discours de Loukachenko était censé s'adresser au peuple, le rassurant contre l'ingérence étrangère et inaugurant un processus de changement constitutionnel dans lequel les demandes populaires sont au cœur du débat.
En ce sens, il est bon de clarifier ce que d'innombrables personnes nous ont dit, à commencer par nos guides : il est vrai que beaucoup sont descendus dans la rue lors des manifestations de l'année dernière (et les champions des droits de l'homme bafoués devraient savoir que tout le monde le déclare sans crainte d'aller en prison...), mais personne - ou presque - n'a jamais eu l'intention de "renverser le régime".
C'est de la propagande occidentale, mais elle ne tient évidemment pas la route, car elle tombe dans l'erreur décidément intentionnelle d'échanger les protestations "naturelles" d'un pays - il est structurel qu'il y ait un parti d'opposition, c'est ainsi dans tous les États, mais surtout le concept même d'opposition est à la base de la forme d'un régime démocratique - avec l'appel à un coup d'État soutenu par l'étranger, comme par hasard toujours par l'Occident libre.
Ce que nous avons trouvé au contraire, c'est un fort attachement à l'État, une grande conscience des conséquences des sanctions occidentales - si aujourd'hui les Biélorusses ne peuvent pas quitter le pays, ce n'est pas à cause du gouvernement, mais parce que nous ne délivrons pas de visas, et même pas pour le nouvel ambassadeur en Italie - et une participation à la vie publique qui, dans l'aprèsmidi du 8 et surtout tout au long de la journée du 9 mai, nous a surpris.
Il faut dire que la Biélorussie regorge de "lieux de mémoire" de la Grande Guerre patriotique et de la Résistance contre l'envahisseur nazi-fasciste. L'après-midi du 8 mai, nous avons visité certains d'entre eux. Nous nous sommes d'abord rendus au monument de Nikolai Gastello, un juif soviétique qui, le 26 juin 1941, pendant l'occupation nazie, a été le premier aviateur du Belarus à décider de sacrifier sa vie pour détruire une colonne ennemie, en s'écrasant sur elle après avoir épuisé ses munitions.
Un exemple pour les nombreux partisans qui ont lutté contre l'envahisseur et aussi celui à qui nous avons décidé de dédier la Brigade Internationaliste qui est partie en Biélorussie.
La visite du village de Khatyn, à une cinquantaine de kilomètres de la capitale, a été particulièrement émouvante. Le village, qui n'a jamais été reconstruit après le massacre au cours duquel 149 personnes ont trouvé la mort, a été réduit en cendres le 22 mars 1943 en représailles par des Polonais, des Ukraniens et des collaborateurs biélorusses et russes, après une attaque de partisans contre les occupants nazis.
Le mémorial est resté un symbole des plus de 9 000 villages brûlés, dont 186 n'ont jamais été reconstruits, devenant un véritable "cimetière des villages martyrs" de Biélorussie, abritant des milliers de capsules recueillant la terre de ces villages.
Cet espace de la memoire, du souvenir des souffrances subies par la communauté soviétique, du souvenir de la haine barbare du fascisme, une haine qui resurgit aujourd'hui violemment dans l'histoire européenne et qui détruit les peuples, est fortement ressenti : des milliers de personnes étaient là cet après-midi, des voitures de familles avec enfants, de jeunes couples en mobylette, des groupes de retraités et de lycéens avec des glaces, tous en se baladant pour ne pas oublier. Ils auraient pu choisir l'un des nombreux jardins publics de Minsk, mais ils ont préféré ce lieu de forte évocation.
La nation biélorusse tout entière a célébré, dans chaque ville et chaque village, son indépendance et son autodétermination, sur un chemin qui n'est certes pas exempt d'énormes erreurs et de profondes contradictions, mais qui reconnaît clairement les partisans qui ont lutté et continuent de lutter contre la barbarie du fascisme et l'exploitation des peuples.
Le jour suivant, le 9 mai, a été le théâtre d'une célébration que cet auteur pouvait difficilement imaginer avant de la voir de ses propres yeux. Une situation qui n'est pas seulement propre au Belarus, mais qui semble être une caractéristique des pays qui, dans leurs nombreuses contradictions, difficultés et erreurs, cherchent une voie différente du capitalisme néolibéral.
Nous avons vu plus d'un million de personnes dans les rues pour la manifestation, une énorme manifestation, une participation totale. Une chose qui ressort est le fait que tout le monde - tout le monde ! - tiennent des photos ou des portraits des martyrs de leur famille, des hommes et des femmes qui ont été tués lors des guerres passées et de la guerre actuelle dans le Donbass.
Voici une photo des années 1940 qui apparaît à côté d'une autre prise à l'époque du massacre d'Odessa ; voici une femme âgée qui montre son mari disparu en Afghanistan et une fille qui brandit la photo de son oncle. Tout le monde a ses morts et les morts appartiennent à tout le monde, car il existe un régime public qui l'emporte sur le régime privé.
Depuis huit ans dans le Donbass, des soldats de ce camp sont crucifiés et brûlés vifs, sans pitié, par les fascistes ukrainiens ; la population le sait, en est consciente. La critique facile que beaucoup voudraient crier, à savoir que dans un régime autoritaire, l'information n'est que la propagande du dictateur et que "les journalistes sont mis en prison" s'ils relatent les souffrances de la population soumise, ne trouve pas de place, pour une raison simple : ici, l'histoire "appartient à tout le monde".
Chaque famille a ses combattants, dans chaque famille quelqu'un travaille dans l'administration publique, dans la police, dans la fonction publique.
Les Biélorusses n'ont pas besoin d'allumer la télévision pour savoir ce qui se passe sur les théâtres de guerre. Ils le savent parce que leur père, leur sœur ou leur voisin le leur dit, des gens qui sont confrontés à des défis là-bas ou sur d'autres terrains.
Qu'il s'agisse de repeindre les panneaux de signalisation au sol après la neige abondante de l'hiver, d'apporter un soutien aux théâtres de combat ou de servir d'interprète et de traducteur aux délégations étrangères en visite dans le pays - comme ce fut le cas pour notre guide - c'est la fonction collective et publique qui compte : tout cela constitue des "services à la nation", apportant sa contribution à son développement.
Quelque chose que nous, dans la ouate du monde bourgeois, dans le froid de nos chambres fermées où nous écrivons sur Facebook, ne pouvons même plus imaginer. Et il est important de clarifier un point : il existe des réseaux sociaux au Belarus aussi, les gens regardent des photos sur Instagram là aussi ; mais la différence est qu'il n'y a pas que cela.
Le discours du président est toujours au pluriel, il se concentre sur l'affrontement que l'Occident a mené contre tous les peuples du monde, il s'élève contre le terrorisme de l'OTAN, il rappelle les crimes des Américains dans le monde, les provocations d'aujourd'hui, il déclare sans hésiter faire allégeance au camp russe dans l'affrontement en cours en Ukraine et appelle à lutter contre les mensonges réservés à "la dernière dictature de l'Europe".
Une petite parenthèse à cette définition, à laquelle je ne m'attendais pas : en Biélorussie, le fait d'être considéré comme "la dernière dictature d'Europe" est dit très sereinement, presque en riant. C'est une expression que l'on retrouve dans un discours présidentiel ou au milieu des rires d'un bar.
Je pense qu'il est bon d'insister sur ce point car, dans ce cas, le choc idéologique sur le terrain est évident : ce que nous considérons comme un peuple pauvre, soumis, privé de liberté, nous retourne la situation et, pouvant élargir son regard de la vieille Europe au monde entier - ce qui est décidément difficile pour nous - nous rappelle que ce sont eux qui luttent dans le monde entier contre l'impérialisme occidental, contre la surpuissance du capital, pour la liberté des peuples.
En bref, c'est nous qui en avons besoin, et non l'inverse, au grand dam de toutes les organisations de défense des droits de l'homme. Au moment des coups de canon, à la fin du discours présidentiel, on est assourdit par une énorme ovation du peuple, les militaires sont au garde-à-vous, les enfants crient de joie dans les bras de leurs proches, des milliers de drapeaux flottent dans le ciel.
La Biélorussie se présente comme un pays extrêmement attaché à son histoire. En effet, les maîtres ne sont pas oubliés, Lénine et Staline sont partout, même sur la scène principale, juste à côté de la flamme éternelle, vers laquelle tout le monde se tourne en criant "Vive la patrie ! Honneur à la patrie !"
Ces personnes ont vu l'URSS et s'en souviennent bien. Une fête populaire digne d'un conte d'une autre époque, surtout pour un monde comme le nôtre, extrêmement atomisé, une somme de solitudes qui se frôlent mais ne s'unissent pas.
Toute la ville a participé à un rassemblement grandiose, où l'on mangeait des brochettes typiques et où l'on jouait aux soldats, avec des musées ouverts et gratuits pour tous, d'énormes files d'attente pour y entrer, des démonstrations militaires et civiles pour tous les âges, des transports gratuits et un millier de concerts dans plusieurs quartiers de la capitale.
Qui sait, peut-être que pour le lecteur occidental, ces mots sembleront creux, la rhétorique pauvre d'une autocratie qui se permet encore de résister à la démocratie made in USA et EU et à la pax atlantica. Mais peut-être devrions-nous nous réveiller de ce sommeil enchanté et dangereux dans lequel nous dormons : les peuples du monde ne peuvent pas être modelés à volonté dans notre moule.
Il existe, sous toutes les latitudes, des peuples qui ne se plient pas, qui font des erreurs, qui continueront à en faire, qui tentent d'inventer de nouvelles formules ou de réadapter d'anciennes. Mais ils n'accepteront jamais le rôle écrit pour eux dans le misérable scénario de la folie capitaliste. Il sera bon de s'en rendre compte rapidement.
Ce ne sont pas les peuples du Monde qui ont besoin de l'aide de l'Occident ; ce sont les peuples de l'Occident qui ont besoin de l'aide des peuples du Monde.