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             Le blog de Bertrand Renouvin 

 

Leurs hommages à l’innomable,  

 

par Bertrand Renouvin

 

Comme tant d’autres, Emmanuel Macron croit ou semble croire qu’il suffit de prononcer des mots pour apaiser les angoisses et rallier les suffrages. L’évocation de la souveraineté est fréquente dans ses discours et la planification écologique est entrée depuis peu dans sa panoplie conceptuelle. Il s’est même présenté en défenseur de l’indépendance de notre pays…

Comme les mots ne se concrétisent pas, ou seulement sous une forme caricaturale, le discrédit de la parole publique s’en trouve aggravé. La “gouvernance” macronienne persévère cependant dans la fiction pour des raisons qu’elle ne peut exposer sans se perdre : sa défense acharnée des intérêts de la classe supérieure, son adaptation fataliste à la domination américaine et aux normes de l’Union européenne, sa conviction que la France est un trop petit pays pour peser dans le vaste monde.

A la manière dont les fils de famille dilapident le capital paternel, l’oligarchie vit sur les beaux restes de la nation française : l’Etat, dont elle casse les ressorts, l’industrie, dont elle a dépouillé la nation, le dynamisme de son peuple qu’elle épuise en offrant aux classes moyennes et populaires un déclassement sans fin. Tout cela tient grâce au fameux “pragmatisme” : à Paris, à Bruxelles, à Francfort, on oublie les grands principes néolibéraux pour soutenir massivement l’économie paralysée par la crise sanitaire, pour s’en remettre à la création massive de monnaie par la Banque centrale européenne, pour fabriquer des plans de relance.

Les discours officiels sur la souveraineté et les pratiques dirigistes sont autant de concessions tactiques au peuple français. La classe dirigeante est bien forcée d’admettre, avec un mépris rageur qui se manifeste dans les médias, que les Français sont attachés à l’Etat national et à sa fonction protectrice, à la souveraineté selon toutes ses modalités, au rang de la France dans le monde. C’est pourquoi, à chaque élection, le vice néolibéral marchant au bras du crime ultralibéral rend hommage aux vertus patriotiques d’un peuple tenu difficilement sous le joug.

On rend également hommage à une mouvance à tous égards innommable. Elle n’a pas de nom, elle n’a pas de structures partisanes repérables et les idées qu’elle émet ne sont pas admises dans les médias de référence – sauf pour y être travesties et amalgamées à l’extrême droite. Nous connaissons bien cette mouvance, puisque nous y appartenons. Nos lecteurs savent que le courant de pensée qui l’inspire remonte au XVIe siècle  – le parti des Politiques – et que son expression contemporaine est gaullienne. Après la liquidation du parti gaulliste par Jacques Chirac et les tentatives manquées pendant la période mitterrandienne, le Pôle républicain avait esquissé voici vingt ans une politique de rassemblement que Jean-Pierre Chevènement abandonna brutalement. Les thématiques anti-européistes qui subsistaient dans les formations populistes de gauche et de droite ont été reniées après la présidentielle de 2017, à la fois par Marine Le Pen et par Jean-Luc Mélenchon et notre courant est aujourd’hui représenté par de petits groupes politiques qui sont des répliques – technologisées – des sociétés de pensée du XVIIIe siècle.

Marginales dans le champ médiatique et partisan, ces sociétés de pensées produisent et diffusent par le biais des maisons d’édition, de la presse et des réseaux sociaux des textes critiques et des projets auxquels Royaliste fait régulièrement écho. Ce travail collectif fait l’objet d’une double reconnaissance négative : les thèmes “souverainistes” sont récupérés et détournés par la communication officielle tandis que les médias dominants couvrent les thèses hétérodoxes et leurs auteurs d’étiquettes infamantes. Ce qui n’empêche pas l’existence d’un vaste public acquis à ces idées, dont l’importance peut être mesurée sur les réseaux sociaux.

Il y a donc un courant politique situé dans la perspective gaullienne qui a subi défaite sur défaite sur le terrain de la politique partisane mais qui a retrouvé assez de puissance intellectuelle pour qu’on veuille récupérer sa thématique en espérant l’anéantir. On peut bien sûr prendre les mots et les formules mais le projet gaullien est irrécupérable en raison de sa cohérence interne et indestructible à cause de sa profondeur historique. C’est ce qui fait la difficulté, parfois difficilement supportable, de notre situation. Nous ne pouvons participer à une entreprise contestataire de droite ou de gauche car le projet de reconquête de la souveraineté implique une stratégie incompatible avec le système engendré par l’Union européenne.

Il faut donc réaliser un nouveau type de rassemblement offert aux classes moyennes et populaires en révolte et à toutes les familles politico-intellectuelles qui peuvent se reconnaître dans un projet patriotique et révolutionnaire.

C’est possible car de nombreuses volontés sont à l’œuvre, mais cela ne se fait pas parce que personne, pour le moment, n’est décidé à incarner ce qui déjà nous rassemble.

***

Editorial du numéro 1236 de « Royaliste » – 6 juin 2022

Tag(s) : #Opinion
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