Nicolas Sarkozy a annoncé que les enfants scolarisés en CM2 devront, chacun, s'approprier la mémoire d'un enfant juif massacré par les nazis. Cette décision rassemble contre elle, non seulement les historiens, les enseignants, mais aussi des personnalités telles que Simone Veil ou Régis Debray. Les raisons qu'ils invoquent pour mettre en doute le bien-fondé de la démarche présidentielle, relèvent de considérations psychologiques : les enfants d'aujourd'hui pourraient être traumatisés par l'identification macabre avec d'autres enfants morts, il y a soixante ans. D'autres motifs d'hostilité sont exprimés : entre autres, le danger de voir se multiplier des mémoires parallèles, celles de l'esclavage, de la colonisation. Ce qui conduirait à des "mémoires communautaristes", divisant la nation.
Tout cela est vrai.
Mais, au-delà de ces considérations, il est bon de voir l'essentiel de la démarche de Nicolas Sarkozy : la déformation programmée de l'Histoire, pour désinformer le peuple.
Nicolas Sarkozy, comme à son habitude, utilise le passé pour monter des 'opérations politiques'. Il avait usé de la même méthode avec l'évocation de la figure légendaire de Guy Mocquet, et la lecture en classe de sa dernière lettre . Il s'agissait alors d'une récupération démagogique pure et simple, doublée d'une escroquerie morale.
Le jeune communiste a été condamné et fusillé pour ses idées. Celles que combat aujourd'hui Nicolas Sarkozy.
Faut-il également rappeler que les hitlériens faisaient l'amalgame entre juifs et communistes; ceux-ci étaient pour eux des "judéo-bolcheviks".
Sarkozy tente, avec sa nouvelle décision, de se rallier l'électorat d'origine juive. Le lieu où il s'est exprimé, le dîner du CRIF, en constitue la confirmation. Le Président, sacré champion de la lutte contre l'antisémitisme, cela peut procurer des voix...à quelques semaines des élections !
A la vérité, le Président limite son indignation aux seules conséquences de ce fléau, sans jamais aborder l'histoire de ce phénomène. Pourtant, l'antisémitisme développé par le gouvernement de Vichy, puise ses racines loin dans notre histoire. Sans revenir au Moyen-Age et aux pratiques de nos bons rois (celles de Louis IX, dit abusivement 'Saint-Louis', qui antiipait sur le port de l'Etoile jaune, et faisait crever les yeux des juifs), il serait bon, enjambant les siècles, de revenir directement à la période qui précéde la défaite : les années trente qui ont débouché sur la guerre, la capitulation et l'assassinat de la Troisième République.
Comme toujours, en temps de crise, il faut un bouc émissaire. Au crime religieux de "déicide", répandu par l'Eglise catholique, sa hiérarchie et sa presse, à l'encontre des "israëlites" ( terme utisisé par la gauche à l'époque), s'ajoute la notion de "race", mise en avant par Hitler, de l'autre côté du Rhin. Les ligues fascistes, leurs leaders, leurs journaux, vont relayer chez nous cette "théorie". Croix-de-Feu, du colonel de la Rocque, Jeunesses Patriotes de Taittinger, Camelots du Roi de Maurras et Daudet, députés célèbres, tels Xavier Vallat et Philippe Henriot , conseillers municipaux des quartiers bourgeois comme Darquier de Pellepoix, des intellectuels en vogue, Robert Brasillach et Drieu La Rochelle, tous, de droite comme d'extême-droite, mènent une campagne de haine et de violence contre les juifs.
Charles Maurras écrit dans son quotidien, L'Action française* :
"L'effroyable vermine des Juifs d'Orient empeste plusieurs arrondissements de Paris. Ils y aportent les poux, la peste, le typhus, en attendant la révolution".
Xavier Vallat se fait, à la Chambre, le porte-parole de l'opposition antisémite. S'adressant à Léon Blum, le nouveau chef du gouvernement de Front Populaire, il déclare, sous les applaudissement des élus de droite :
"Votre arrivée au pouvoir est incontestablement une date historique. pour la première fois, ce vieux pays gallo-romain sera gouverné par un juif !"**.
Seules l'extrême- gauche et la gauche protestent contre ces propos.
L'hebdomadaire Gringoire - qui tire à plus de 600.000 exemplaires - sous la plume d'Henri Béraud, écrit*** :
"Sommes-nous le dépotoir du monde ? Par toutes nos routes coule sur nos terres une tourbe de plus en plus grouillante, de plus en plus perfide. C'est l'immense lot de la crasse napolitaine, de la guenille levantine, des tristes puanteurs slaves, de l'affreuse misère andalouse, de la semence d'Abraham et du bitume de Judéé".
Dans un autre hebdomadaire, Je suis partout, Robert Brasillach rédige l'éditorial :
"Il nous faut organiser un antisémitisme de raison et d'Etat", et d'assimiler les juifs et les singes. "On en verrait partout, au théâtre, au café, dans les marchés, les foires :
"Il en vient de tous les pays, d'Allemagne, de Bohème, de Russie.Comme ces animaux sont assez malins, ils viennent chez nous où ils se sentent à l'abri pour l'exercice de leur chapardage, de leur lubricité. Voilà la stuation. Ce que nous appelons l'antisimiétisme (veuillez bien lire, je vous prie), devient chaque jour une nécessité plus urgente".****
L'article paraît librement, sans aucune poursuite. Nous ne sommes qu'en mars 1939...encore sous la Troisième République. Il est vrai que celle-ci, sous l'impulsion du président du Conseil, le radical Edouard Daladier, instaure officiellement le 12 novembre 1938, les premiers camps de concentrations pour "étrangers indésirables", les réfugiés fuyant l'Europe fasciste et nazie, dont beaucoup de juifs...Le premier camp sera ouvert le 21 janvier 1939, à Rieucros, en Lozère.
La République, à l'époque, était déjà 'grosse' du futur régime de Vichy.
Les porte-paroles de l'antisémitisme des années trente devaient trouver leur apothéose sous Pétain et dans la Collaboration. Ainsi, Xavier Vallat, puis Darquier de Pellepoix seront "commissaires aux questions juives, sous Vichy, Philippe Henriot, ministre de la Propagande sous l'uniforme de la Milice, Charles Maurras, l'inspirateur de la politique antisémite des premiers gouvernements du Maréchal, Gringoire et Je suis partout poursuivront, le premier en zone sud, le second à Paris, leur propagande antijuive, Brasillach sera fusillé à la libération.
Mais ce serait une erreur de croire que l'antisémitisme n'était le lot, avant-guerre, que d'une poignée d'excités qui devaient sombrer dans la Colaboration avec l'ennemi.
A la fin des années Trente, d'autres voix chantaient la même chanson sans faire partie de l'extême-droite. Ainsi, l'écrivain Jean Giraudoux, dans un livre intitulé "Pleins pouvoirs", édité en 1939, formulait ainsi sa pensée :
"Notre terre est devenue terre d'invasion, soumise comme la Rome antique à l'infiltration continue des Barbares. Il faudrait que l'on dose l'afflux et la qualité des immigrants (on dirait du Sarkozy...). On éviterait ainsi l'installation en France de cet immigrant débarqué à onze heures de la gare de l'Est et qui peut à midi ocuper une boutique du boulevard de Sébastopol et vendre ses bagages et ses fourrures. Nous les trouvons grouillant sur chacun de nos arts ou de nos industries (...) dans une génération spontanée qui rappelle celle des puces sur le chien à peine né. Ainsi, sont entrés chez nous des centaines de mille Askenasis échappés des guéttos polonais ou roumains qi apportent, là où ils passent la concussion, la corruption".
Que pensez-vous qu'il advint de cet homme de lettres, en notre République ? Il fut nommé, en cette même année 1939, Commissaire à l'Information du gouvernement Daladier ...Il est vrai que celui-ci, faute de s'occuper des hitlériens français, pourchassait les communistes. Certains d'entre eux, sortis des camps de concentration et des prisons "républicains", seront fusillés, quelques mois plus tard, par les occupants nazis.
C'est dire que l'antisémitisme ne se conjugue pas seulement à partir de la Shoha. Celle-ci résulte d'un antisémitisme, d'abord d'origine religieuse, puis ensuite imprégnée de racisme et de xénophobie, développé par le canal d'une droite "sans complexe", soutenue par une Eglise au service des puissants et du régime de Vichy.
Cette vérité, oui, serait bonne à dire, même aux enfants, dès l'âge de dix ans. Car il n'est pas trop tôt pour connaître l'Histoire, la vraie, celle que nos élites cachent, dénaturent aujourd'hui, pour des raisons de classe. Car, hier comme aujourd'hui, la droite au pouvoir, et tous ceux qui collaborent avec elle, d'où qu'ils viennent, servent les intérêts des nantis, de ceux qui mènent le monde : le capital.
Aussi, faut-il éviter que nos enfants, les jeunes des collèges, des lycées et des facultés aient vent de cette réalité. Le projet de Nicolas Sarkozy s'inscrit dans le sens de cette réécriture du passé.
Si nos enfants connaîssent la véritable Histoire de leur pays, et celle des autres peuples, l'avenir, riche d'espérance, pourrait enfin leur appartenir.
Redoutable perspective pour la classe qui nous gouverne !
* L'Action française, du 6 mars 1920
** Séance de la Chambre des députés, du 6 juin 1936
*** Gringoire, du 7 aoùt 1936
****Je suis partout, du 31 mars 1939
Les citations sont prises dans l'ouvrage de Jean LEVY :
DE LA REPUBLIQUE A L'ETAT FRANCAIS
Le chemin de Vichy 1930-1940
Editions L'Harmattan