Le Monde voit rouge (si l'on peut dire !) quand est évoqué le nom de Fidel Castro. Le 'lider' cubain fait partie des ennemis personnels du quotidien du soir avec Mahmoud Ahmadinejad, Valdimir Poutine, Hugo Chavez et 'les dirigeants chinois'. Tous sont marqués du sceau de l'infamie : ils ont en commun le souci premier de préserver l'indépendance de leur peuple, face à l'impérialisme, étatsunien en premier lieu. Péché impardonnable pour ce journal, dont l'ancien directeur affirmait, il y a peu d'années encore, : "Nous sommes tous américains !".
Cuba dans ce concert d'imprécations occupe une place de choix.
Le 21 février dernier, Le Monde consacre à Fidel et à la révolution cubaine un éditorial, une page de commentaires confiés à des opposants au régime, ainsi qu'une enquête, de deux pages encore, menée par Paulo A. Paranagua, un adversaire patenté de Castro.
Comme cela ne suffisait pas, Bertrand Le Gendre, éditorialiste, s'en prend, le lendemain, avec véhémence aux Français qui ont marqué, ou qui marquent encore, une sincère amitié pour l'expérience du socialisme caraïbe. Sa chronique a pour titre : "Le castrisme, une passion française". L'auteur ne décolère pas contre les intellectuels qui ont soutenu la révolution cubaine : Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, d'abord, et même Jean Daniel (il y a très longtemps...), Régis Debray, "le futur compagnon du 'Che' en Bolivie (qui) se forme à la guérilla dans les camps d'entrainement de l'île". Le Gendre ajoute à sa 'liste rouge' "Claude Julien, du Monde, qui a même devancé Sartre dans une série de six 'papiers' chaleureux, "Cuba, ou la ferveur contagieuse".
Le Gendre est indigné : lire cela dans Le Monde, voyez-vous çà !
Aussi, il explique :
"L'influence du Monde dans l'intelligensia est alors comparable à celle de France-soir dans le grand public. Ils donnent le la".
Certes, l'influence du quotidien du soir n'est plus la même aujourd'hui.
Le chroniqueur, scandalisé, commente :
"A l'heure où Sartre et Le Monde s'extasient, 'Fidel', Raoul Castro et Guevara ont déjà fait exécuter plus de six cents partisans du dictateur Batista, ou prétendu tels. Le nouveau régime refuse d'organiser des élections. La presse est bâillonnée et les prisons se remplissent d'opposants".
Le Monde est moins effarouché par le camp US de Guantanamo, à Cuba aussi, mais du "bon côté", là où les internés sans procès, sont l'objet de tortures. Certes, il n'approuve pas son caractère d'illégalité made in USA. Ces pratiques sont jugées regrettables. Mais elles n'affectent en rien l'admiration que le journal porte à la 'grande Démocratie américaine'. Par contre, à Cuba, le 'monde des affaires' n'existe pas. Il ne peut donc pas contrôler la presse. Celle-ci n'a pas de financier comme Alain Minc, ni de banquier, tel Louis Schweitzer, pour présider ses Conseils de surveillance, ni de Lagardère dans son capital.
Le Monde, du temps de Claude Julien, non plus.
Que l'île, parce que le régime castriste a refusé la loi du marché et la libre concurrence, soit l'objet d'un blocus américain depuis près de cinquante ans, ne pose aucune question à Bertrand Le Gendre.
Que Cuba socialiste figure parmi les tous premiers états du monde, au palmarès établi par l'UNESCO, dans le domaine de la santé et de l'éducation, laisse de marbre cet éditorialiste.
Celui-ci, au contraire, s'étonne et s'émeut du fait qu'il demeure encore aujourd'hui des gens pour admirer Fidel. Et de pointer du doigt Danielle Mitterrand "qui voit en Castro 'le porteur d'un message d'une révolution différente de la campagne de diffamation portée contre lui'".
La colère du quotidien se fait plus âpre encore :
"Il faut ouvrir Le Monde diplomatique pour constater que le soleil de la révolution cubaine luit encore faiblement (...) On y lisait que 'l'anticastrisme primaire est le libéralisme des imbéciles'".
On comprend que Le Monde se sente visé.
Plus grave encore la constation morose qu'il fait :
"Une certaine gauche a reporté sa ferveur d'antan sur l'avènement en Amérique latine du "socialisme du XXIème siècle" dont Hugo Chavez, le président vénézuélien, est la figure de proue".
Et c'est sans compter l'Equateur et la Bolivie, les Etats qui, avec le Venuezuela, reconnaissent en Cuba socialiste, la courageuse nation qui leur a permis de s'émanciper eux-mêmes.
C'est à désespérer de l'intelligence du monde. Du Monde ?