Telle est l'opinion émise par Jean-Louis Andréani, dans une analyse sur "la revanche des langues régionales" (Le Monde, du 3 juin).
De quoi s'agit il ? A l'occasion du débat parlementaire portant sur la révision de la Constitution, les élus des deux bords ont inscrit les langues régionales au "patrimoine" de la France. Cette initiative vise-t-elle à protéger ces dites langues, au même titre que les monuments anciens, pour empêcher qu'elles ne sombrent dans l'oubli ? Pourquoi pas après tout, des dispositions analogues sont prises à l'égard de fromages de terroir et de vins de pays. Mais s'agit-il bien seulement d'une pieuse conservation de richesses linguistiques ?
Rien n'est moins sûr.
Andréani nous rapelle que :
"Soucieux de cimenter définitivement l'unité nationale, les instituteurs, les "hussards noirs" de cette République-là, avaient mis beaucoup d'énergie, à la fin du XIXe et au début du XXe siécle, à extirper de la vie quotidienne des élèves de l'école publique tout ce qui était patois et parlers locaux".
Cette explication éclaire les objectifs recherchés, et non avoués, des politiciens de "gauche" comme de droite, dans leur volonté de remettre à l'honneur les langues régionales. Pensez donc : "cimenter définitivement l'unité nationale" est devenu aujourd'hui un sentiment qui relève du pire "souverainisme", à l'heure de l'Europe supranationale.
Des voix s'élèvent depuis des années, en particulier celles de socialistes, élus bretons comme Bernard Poignant et Marylise Lebranchu, pour célébrer la vertu des langues régionales. Ils avaient, dès 1998, plaidé cette cause auprès de Lionel Jospin, alors Premier ministre. Aujourd'hui, comme l'écrit l'analyste du Monde :
"Pour tous les militants ou sympathisants des langues régionales, le symbole d'une garantie constitutionnelle est bien sûr très fort. Toutefois, le pas décisif, de leur point de vue, reste à franchir. Il s'agit de la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires".
Et Andréani nous retrace l'histoire du long feuilleton, non abouti, de la ratification souhaitée par les partisans de l'Europe intégrée. Adoptée par le Conseil de l'Europe, en 1992, Chirac, d'abord en 1996, Jospin ensuite en 1998, ont multiplié leurs efforts pour obtenir la ratification de la Charte. En vain. Le Conseil d'Etat et le Conseil constitutionnel s'y sont opposés, car la Constitution stipule, dans son article 2 : "La langue de la République est le français".
Lionel Jospin tente d'obtenir de Jacques Chirac, une réforme constitutionnelle pour bannir cette maudite phrase. Le président de la République s'y refuse, jugeant que la réforme proposée "porterait atteinte aux principes fondamentaux de notre République"...
En effet, avec la Charte, tout plaignant pourrait exiger un procès dans sa langue régionale, et pourquoi pas l'enseignement donné à l'école ? On mesure ainsi les fissures prévisibles dans la "République, une et indivisible", et les ferments de "communautarisme" que la Charte décèle. Rappelons l'utilisation des langues régionales par les "autonomistes" bretons et alsaciens qui sont devenus des auxilliaires zélés de l'ordre nazi pendant l'Occupation. Ils oeuvraient déjà à la partition du territoire national dans le cadre d'une Europe allemande.
Mais, benoîtement, Jean-Louis Andréani insiste sur "le besoin de racines" qui motive "la revendication d'une identité régionale (...) corollaire de la globalisation".
Et si, pour maintenir un lien collectif et affectif entre les citoyens, l'antidote à la globalisation était, au contraire, le sentiment d'appartenance à la nation ? Notre langue commune depuis des siècles et des siècles, n'est-elle pas le français ?
Nos grands écrivains, de Michel Eyquem de Montaigne, natif du Périgord, à Rémi Belleau, le Picard, François Rabelais, de Chinon, Pierre Corneille, le Normand ou Jean-Jacques Rousseau, le Suisse, tous n'écrivaient-ils pas naturellement en français ?
Notre langue commune n'est-elle pas apparue fort tôt comme "la" langue européenne par excellence, et symbole de la civilisation raffinée dans les cours étrangèes, au XVIIIe siécle ?
Le français, parlé par tous les écoliers, de Lille à Perpignan, et de Strasbourg à Quimper, est devenu, depuis plus d'un siècle, grâce à l'école républicaine, le lien, le ciment qui unit l'ensemble des citoyens de notre pays. C'est peut-êre cela que nos élites européennes cherchent à morceler, voire à briser.
La langue française, le maintien de son monopole, demeurent, plus que jamais, un enjeu national.
Raison de plus pour rester vigilants : nos adversaires n'ont pas renoncé.