Rien n'arrête Baratin de Matuvu. Son dernier spectacle n'ayant pas réuni les foules attendues et sa notoriété accusant une forte baisse, notre célèbre prestidigitateur avait décidé de frapper un grand coup pour remonter la pente. A cette fin, il convoqua la presse dans un modeste casino Lucien Barrière. Chacun, dans le milieu, parlait d'un "quitte ou double" pour sa future carrière. Ainsi, le 5 février, le grand artiste réunit la fine fleur des médias pour leur exposer comment il comptait rebondir, à la faveur de sa prochaine tournéee. En fait, les journalistes réunis par Matuvu n'étaient que des comédiens médiocres, des illisonnistes, liés à sa troupe, jouant, pour l'occasion, le rôle d'interlocuteurs privilégiés, mais ce sont là ficelles habituelles du métier.
Délaissant sa cape brochée d'or de chez Hubert de Givenchy (valeur 75.000 euros), sa baguette ciselée de diamants Boucheron (135.000 euros), Baratin de Matuvu était vêtu d'un bleu de chauffe, directement vieilli en atelier par Karl Lagerfeld, et coiffé d'une casquette made England, acquise à Regent Street.
D'entrée, le grand magicien fit le procès de tous ses collègues qui n'hésitent pas, par ces temps de crise, de faire du Fouquet's, leur cantine quotidienne, d'exhiber montres de luxe et vagabondages méditerranéens sur des yachts amicaux . "Il faut savoir se serrer la ceinture, surtout si celle-ci provient de chez Hermès !", fustigeant ainsi, courageusement, ses fournisseurs habituels.
Baratin de Matuvu commence cet entretien par une explication sur les difficultés rencontrées par les artistes, spécialement par les grands dans son genre : "Avec la crise qui les frappe, les élites ne peuvent plus protéger les Beaux-Arts et la Culture. Je propose donc d'offrir un billet de music hall, à prix réduit, à toute personne se trouvant en possession d'un ticket de caisse d'un MacDO. De même, je souhaite que les plus pauvres des spectateurs, puissent bénéficier d'un repas aux restaurants du Coeur et d'une nuit dans un abri bus".
Ces propositions concrètes, sociales au premier chef, furent accompagnées d'autres suggestions. La crise étant globale, il était urgent de promouvoir des mesures d'ordre mondial. Ainsi, "le plus grand des prestidigitateurs de notre époque" (pour reprendre l'expression du journal Le Figaro, qui finance la publicité de l'artiste), propose ensuite, que soient mis en place, en accord avec "la communauté internationale des artistes de variété", des concerts à prix cassé dans chacun des principaux "paradis fiscaux", "afin que ceux-ci deviennent des lieux de plaisir ouverts à tous". Le tiers du prix du voyage serait déduit, du montant de l'impôt sur le revenu des intéressés.
Enfin, mesure capitale, au niveau de la spiritualité, domaine où le prix des indulgences n'a pas suivi celui du coût de la vie, la visite régulière des lieux de culte doonnerait droit à une baisse sensible du taux de TVA sur le vin de messe, les kipas, les chandelles et les livres saints. Un abonnement d'un an à l'Osservatore Romano pourrait permettre un pélerinage à mi-tarif à Saint-Jean de Latran, lieu sacré entre tous où le chanoine d'honneur fait des tours célèbres de magie.
Baratin de Matuvu annonce ensuite que sa prochaine tournée européenne, se fera en duo avec la magicienne célèbre outre-Rhin, la grande Angela, la walkirie de l'illusion, dans une représentation exceptionnelle au célèbre cabaret berlinois "Lili Marlène". (Pourtant, à la date prévue, Angela devrait jouer sur la scène du Bolchoï, à Moscou avec le clown triste, Vladimir...).
Mais le projet le plus spectaculaire que Matuvu a dévoilé, c'est sa tournée à Londres, le 20 avril prochain, en compagnie des vingt principaux artistes du monde. Notre prestidigitateur compte bien, à cette occasion, être "en haut de l'affiche", bien avant O'Bama, le spécialiste de magie noire, qui joue actuellement à la Maison Blanche. Baratin de Matuvu annoncera son projet de refonte complète de la profession mondiale des Artistes. Il espère bien la présider, vu que son illusionnisme est, pense-t-il, "de qualité bien supérieure à tous les autres".
Ainsi s'est tenu ce grand show de notre prestidigitateur national, devant ses quatre compères charmés du spectacle.
Par contre, si l'on doit porter crédit aux premières réactions du monde des variétés, la prestation de Matuvu ne serait pas de nature à modifer la courbe desendante de sa notoriété. Il est vrai que l'opinion de cette faune, peuplée d'aigris, avides de succès, toujours prête à manifester, ne reflète pas l'état d'esprit de l'élite supérieure du spectacle, dominant la scène politique de notre pays.