par Jean Géronimo
par Comité Valmy
‘’Dés 1994, Washington accorde la priorité aux relations américano-ukrainiennes. Sa détermination à soutenir l’indépendance du pays est généralement perçue à Moscou – y compris par les ‘modernisateurs’ – comme une intrusion dirigée contre les intérêts vitaux de la Russie, laquelle n’a jamais abandonné l’idée de recréer un espace commun.’’
Z. Brzezinski Le Grand échiquier (2000, p. 140)
Après la crise géorgienne de l’été 2008 - centrée sur un problème nationaliste - la Russie a dû affronter en janvier 2009 la crise ukrainienne, centrée sur un problème énergétique . Avec une hardiesse surprenante et selon une approche unilatéralement focalisée contre Moscou, restée selon eux ‘’fidèle à l’URSS’’, certains ont qualifié la récente crise gazière de ‘’nouvelle guerre froide’’ .
Il s’agit, dans un premier temps, de relativiser cette analyse fondée sur des préjugés désormais caducs et percevant la Russie comme un simple ‘’avatar de l’Union soviétique’’ . Dans l’optique de comprendre l’implicite de cette crise, on se doit d’abandonner toute lecture conjoncturelle et événementielle, privilégiant une dimension médiatique nourrie des vieux reflexes anti-communistes.
Dans une perspective plus structurelle, si on considère que la Géorgie et l’Ukraine sont des leviers potentiels de l’ingérence américaine en zone post-communiste, cette succession de crises prend une dimension stratégique, liée au vieil antagonisme russo-américain. En effet, depuis la disparition de l’Etat soviétique le 25/12/1991 – et faute de contrepoids idéologique crédible – Washington tend à projeter, de manière unilatérale, sa puissance militaire et sa vision du monde à l’échelle planétaire. Cela a été clairement rappelé par R. Kagan (2006, p. 46), un des leaders du courant néo-conservateur américain :
‘’Dans l’Histoire, la puissance militaire des Etats-Unis à l’issue de la guerre froide et, notamment, sa capacité à propulser cette puissance aux quatre coins du globe, demeurent sans précédent.’’
Et surtout, selon l’aveu troublant de Z. Brzezinski du 30 mars 2008, l’Amérique se devait de saisir ‘’l’opportunité du ‘moment unipolaire’ ’’ né de l’effondrement de l’Union soviétique .
Tendanciellement, l’Amérique a réussi à imposer ses choix stratégiques majeurs au monde, finissant par configurer un ordre international conforme à ses intérêts. De manière implacable, cette orientation stratégique post-guerre froide a été patiemment appliquée, souvent au mépris des intérêts russes :
‘’Les Etats-Unis n’ont (jamais : jg) renoncé à aucune des leurs décisions précédentes telles que l’élargissement de l’OTAN, le redéploiement des leurs bases de l’Europe de l’Ouest vers l’Europe de l’Est, la militarisation de l’espace et de l’Arctique, ainsi que des opérations militaires hors de la zone de responsabilité de l’Alliance. De plus, Washington poursuit le dialogue stratégique avec Pékin’’ .
Désormais, l’hyperpuissance américaine, autoproclamée seul arbitre légitime du nouvel ordre international, considère l’Eurasie comme ‘’son’’ espace politique et en cela, comme son espace potentiel d’intervention :
‘’Les Etats-Unis règnent comme superpuissance unique et l’avenir se joue sur la scène eurasiatique où ils sont pour une durée indéterminée en position d’arbitre.’’
Cette aspiration au leadership en Eurasie post-communiste a été (paradoxalement) réactivée par le nouvel homme fort de l’administration Obama, Joe Biden, interdisant à la Russie toute ingérence politique - via la manipulation d’alliances - en périphérie post-soviétique et, en particulier, dans sa zone historique d’influence, la CEI (Communauté des Etats indépendants). Ainsi, le 9/02/2009, lors de la Conférence de sécurité à Munich, J. Biden a, avec arrogance, refusé à Moscou le droit ‘’de décider au lieu de ses voisins à quelles alliances ils doivent adhérer.’’ – alors que dans le même temps, Washington abuse de ce droit dans le cadre de l’Otan qui reste, selon la formule de l’ex-président B. Clinton utilisée en mars 1997, ‘’l’image inversée du pacte de Varsovie’’ .
Inutile provocation.
Dans ce schéma, la montée de crises dans les anciennes républiques soviétiques – historiquement stratégiques – de Géorgie et d’Ukraine n’est pas fortuite. De manière globale, ces deux crises s’inscrivent dans une lutte d’influence au cœur de l’espace eurasien, entre les deux anciens ennemis de la guerre froide. En ce sens, on assiterait à une véritable partie d’échecs russo-amérivcine, surfant sur les crises eurasiennes et visant, in fine, à une utilisation optimale de ces dernières. Car, depuis la phase post-communiste, les Etats russe et américain n’hésitent pas à instrumentaliser les crises émergentes en vue, in fine, de les intégrer dans une stratégie de ‘’zones d’influence’’. Ainsi, face à une Amérique chancelante sur ses bases eurasiennes, l’Etat russe tend à utiliser ces crises comme levier de son retour comme grande puissance sur la scène internationale. Et pour se mieux se défendre - et par ce biais, réduire l’instabilité internationale - l’Amérique, selon Kagan (2006, p. 148), doit ‘’rester la première puissance militaire du monde, et (…) rester assez forte pour dissuader tout autre pays de contester sa supériorité’’ . En ce sens, il y aurait une inertie comportementale dans cette confrontation latente, ressurgie des abimes de la guerre froide, entre deux superpuissances sturucturellment antagonistes.
Une crise instrumentalisée : lutte d’influence.
Dans son essence, cette confrontation est donc fondamentalement guidée par les intérêts géopolitiques russes et américains – ici relayés par l’Ukraine. Certes, la nouvelle orientation de la politique américaine, suite à la victoire présidentielle de B. Obama, devrait - en théorie - infléchir cette orientation. Mais - en réalité - dans un proche avenir, on peut redouter certaines dérives. Au sens où la politique démocrate risque d’être influencée par des personnalités telles que Z. Brzezinski, R. Gates et J. Biden, peu soucieuses de moralité et dont la lecture à géométrie variable des critères démocratiques a un caractère inquiétant. D’autant plus qu’ils manifestent une hostilité instinctive à l’égard de la Russie, perçue comme l’héritière politique de l’Union soviétique et, en cela, comme un ‘’résidu’’ de la guerre froide . A ce titre, on rappellera que le tandem Brzezinski/Gates est fortement enclin à poursuivre la vieille politique de contrôle de la puissance russe, inaugurée en phase de guerre froide.
Il s’agirait, en particulier, de se rapprocher de l’Iran, pays ‘’voyou’’ de l’administration Bush, pour court-circuiter les relations étrangères avec la Russie et continuer la politique de déstabilisation des anciens satellites de l’URSS. Pour cette raison, il convient de revenir sur ces deux personnalités majeures l’équipe démocrate.
D’une part, Z. Brzezinski (2000, p. 141) - actuel conseiller d’Obama - est poussé par une haine viscérale envers les Russes et, il est persuadé que ‘’la Russie post-soviétique n’a accompli qu’une rupture partielle avec le passé. Ses dirigeants ‘démocratiques’, bien que conscients du passif du système, en sont eux-mêmes le produit (…). Les institutions clés du pouvoir soviétique (…) n’ont pas disparu. A Moscou, sur la place rouge, le mausolée de Lénine, toujours en place, symbolise cette résistance de l’ordre soviétique.’’ Cette méfiance, encore actuelle, l’a conduit très tôt à élaborer une stratégie anti-soviétique de guerre froide. Rappelons, notamment, que le mouvement des talibans est un produit direct de la ligne anti-soviétique de Brzezinski, qui a précipité l’intervention de l’armée rouge en Afghanistan en décembre 1979 – dans le but de l’enliser dans un conflit périphérique.
Pour reprendre l’expression de Brzezinski, c’était alors ‘’l’occasion de donner à l’URSS sa guerre du Vietnam’’. Et ce dernier a fièrement précisé, le 15 mai 1998, dans le cadre d’une interview au Nouvel Observateur, que sa politique était la bonne :
‘’Qu’est-ce qui est le plus important au regard de l’histoire du monde ? Les talibans ou la chute de l’empire soviétique ? Quelques excités islamistes ou la libération de l’Europe centrale et la fin de la guerre froide ?’’
Fin janvier 2009, Brzezinski a réaffirmé que la stratégie américaine d’extension du bouclier anti-missiles ABM en Europe de l’Est dépendait ‘’du comportement’’ de la Russie, admettant en cela, de manière implicite - dans la continuité de la lutte anti-soviétique - la centralité de la Russie dans la politique étrangère américaine.
D’autre part, R. Gates – secrétaire actuel à la Défense du président Obama – a longtemps reproché à la Russie, sous l’administration Bush, son ‘’impérialisme latent’’ dans la pure tradition soviétique. Et, selon une ligne structurellement anti-communiste, il est à l’origine du soutien financier de l’armée contre-révolutionnaire des Contrats en vue de déstabiliser le régime sandiniste de D. Ortega au Nicaragua.
A l’instar de l’Etat russe, l’Etat américain a besoin d’un ennemi central et virtuel pour réguler son métabolisme en tant que ‘’système’’ . Ainsi, au début de février 2007, Gates a déclaré que les Etats-Unis devaient ‘’résister aux menaces auxquelles ils sont confrontés en raison (notamment : jg) des positions floues de pays tels que la Russie ou la Chine qui ne cessent d’augmenter leurs arsenaux’’ .
Cette rhétorique de guerre froide sera ouvertement condamnée par le président russe regrettant, peu de temps après, que le ‘’Mur’’ n’était pas tombé dans toutes les têtes. Dans son célèbre discours de Munich du 12/02/2007, centré sur l’unilatéralisme américain, V. Poutine a en effet affirmé que ‘’les blocs de béton et les pierres du Mur de Berlin sont depuis longtemps des souvenirs. Mais il ne faut pas oublier que sa chute est devenue possible notamment grâce au choix historique de notre peuple - le peuple de Russie - en faveur de la démocratie et de la liberté, de l’ouverture et du partenariat sincère avec tous les membres de la grande famille européenne. Or, maintenant, on s’efforce de nous imposer de nouvelles lignes de démarcation et de nouveaux murs.’’
Le plus inquiétant, aujourd’hui, est de constater le maintien de ce comportement hostile de l’élite dirigeante américaine envers son ennemi historique, la Russie.
(à suivre)