EXTRAIT D'UN ARTICLE
de
ANNE-CECILE ROBERT
Le Monde Diplomatique
- Mars 2009 -
" En quatre arrêts, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE ) a légitimé le dumping social dans le Marché commun :
- dans l'affaire Viking, jugée le 11 décembre 2007, une compagnie finlandaise réimmatricule un ferry en Estonie afin d'échapper à une convention collective finlandaise qui fixe les salaires des marins. La CJCE a donné tort aux syndicats qui s'opposaient à une manoeuvre destinée à écraser les salaires.
- dans l'affaire Laval, jugée le 18 décembre 2007, un syndicat suédois avait tenté, en organisant le blocus des chantiers de l'entreprise en Suède, de contraindre un prestataire de services letton à signer une convention collective comme c'est l'usage dans ce pays. Il s'agissait de fixer les rémunérations des ouvriers. La CJCE a donné raison à des entreprises qui se plaignaient d'une atteinte à la liberté d'établissement et à la libre prestation de services, droits reconnus par les articles 43 et 49 du traité de Rome.
- dans l'affaire Ruffert, jugée le 3 avril 2008, la CJCE a condamné le Land de Basse-Saxe pour entrave à la liberté d'établissement d'une entreprise polonaise. Cette dernière versait des rémunérations inférieures au salaire minimum s'imposant à toute société de construction obtenant un marché public. La CJCE a estimé la législation excessive. Elle considère que la directive 96/71 sur le détachement des travailleurs n'établit que des minima que les Etats membres ne sauraient outrepasser sous peine d'entraver la libre concurrence.
- dans l'affaire Commission contre Luxembourg, jugée le19 juin 2008, la CJCE a donné raison à la Commission européenne, la CJCE a donné raison au Luxembourg d'avoir transcrit la directive de 1996 de manière trop restrictive en droit luxembourgeois. Saisie par la Commission européenne,gendarme du Marché commun, la Cour a qualifié de 'superfétatoires' les conditions mises par le Luxemourg à l'activité de prestataires de services étrangers dans le Grand-Duché. Il s'agissait, entre autres, de l'indexation des salaires sur le coût de la vie et d'informations à fournir à l'inspection du travail dont la Cour n'a pas vu l'utilité.
Les hauts magistrats ont, à plusieurs reprises, qulifié la liberté d'établissement et la libre prestation de services de 'libertés fondamentales' reconnues par le traité de Rome, établissant clairement une hiérarchie entre les droits des entreprises et les normes sociales, les premières l'emportant sur les secondes; (...) Dans le langage ampoulé des juges de Luxembourg, la défense du salaire minimal est ainsi incompatible avec le droit européen si elle est 'susceptible de rendre moins attrayant(es), voire plus difficile' les conditions faites à des entreprises d'un autre Etat membre.Elle s'inquiète en outre de ce que la négociation collective crée une 'incertitude juridique' excessive (arrêt Laval)".
Ces jugements éclairent d'une lumière crue la réalité de l'espace européen en matière sociale. Syndicats, régions ou Etats, tous sont toujours déboutés quand ceux-ci sont confrontés aux intérêts des sociétés. La loi de l'argent prime sur les lois et les dispositions nationales ou locales. La Cour de Justice de Luxembourg constitue l'instance suprême européenne, le "gendarme" chargé de traduire juridiquement les désidératas du patronat. Même si l'Assemblée européenne se prononçait contre ces jugements et contre la CJCE, ce qui est politiquement exclu, son vote n'aurait aucune valeur juridique : la Cour de justice fait partie des "acquis communautaires" - les seuls "acquis" que l'UE reconnaisse - . Il s'agit donc des textes fondateurs de l'Union qui en constituent le socle, telles des couches sédimentaires successives, qui qui s'entassent, traité après traité.
C'est dire l'inanité des propos de ceux qui se revendiquent de "l' Europe sociale". L'Union européenne nest pas plus amendable que la maffia sicilienne. Elle a été créée, dès le Traité de Rome (et même avec la CECA), comme cadre institutionnel du capitalisme européen globalisé, qui s'enrichit, traité après traité. avec les fameuses "directives" de la Commission de Bruxelles s'appuient juridiquement sur ces traités.
Telle est la réalité de "l'Europe". C'est une machine infernale , qui se mue par des "mises à feu" successives.
D'où sa nocivité accélérée. Il n'y a pas d'autre solution que d'en sortir.
Le plus vite sera le mieux.