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 JOUR DE VOTE AU SALVADOR

Un  texte
de

Gerardo Aiquel A.   
repris du site de
Michel COLLON


Le journaliste Mauricio Funes, aimé et respecté par la population, a obtenu 51,3 % des votes lors d’élections souvent marquées par les tentatives de fraude d’un gouvernement que gênait de manière évidente la présence des quelques 1500 observateurs appartenant à plus de 35 pays. Le candidat gouvernemental Rodrigo Avila, ex-chef de la Police Civile Nationale du Salvador, obtint près de 49% des votes.
Les militants de son parti, ARENA, tardèrent à admettre cette défaite.

«Ce moment historique ne pouvait être mieux choisi pour visiter le pays de Monseigneur Romero, martyr du Salvador
Tel était le slogan peint sur de nombreux murs de la ville.

En tant que membres de la Délégation canadienne des Observateurs Internationaux aux élections se déroulant au Salvador, la première prise de contact avec la réalité salvadorienne consista dans la visite au siège central du parti ARENA, au pouvoir depuis la fin de la guerre. Nous entrons dans un grand édifice blanc dont le frontispice arbore le nom de son fondateur, Roberto d’Aubuisson, sinistre personnage qui organisa les escadrons de la mort responsables de la guerre de terreur menée contre la population salvadorienne. Pendant que la délégation attend l’arrivée de Chelo Torres, responsable, pour la capitale, de la campagne électorale du parti, les militants et les employés filment et prennent des photos, harcelant les délégués, surtout ceux d’origine salvadorienne qui avaient émigré lors de la guerre.


Aux murs, toute une symbolique parlait d‘elle-même. Photos du Pape Jean-Paul II, allusions bibliques, statuettes de soldats romains, quelques posters présentant des images du film 300 traitant de la bataille des Thermopyles et du roi de Sparte Leonidas lors de la guerre contre les Perses. Des militaires en uniforme, quelques hommes politiques inconnus de nous, des photos de journaux datant de la guerre ainsi qu’une photo du jeune Pinochet derrière son bureau décorent les murs du local. Pendant que nous attendions l’arrivée du directeur, on nous fit visiter les bureaux des membres du parti ARENA qui dirigeaient la campagne électorale d’Avila. Ces membres se présentaient comme d’anciens officiers retraités de l’armée salvadorienne. L’arrivée du directeur, petit personnage aux yeux bleus très clairs, nous donna l’occasion de parler de la procédure électorale. Ses assesseurs et lui-même étaient des militaires de haut rang ayant quitté l’armée et étant devenus patrons d’entreprise. Sans détours, Chelo Torres accusa ses opposants de mener une campagne sale et d’utiliser des méthodes illégales pour atteindre leur objectif. Selon lui, seul ARENA faisait campagne d’une façon propre et honnête. Nous quittons le bâtiment avec le sentiment très fort que ces personnages étaient capables de plonger à nouveau le pays dans l’horreur si jamais le FMLN l’emportait.

Le jour suivant, la rencontre avec les militants du FMNL fut bien différente. Connaissant la raison de notre présence sur la terre salvadorienne: assurer le bon déroulement des élections, nous fûmes reçus avec chaleur et espoir. Le triomphe se lisait sur les sourires lumineux de ces militants qui sentaient que la victoire était entre leurs mains. «Nous n’avons pas peur – nous disaient quelques jeunes-gens – nous gagnerons puisque nous avons abandonné toute crainte», nous répéta un garçon au large sourire.

La veille de la rencontre électorale, des rumeurs se mirent à circuler sur la présence d’avions et de bus chargés de passagers en provenance du Nicaragua, de l’Honduras et du Guatemala. Tard dans la nuit, un groupe d’observateurs de notre délégation put observer une centaine de bus occupés par des passagers clandestins qui stationnaient sur le parking d’un organisme gouvernemental. Attentifs à toute tentative de fraude, les militants du FMLN se tiennent prêts à tout afin d’éviter qu’on ne leur vole à nouveau cette occasion historique. «Nous l’emporterons puisque les gens iront voter massivement», nous dit Carlos, un étudiant en économie de l’université El Salvador. «Ils ne pourront frauder car les gens iront voter et leur vote massif fera pencher la balance en notre faveur».
Les étudiants en économie avaient procédé à un enterrement symbolique du candidat du parti ARENA, Avila. Un vent d’optimisme soufflait dans les couloirs, sur les cours et la rue avoisinant l’université, mais la tension restait vive étant donné les immenses ressources économiques dont disposait ARENA, ainsi que la campagne de terreur de grande envergure qui avait été menée.

Journée d’élection, journée décisive

Dès l’aube, un petit groupe d’observateurs partit jusqu’à Guasapa, à 40 kilomètres au Nord de la capitale. Il s’agissait d’une héroïque cité qui fut occupée par la guérilla et résista des années aux attaques de l’armée. Dès l’ouverture des portes donnant accès à la petite école locale où avaient été installées les tables de vote, les militants d’ARENA se distinguèrent par leur arrogance et leur violence contenue. Dès que les citoyens, des paysans pour la plupart, entrèrent pour exercer leur droit de vote, une activité fébrile régna autour des tables et s’empara des militants de tous les partis. Il fallait bien ouvrir les yeux pour contrer les différents stratagèmes habituellement utilisés par le parti gouvernemental: votes achetés, votes doubles, fausses identités salvadoriennes, votants prenant la place de personnes décédées.

Les listes électorales avaient été préparées exclusivement par le gouvernement. En parcourant les tables une à une, on pouvait constater de nombreuses irrégularités: des personnes montraient publiquement leurs bulletins en faveur du parti gouvernemental mais les membres du comité refusaient de les annuler, un père de famille s’assurant du vote de son épouse et de ses parents en regardant dans l’urne. C’est ainsi que le vote se déroula , par une journée chaude et humide, dans une petite école de campagne jusqu’au moment où les partisans d’ARENA firent savoir, de façon camouflée, que la présence des observateurs troublait la procédure. La délégation dut alors quitter le bureau de vote, retourner à San Salvador et se présenter à un autre bureau.

Le moment peut-être le plus émouvant et le plus rempli de suspense fut quand on ferma les tables de vote. Il fallut encore se mettre d’accord sur le nombre de personnes venues voter, sceller les bulletins de vote non utilisés et enfin ouvrir les urnes. Le ou la secrétaire retirèrent les bulletins un à un, les ouvrirent et lurent le choix du votant. Le silence était uniquement rompu par les coups de klaxon venant de l’extérieur et les cris des militants anxieux de connaître les premiers résultats. A la première table auprès de laquelle se trouvait l’observateur, on pouvait dénombrer 74 votes représentant 75 % des électeurs concernés par cette table. Lors du décompte, apparut une nette tendance en faveur du FLMN . Dès qu’il fut terminé et que fut annoncée, pour cette table, la victoire du candidat Mauricio Funes , une militante, pleurant de joie, leva le poing, porta la main à la bouche et cria: «table 610, en hommage à nos morts, nous jurons de vaincre…».
Quelques instants plus tard, plus loin, à une autre table, le même cri retentit. Et comme un écho venant des différents points du bureau, le cri se fit entendre à nouveau tandis qu’une émotion manifeste se lisait dans les yeux des représentants du FMLN. Ce cri, en l’honneur des victimes salvadoriennes jamais oubliées, s’éleva de chacune des 14 tables sur les 16 que comportait le bureau de vote. C’était un cri d’espérance, l’écho du sentiment, intensément ressenti, de vivre un moment historique transcendant.

La population salvadorienne qui avait souffert en silence, voyait la lumière briller au bout de ce terrifiant tunnel, œuvre du gouvernement aréniste. Quand, à la fin de l’après-midi, les locaux se fermèrent, Clara, une observatrice nationale sympathisante de Funes, s’approcha de l’observateur-correspondant et se mit à pleurer, inconsolable… «J’ai gardé le silence toute la journée, me dit-elle , en sanglotant, toute la journée. Notre peuple peut enfin crier victoire. Vous ne savez pas combien j’ai attendu ce moment. Notre peuple, si meurtri …».
Et elle s’en alla, pleurant d’une joie qui nous semblait infinie. Sur le chemin du retour, les coups de klaxons et les drapeaux rouges défilaient, rapides et violents, à travers les rues de la ville. Les gens que nous croisions dans la rue nous remerciaient chaleureusement: «Merci pour votre présence, merci, parce que, vous sur place, ces bandits n’ont pu frauder autant qu’ils l’auraient voulu…».
Des pétards résonnaient dans la ville…. San Salvador était en fête

Les Salvadoriens qui faisaient partie de notre délégation étaient euphoriques. Ils voyaient pour la première fois que le pays qu’ils avaient dû quitter à cause de la violence brutale de l’extrême droite, allait changer. Pour la première fois, on sentait que Monseigneur Romero souriait.
Enfin, les Salvadoriens pourraient entrevoir un changement, un changement que la majorité de la population désirait ardemment.


Traduit par
Jean-Pierre Plumat
et révisé par
Luigi Caria Giglio
pour Investig'Action

Tag(s) : #Internationalisme
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