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JOUR DE VOTE AU SALVADOR |
Gerardo Aiquel A. Le journaliste Mauricio Funes, aimé et respecté par la population, a obtenu 51,3 % des votes lors d’élections souvent marquées par les tentatives de fraude d’un gouvernement que gênait de manière évidente la présence des quelques 1500 observateurs appartenant à plus de 35 pays. Le candidat gouvernemental Rodrigo Avila, ex-chef de la Police Civile Nationale du Salvador, obtint près de 49% des votes. «Ce moment historique ne pouvait être mieux choisi pour visiter le pays de Monseigneur Romero, martyr du Salvador.» En tant que membres de la Délégation canadienne des Observateurs Internationaux aux élections se déroulant au Salvador, la première prise de contact avec la réalité salvadorienne consista dans la visite au siège central du parti ARENA, au pouvoir depuis la fin de la guerre. Nous entrons dans un grand édifice blanc dont le frontispice arbore le nom de son fondateur, Roberto d’Aubuisson, sinistre personnage qui organisa les escadrons de la mort responsables de la guerre de terreur menée contre la population salvadorienne. Pendant que la délégation attend l’arrivée de Chelo Torres, responsable, pour la capitale, de la campagne électorale du parti, les militants et les employés filment et prennent des photos, harcelant les délégués, surtout ceux d’origine salvadorienne qui avaient émigré lors de la guerre. Le jour suivant, la rencontre avec les militants du FMNL fut bien différente. Connaissant la raison de notre présence sur la terre salvadorienne: assurer le bon déroulement des élections, nous fûmes reçus avec chaleur et espoir. Le triomphe se lisait sur les sourires lumineux de ces militants qui sentaient que la victoire était entre leurs mains. «Nous n’avons pas peur – nous disaient quelques jeunes-gens – nous gagnerons puisque nous avons abandonné toute crainte», nous répéta un garçon au large sourire. La veille de la rencontre électorale, des rumeurs se mirent à circuler sur la présence d’avions et de bus chargés de passagers en provenance du Nicaragua, de l’Honduras et du Guatemala. Tard dans la nuit, un groupe d’observateurs de notre délégation put observer une centaine de bus occupés par des passagers clandestins qui stationnaient sur le parking d’un organisme gouvernemental. Attentifs à toute tentative de fraude, les militants du FMLN se tiennent prêts à tout afin d’éviter qu’on ne leur vole à nouveau cette occasion historique. «Nous l’emporterons puisque les gens iront voter massivement», nous dit Carlos, un étudiant en économie de l’université El Salvador. «Ils ne pourront frauder car les gens iront voter et leur vote massif fera pencher la balance en notre faveur». Journée d’élection, journée décisive Dès l’aube, un petit groupe d’observateurs partit jusqu’à Guasapa, à 40 kilomètres au Nord de la capitale. Il s’agissait d’une héroïque cité qui fut occupée par la guérilla et résista des années aux attaques de l’armée. Dès l’ouverture des portes donnant accès à la petite école locale où avaient été installées les tables de vote, les militants d’ARENA se distinguèrent par leur arrogance et leur violence contenue. Dès que les citoyens, des paysans pour la plupart, entrèrent pour exercer leur droit de vote, une activité fébrile régna autour des tables et s’empara des militants de tous les partis. Il fallait bien ouvrir les yeux pour contrer les différents stratagèmes habituellement utilisés par le parti gouvernemental: votes achetés, votes doubles, fausses identités salvadoriennes, votants prenant la place de personnes décédées. Les listes électorales avaient été préparées exclusivement par le gouvernement. En parcourant les tables une à une, on pouvait constater de nombreuses irrégularités: des personnes montraient publiquement leurs bulletins en faveur du parti gouvernemental mais les membres du comité refusaient de les annuler, un père de famille s’assurant du vote de son épouse et de ses parents en regardant dans l’urne. C’est ainsi que le vote se déroula , par une journée chaude et humide, dans une petite école de campagne jusqu’au moment où les partisans d’ARENA firent savoir, de façon camouflée, que la présence des observateurs troublait la procédure. La délégation dut alors quitter le bureau de vote, retourner à San Salvador et se présenter à un autre bureau. Le moment peut-être le plus émouvant et le plus rempli de suspense fut quand on ferma les tables de vote. Il fallut encore se mettre d’accord sur le nombre de personnes venues voter, sceller les bulletins de vote non utilisés et enfin ouvrir les urnes. Le ou la secrétaire retirèrent les bulletins un à un, les ouvrirent et lurent le choix du votant. Le silence était uniquement rompu par les coups de klaxon venant de l’extérieur et les cris des militants anxieux de connaître les premiers résultats. A la première table auprès de laquelle se trouvait l’observateur, on pouvait dénombrer 74 votes représentant 75 % des électeurs concernés par cette table. Lors du décompte, apparut une nette tendance en faveur du FLMN . Dès qu’il fut terminé et que fut annoncée, pour cette table, la victoire du candidat Mauricio Funes , une militante, pleurant de joie, leva le poing, porta la main à la bouche et cria: «table 610, en hommage à nos morts, nous jurons de vaincre…». La population salvadorienne qui avait souffert en silence, voyait la lumière briller au bout de ce terrifiant tunnel, œuvre du gouvernement aréniste. Quand, à la fin de l’après-midi, les locaux se fermèrent, Clara, une observatrice nationale sympathisante de Funes, s’approcha de l’observateur-correspondant et se mit à pleurer, inconsolable… «J’ai gardé le silence toute la journée, me dit-elle , en sanglotant, toute la journée. Notre peuple peut enfin crier victoire. Vous ne savez pas combien j’ai attendu ce moment. Notre peuple, si meurtri …». Les Salvadoriens qui faisaient partie de notre délégation étaient euphoriques. Ils voyaient pour la première fois que le pays qu’ils avaient dû quitter à cause de la violence brutale de l’extrême droite, allait changer. Pour la première fois, on sentait que Monseigneur Romero souriait. |