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TEXTE REPRIS SUR
BANDERA ROSSA 

 

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« Il y a eu 64 parachutages d'armes, il y était à chaque fois. Il a préparé les débarquements duCasabianca », détaille son compagnon de route. (Archives Corse-Matin) 

Il est des hommes qui ne meurent jamais totalement. L'Histoire les accapare. Les mythifie. Parce qu'ils furent d'authentiques héros, chacun voudrait se les approprier. On décortique la moindre de leur parole, la plus infime de leurs décisions. Et on interprète. Ils ne sont généralement plus là pour rectifier. Il reste leurs proches, famille, amis, compagnons de route. Au fil des années, ces témoins disparaissent eux aussi. Le temps crée la légende. Mais l'histoire, la vraie, est souvent bien plus forte que toutes les « hagiographies ».

Soixante-dix années après la libération de la Corse que savons-nous de Jean Nicoli ?

Qu'il est né le 4 septembre 1899 à San-Gavino-di-Carbini, de parents qui tenaient l'épicerie du village. Qu'il est instituteur à 20 ans et qu'il part très rapidement enseigner en Afrique, dans le Haut Sénégal qui s'appelle aujourd'hui le Mali. Qu'après avoir perdu sa femme, il rentre en Corse avec ses deux enfants. Qu'avec ses camarades du parti communiste il entre en résistance. Et qu'il est fusillé par les Italiens le 30 août 1943, trois jours avant la capitulation des troupes de Mussolini en Corse, quatre jours avant son 44e anniversaire.

Cette énumération clinique pourrait se suffire à elle-même. Dans sa sécheresse, elle dit déjà un destin exceptionnel. Une vie fulgurante, marquée par les cassures et les drames. Et pourtant… Il manque de la chair à ce portrait.

Pour tenter d'en combler les « blancs », Léo Micheli qui fut son camarade de lutte a accepté de parler de celui qu'il n'appelle que « Jean ». Avec modestie. En soulignant qu'il ne sait pas tout. Qu'une génération les séparait puisqu'il était lui-même au lycée avec le fils de Jean Nicoli à l'heure du triomphe de Vichy. Que personne ne connaît jamais totalement les pensées et les ressorts de qui que ce soit d'autre. Mais surtout, selon ses propres paroles, parce que « la philosophie de la Résistance c'est la prééminence de l'action collective plus que les personnes »

Un esprit libre dans son époque

Pour ne pas sombrer dans les interprétations caricaturales, Léo Micheli rappelle que Jean Nicoli fait partie de la génération qui a connu les deux guerres mondiales. Il ne part pas pour la guerre de 14, mais ses études sont interrompues. Formé par l'école normale il fait partie de ces instituteurs qu'on appelait les « hussards noirs de la République ». Et quand il part pour l'Afrique, il croit aux vertus civilisatrices de l'enseignement, de la médecine et du progrès scientifique. Ce qui le différencie - déjà - de ses contemporains, c'est sa capacité à se rendre compte des failles du système. Et surtout sa capacité à le dire. Critiquer ouvertement des aspects de la colonisation au début des années trente n'est pas si classique, ni si anodin que cela.

« Il y avait plusieurs Jean dans Jean », répète Léo Micheli qui souligne que l'homme que l'on connaît aujourd'hui est le fruit d'un parcours. « Il devient ce qu'il devient au fur et à mesure… Jean n'est pas né en caressant la barbe de Karl Marx. »

 Apparente contradiction, il lit, à la même époque (les notes qu'il laisse en témoignent) L'État et la révolution de Lénine et L'Éthique de Spinoza. L'État forcément oppresseur du peuple qui ne peut être que renversé par la révolution pour le premier. Le déterminisme compensé par la connaissance pour le second… « C'était un homme de culture »,commente sobrement Léo Micheli. Et chez Jean Nicoli, la culture est questionnement, ouverture d'esprit…

Mais comme en témoignent les faits, le cheminement intellectuel n'empêche pas l'action.

Mobilisé en 39, il revient en Corse après l'armistice. Ses idées, ses actions contre le régime de Vichy le désignent comme communiste.

Pourtant, il n'est pas invité à la conférence de Porri où se constitue le Front national. « Les militants de chaque secteur désignaient ceux qui devaient les représenter », se remémore Léo Micheli. « Ajaccio et Sartène avaient envoyé d'autres représentants. »

Caché dans la lumière

Organisateur minutieux et infatigable, responsable de l'armement, il est partout. « Il y a eu 64 parachutages d'armes, il y était à chaque fois. Il a préparé les débarquements du Casabianca », détaille son compagnon de route. Toute la Corse le connaît par son nom. « Nous avions tous des pseudonymes. Lui aussi, mais il ne l'utilisait jamais. On nous disait, " Jean était dans tel village hier ". Je ne sais pas comment le dire, je ne pense pas qu'il était imprudent, il croyait en son étoile. »

Il ne se cache pas, il ne cache pas ses convictions. Pourtant Giraud est étonné lorsqu'il apprend tardivement qu'il est communiste. Il devient une sorte de bête noire pour les fascistes de l'Ovra. Mais il leur échappe régulièrement.

Pourtant la nasse se resserre. « Nous l'avons supplié de quitter Ajaccio, de venir à Bastia. Il avait même reçu l'ordre de le faire », se rappelle Léo Micheli. Mais Jean Nicoli compte sur ses faux papiers. Il va voir Jules Mondoloni à l'hôpital après la fusillade du 17 juin. Ce qu'il ne sait pas c'est que les Italiens ont une photo de lui.

Dix jours plus tard, il est arrêté, rue de Solférino, à Ajaccio dans la maison de Jacques Bonafedi en compagnie de Jérôme Santarelli alors qu'il prépare un débarquement d'armes. C'est bien Jean Nicoli que recherchent les hommes de Mussolini. Lorsqu'ils voient Jérôme Santarelli, les Italiens disent « Nò, è lui ».

L'exécution de Jean Nicoli est barbare. Il a refusé d'être fusillé dans le dos. Il est massacré à coups de poignard. Une vengeance contre un homme qui les a trop souvent défiés ? Avec Michel Bozzi il est l'un des derniers exécutés de l'Italie fasciste. A trois jours de la reddition.

La tête-de-maure et l'œillet rouge

En prison il écrit. Pour ses camarades du parti communiste, il a cette phrase : « Pourquoi ne vous ai-je pas connus plus tôt ? » Léo Micheli a comme un regret : « J'ai envie de lui retourner le mot. Pourquoi ne t'avons-nous pas connu plus tôt ? Pourquoi n'avons-nous pas compris immédiatement Jean avec toutes ses qualités politiques et humaines ? »

Pourtant, en Corse, on a perçu beaucoup de choses très vite. Avec malice, Léo Micheli soutient que l'insularité a été un point positif. « Si nous avions dû attendre des consignes peut-être que nous aurions attendu pour nous soulever. Certains, même chez nous, en auraient été trop heureux ». Isolés, autonomes, les résistants corses bravent les ordres de Giraud et de De Gaulle qui sont pourtant clairs « pas d'insurrection prématurée »« On ne peut pas décréter cela, rappelle Léo Micheli. Nous n'avons pas dit aux gens soulevez-vous. À un moment le peuple était prêt. Le terrain était prêt à recevoir la semence. »

Dans la prison de Bastia, Jean Nicoli écrit une dernière lettre pour ses enfants.

On est le 30 août 1943. « Si vous saviez comme je suis calme, presque heureux de mourir pour la Corse et pour le parti (…) La tête-de-maure et la fleur rouge, c'est le seul deuil que je vous demande… »

Il ne parle pas de la France. Et toutes les interprétations, a posteriori,ont été évoquées. Léo Micheli replace une nouvelle fois les mots dans leur époque.

« Il avait écrit une chanson disant" soyons Corses et Français ",mais de quelle France parlait-on ? C'était le régime de Vichy. Nous aimions la France de 1789… »

Soixante-dix ans plus tard, une poussière à l'échelle de l'Histoire humaine, Léo Micheli conclut : « Le malheur c'est que les fascistes ont eu la peau de Jean. On aurait eu besoin d'hommes comme lui. Après. Il avait confiance dans la jeunesse. Il était autant patriote que révolutionnaire. »

Tag(s) : #Histoire
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