UL CGT DE MOULINS (ALLIER) : :
LA BATAILLE DU SICTOM
UN COMBAT DE CLASSE.
Ce récit fait à chaud est dédié au soldat Stéphane qui est pour beaucoup dans ce résultat et qui avait permission ce matin là !
Le Sictom Nord-Allier (syndicat intercommunal), ce sont les éboueurs qui ramassent les ordures ménagères sur un très grand périmètre.
A la suite de la grève du 12 octobre, l'union locale CGT de Moulins a appelé à réunir une "AG interpro" pour organiser des actions dans toute la ville. Les militants de la FSU, qui avaient combattu lors des grèves et manifestations précédentes pour la tenue d'assemblées générales, s'y sont rendus en rappelant la nécessité d'un mot-d'ordre intersyndical national de grève générale pour gagner, et ont naturellement décidé de partiper aux actions prévues en commun.
L'union locale FO arguant de la nécessité d'un appel national a choisi de ne pas y participer, bien que des militants et délégués FO s'y soient joint individuellement. L'UNSA (hors éducation nationale : territoriaux, personnels civils de la défense nationale) s'est jointe également. La CFDT n'a pas été visible sauf à la dernière AG du 28 octobre par la présence de son secrétaire d'union locale.
Il y a souvent discussion sur l'opportunité de telles ou telles actions : plutôt des blocages de voies de communication ou plutôt des interventions aux portes des entreprises pour appeler à la grève ?
L'équipe des militants CGT moulinois a assez naturellement donné la priorité à ces dernières, sans doute parce que les souvenirs de 2003, où nous avions commencé (à l'époque avec une forte impulsion des pesonnels de l'enseignement public que l'on n'a malheureusement pas aujourd'hui) à nous porter systématiquement sur les entreprises pour agir dans le sens de la généralisation de la grève, d'autre part parce que les cheminots grévistes disent et répètent énergiquement que la grève par procuration n'est plus possible, qu'il faut arréter la production, qu'il faut y aller tous ensemble, enfin parce qu'il y a pas mal de militants CGT sur Moulins qui, comme de leur côté des militants de la FSU dans les écoles, lycées et collèges, et de l'UNSA défense nationale, se sont mis en grève le 12 octobre ou le lendemain du 12.
Le vendredi 14 au petit matin, l'équipe intersyndicale s'est portée devant l'entrée du Sictom, en rase campagne, là où sortent et rentrent les camions bennes. Son apparition et l'intervention des camarades cheminots ont déterminé les personnels à se réunir puis, au bout d'un quart d'heure, à sortir en grève dans un grand élan aux cris de "Tous ensemble, Tous ensemble".
En grève pour le retrait du projet Woerth-Sarkozy sur les retraites, et c'était en même temps pour eux, pour la première fois, l'occasion de se réunir et de discuter de leurs conditions de travail. Le directeur auquel ils ont quotidiennement affaire, maire-adjoint de Besson, une commune rurale et patron céréalier, a pour habitude de commencer toute discussion par les mots "je vous préviens ce sera niet, niet, et niet ! ".
Il est permis de s'interroger sérieusement sur le fonctionnement des communautés de communes et l'attitude des élus quand on voit que sur un secteur de 60 communes, dont deux grosses communes de gauche à maires PS, Yzeure et Avermes, et plusieurs petites communes de gauche, PS ou PCF, pleins pouvoirs semblent avoir, de fait, été donnés à un excité de droite pour gérer le personnel de cette mission publique essentielle qu'est le ramassage des ordures !
Se réunissant, discutant, se découvrant sous un nouveau jour les uns les autres, les personnels du Sictom ont avancé une revendication de 100 euros d'augmentation, sous forme de primes car les salaires proprement dits sont bloqués. Des camarades se sont inquiétés du fait que "cela est différent du sujet des retraites".
Mais quand on a vu ce mouvement, on comprend que là, ce n'est pas d'emiettement qu'il s'agit, d'ailleurs les personnels du Sictom ont à coeur de dire qu'ils n'oublient surtout pas la bataille des retraites. La poussée vers la grève générale a porté le déclenchement du mouvement sur la revendication centrale, et politique car dirigée frontalement contre Sarkozy ce que chacun comprend très bien, des retraites ; mais une fois le mouvement en marche toutes les questions surgissent, et les travailleurs listent leurs revendications.
C'est normal, c'est ainsi qu'avance le mouvement de la classe ouvrière.
Depuis plus d'une semaine, les ordures s'entassent dans les rues de Moulins et de ses alentours. Le directeur du Sictom n'a pas cessé de répéter "je vous préviens c'est niet, niet et niet" ("et toi t'auras pas ta prime", et "toi t'auras pas ton avancement", et ainsi de suite).
Cette grève est devenue le fil conducteur de la poussée grévistes sur le bassin, qui s'est étendue le lundi 18 aux services techniques de la Ville d'Zzeure et à la moitié des administratifs, et le lendemain au services techniques de la Ville d'Avermes. Les usines Potain (grues) et JPM (serrures), sérieusement amputées par des "plans sociaux" depuis 2008, connaissent des AG fréquentes et des arrêts de travail quotidien, et plusieurs des leurs ouvriers viennent faire un tour avec l'équipe tournante.
Cette dynamique a contribué à ce que la manif du 28 octobre à Moulins n'avait rien de l' "essouflement" voulu par les médias, et d'ailleurs le journal local la Montagne du lendemain titrait "Moulins se refuse à battre en retraite".
A l'AG consécutive à la manif du 28, beaucoup de militants de la CGT se sont fortement inquiétés du caractère lointain, pour ceux qui sont en grève, de la nouvelle échéance nationale fixée par l'intersyndicale au 6 novembre, et certains ont souhaité une manifestation nationale à Paris contre Sarkozy ce jour là.
Le souhait d'une action porteuse pour le lendemaint, par crainte d'essouflement, a été exprimé. Finalement les évènements eux-mêmes ont dicté ce que devait être cette action porteuse.
En effet, arrivés sur le lieu de rendez-vous à 6h 45 (grasse mat' pour beaucoup de camarades car les jours précédents c'était à la Gare à 5h 45), le mot-d'ordre était donné : Tous au Sictom, la gendarmerie est là.
Nous voila donc devant le Sictom, autour d'un feu de palettes, cordon de gendarmes et gendarmettes pas trop méchants mais ayant pour consigne d'appeler des renforts plus "méchants" en cas d'incidents.
Inquiétude sur la route, on croise 5 camions bennes qui repartent au boulot. Il s'avère qu'un plus grand nombre est resté à l'intérieur. Le camarade Sylvain de la CGT a l'idée judicieuse de demander au commandant de gendarmerie son ordre écrit, celui-ci le renvoie au préfet auprès duquel le directeur du Sictom serait intervenu, on décide donc de faire une délégation à l'intérieur et d'aller trouver celui-ci, on le trouve.
Comme prévu il dit "Je vous préviens,c 'est niet, niet, et niet" avant qu'on ait dit quoi que ce soit, mais on le coince en exigeant sa demande écrite, et il finit par nous fournir de mauvaise grace le remarquable document qui suit, que je suis allé lire et commenter sur le piquet à l'entrée (commentaires entre crochets) :
"Objet : mouvement de grève. [ça commence fort : une grève est en soi un délit qui justifie qu'on appelle le préfet.]
Ce jour vendredi 29 octobre 2010 à 6h, le mouvement de grève se poursuit au Sictom Nord Allier.[là, problème : à 6h la force publique était déjà en route. De plus on voit très bien que le texte a été retouché à la hâte et qu'un 6 a été dessiné sur un 7. C'était un peut ennuyeux de fournir un papier demandant une intervention après qu'elle ait eu lieu ... il est clair que ces messieurs se sont entendus avec le préfet la veille, et il est probable que l'initiative est venu du préfet, c'est-à-dire de Sarkozy, qui a du lui faire dire qu'une grève d'éboueurs dans l'Allier aprés Marseille ça faisait désordre ...]
Les agents grévistes empêchent la sortie des véhicules de collecte du Sictom Nord Allier entrainant la non collecte des ordures ménagères et des déchets provenant des huit déchetteries et ce, malgré la présence sur le site d'agents non grévistes.[les contractuels apeurés mais bien contents d'être "bloqués" ! ]
La quantité de déchets en attente de ramassage est stockée sur le domaine public et ne cesse de croître depuis une semaine.
Même si a côte d'alerte au niveau salubrité ne semble pas atteinte [aveu intéressant], la pollution visuelle devient inacceptable, particulièrement en milieu urbain. [beaux remoux suscités par ce passage ! "en milieu urbain", cela veut dire en centre-ville de Moulins autour de chez le maire UMP Périssol, car les quelques camions partis au petit matin n'ont pas ramassé les sacs sur les quartiers populaires, et au centre d'Yzeure s'il est exact, comme l'a affirmé M. Niet, que le député-maire PS a demandé le ramassage ...]
Je dois ajouter que je n'ai pas reçu de préavis de grève. [Les territoriaux sont couverts par plusieurs préavis nationaux]
Aussi, je vous sollicite pour faire intervenir la force publique afin de permettre au Sictom Nord-Allier d'assurer pleinement sa mission de service public en matière d'élimination des déchets. [extrême gravité de l'argument : c'est le même qu'en toute illégalité les préfets sur ordre de Sarkozy invoquent contre les travailleurs des raffineries, et il est absolument passe-partout : nous avons affaire ici à une menace directe contre le droit de grève en général et donc contre les libertés publiques.]
Restant à votre disposition pour toutes précisions relatives à ces difficultés, je vous remercie et vous prie de croire, Monsieur le Préfet, à l'expression de mes sentiments dévoués."
Ajoutons qu'il n'a pas été possible d'avoir la preuve que ce texte a bien été faxé au préfet si tant est qu'il l'a été.
Après cette première confrontation, M.Niet a reçu une délégation des syndicats présents sur le site, CGT et UNSA, en répétant sa phrase favorite quand elle est entrée dans son bureau. Mais une heure après l'entretien continuait ...
Pendant ce temps, les 6 camions-bennes partis avant la formation du piquet revenaient, pleins. Les grévistes du Sictom et les militants présents ont donc bloqué toute la voie avec des palettes et par leur présence. Le cordon gendarmesque s'est avancé, boucliers en avant, et on a fait un exercice de pousse-je te pousse pendant quelques minutes. Les gendarmes et les quelques gendarmettes, levés plus tôt encore que nous ce jour là, n'avaient pas tous eu le temps d'enlever une fiche de mode d'emploi accrochée aux boucliers.
On pouvait y lire des recommandations sur le ... "développement durable" !
D'autres participants sont allés parler aux chauffeurs qui ont décidé d'eux-mêmes d'aller boire un coup ailleurs, soucieux de ne pas être honni de leurs collègues lorsqu'il faudra rebosser ensemble. A partir du moment où les camions d'eux-mêmes ne rentraient pas, le chef des gendarmes n'était plus semble-t'il dans l'obligation de prévenir la préfecture qui aurait fait venir les CRS.
Peu après sont arrivés les délégués. Le patron avait accepté d'ouvrir "des négociations", mais dans un grand flou et avec comme date fin novembre-début décembre, donc pour embobiner les gars. Les délégués ont alors appelé tout le personnel à se réunir en AG, et là, on a décidé de laisser entrer les camions pour qu'ils y aillent aussi.
La réunion de tout le personnel a fait monter la pression envers le chef qui a finalement accepté la tenue du CTP (Comité Technique Paritaire) extraordinaire le 9 novembre.
Cette question de la date était évidemment décisive, car une date plus lointaine signifiait dilution complète de toute perspective de négociations sérieuses.
Le paiment des jours de grève est mis sur la table.
Le Sictom reprendra le travail lundi (ils travaillent les jours fériés). Non seulement les délégués, mais les gars sont sortis pour nous remercier' -on les a remerciés aussi, on s'est tous bien remerciés- car notre présence, la délégation au chef qui a mis en évidence l'arbitraire préfectoral et la vacuite de base légale à l'appel aux forces de l'ordre, le bref moment de résistance à la pression policière, ont été décisifs pour eux.
Ils ont le sentiment d'une victoire morale.
Ils n'ont rien gagné en espèces sonnantes et trébuchantes : il y aura bataille encore bien sûr, outre le fait qu'il va falloir déméler le rôle des élus, de tous les élus, dans cette affaire.
Mais ils ont commencé à gagner leur confiance et leur union grandissante et ils auront à coeur de revenir à la première manif ou action commune sur les retraites, dont leur bataille a été un ruisseau dérivé, comme des milliers sont en train de se mettre à couler dans notre pays. Tous ensemble !
VP,
le vendredi 29, écrit entre 11h et 12h.
Source : Danielle GAUTIER
INFO DONNEE
PAR
LE BLOG DE JACQUES TOURTAUX