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Cri du Peuple 1871
 
Vendredi 9 décembre 2011

Abolhassan Bani Sadr :

Non

 à une guerre contre l’Iran !

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Solidarité et progrès


 

Un entretien avec Abolhassan Bani Sadr, premier Président de la République islamique d’Iran. Opposant au régime des mollahs depuis sa destitution par l’Imam Khomeiny en juin 1981, il a dû prendre la route de l’exil en France, alors que ses plus proches collaborateurs étaient emprisonnés et assassinés par le régime de l’époque.

 

 

M. Bani Sadr s’oppose néanmoins, totalement à une guerre ou à des sanctions économiques qui frapperaient la population iranienne car ces mesures ne font que renforcer la dictature, écrit-il, dans un texte de 25 propositions qu’il a publié depuis le début des tensions.

 

Exilé en France, M. Bani Sadr continue à s’exprimer sur la situation iranienne à travers une publication régulière en langue persane. Mais il a aussi, comme on peut le voir dans cet entretien, un regard particulièrement acéré sur les affaires du monde.

 

 

Notre but n’est pas de soutenir telle ou telle faction au sein de la nation iranienne et de nous mêler de quelque façon que ce soit à ses affaires intérieures. Nous donnons la parole à tous ceux qui veulent empêcher une action armée dans cette région qui serait non seulement désastreuse pour l’Iran mais pourrait aboutir à un nouveau conflit mondial.

 

NS : M. Bani-Sadr, votre pays est à nouveau menacé par la guerre. On parle de frappes aériennes contre ses installations nucléaires, mais vous avez publié récemment un texte qui rejette ces mesures, dénonçant le fait qu’elles conduisent au renforcement du régime, et faites vos propres propositions pour changer la donne en Iran.


BS : Les propositions que j’ai faites sont basées sur deux principes : le rejet d’une intervention militaire et le rejet d’un boycott économique qui frapperaient le peuple iranien. Il y a une économie à deux niveaux en Iran : celle des rentiers et des responsables de premier rang du régime qui s’enrichissent, et celle de la population iranienne qui s’appauvrie. Il ne faut pas, par des sanctions économiques extérieures, appauvrir plus les gens, car cela aurait pour conséquence d’empêcher le peuple de se soulever. J’ai donc fait 25 propositions sur cette question, qui concernent les domaines militaire, politique, économique, et les droits de l’homme.

L’Occident clame que le programme atomique iranien pose problème car il aurait une dimension militaire. Mais vous savez que Wikileaks a publié des rapports secrets. Certains de ces rapports concernent ce Monsieur Yukika Amano, le Japonais qui dirige l’AEIA : selon ces rapports, ce sont les Américains qui l’ont soutenu pour devenir directeur de l’AIEA et il s’est engagé à agir dans le sens de la stratégie des Etats-Unis. Toujours selon ce rapport, il est en bon contact avec les Israéliens. Dans une région où les Israéliens ont des bombes atomiques et où les Pakistanais les ont aussi, menacer l’Iran d’une guerre sous le prétexte que le pays à l’ intention d’avoir l’arme atomique, c’est trop. En Iran, parmi le peuple, personne n’y croit ; aucun peuple ne croit à la sincérité de l’Occident quand il prétend que l’Iran devient trop dangereux pour le monde entier.

 

Je ne suis pas du tout pour que l’Iran ait l’arme atomique. Je suis pour que tous les pays qui l’ont se débarrassent le plus vite possible de cette arme très dangereuse. Pour autant, alors qu’on prétend qu’avec ces armes on devient intouchable, je constate que bien que les Pakistanais aient l’arme atomique, cela n’a pas empêché les Américains de les traiter avec un mépris inimaginable. A quoi sert donc cette bombe atomique ?

 

Tout le monde en Occident sait aussi que même si l’Iran avait cette bombe, il ne pourrait pas s’en servir. Car pour pouvoir s’en servir il faut avoir les moyens, non seulement de lancer une attaque, mais de protéger le pays contre la riposte de l’ennemi, et de pouvoir attaquer à nouveau. Or, au grand maximum, l’Iran n’a à ce stade que la possibilité de riposter à une attaque, alors que les Israéliens ont toutes ces capacités. Parler de bombe atomique n’est donc qu’un prétexte.

 

Ce dont les responsables occidentaux ne veulent pas parler c’est que la question essentielle pour eux est de contrôler l’ensemble de la région. M. Bush avait ce projet d’amener la démocratie au Grand Moyen-Orient, alors que lui-même avait été élu par fraude électorale et qu’il ne respectait pas la loi des Etats-Unis. Il faisait partie des éléments anti-démocratiques des Etats-Unis. Ce Grand Moyen-Orient vise en réalité à établir un contrôle par les Etats-Unis de l’Afrique du Nord jusqu’au Pakistan.

  

NS : Cela rappelle la politique « d’arc de crise » de l’époque de Zbigniew Brezinski ainsi que le Plan Bernard Lewis que les Etats-Unis, sous contrôle britannique, tentent d’imposer depuis une trentaine d’années à cette région et qui vise à la faire exploser en entités ethniques et religieuses.


BS : C’est une continuation de la même politique. Ils sont intervenus en Libye, ils ont détruit un pays pour établir une démocratie, mais personne ne voit cette démocratie. Ce qu’on voit est une insécurité et une pauvreté plus grandes. Ils cherchent, en réalité, à détruire pour reconstruire, payant très cher ensuite les compagnies occidentales qui vont là-bas pour reconstruire. Malgré tout, cette même Libye, envoie des armes aux opposants syriens !

  

NS : Ne pensez-vous pas que l’offensive occidentale au Moyen-Orient va au-delà de cet objectif ? Ils s’attaquent à l’Iran, mais aussi à la Syrie, ce sont deux puissances économiques et militaires dans la région, ce qui provoquera sans aucun doute une guerre régionale et même mondiale, car la Russie a un accord militaire avec la Syrie. Nous-mêmes, ainsi que les Russes et les Chinois, pensons que les Occidentaux, au bord de l’effondrement financier, tentent par ces provocations militaires au Moyen-Orient de poser les jalons pour aller imposer une Pax Americana aux puissances émergentes en Asie.

 

BS : Je ne crois pas que les Etats-Unis aient les moyens d’imposer leur hégémonie à la Chine, ou même aux pays plus petits de la région du Pacifique, ou encore, à l’Inde. Parce qu’à mon avis les Etats-Unis ne sont plus une superpuissance, ils sont en train de devenir un pays comme un autre. Ils n’ont pas les moyens de s’imposer aux pays comme la Chine qui est devenue la deuxième économie du monde. Avec le Japon et les autres pays asiatiques, ils sont plus importants aujourd’hui que l’ensemble de l’Occident.

 

Militairement non plus, les Etats-Unis n’ont pas les moyens de le faire. Nous sommes en train de constater en Irak et en Afghanistan ce qu’est devenue l’armée américaine. Ce qu’ils cherchent, par contre, c’est contrôler le pétrole et le gaz. Ils pensent qu’en contrôlant les deux centres que sont l’Asie centrale et le Golfe persique, ils pourront dialoguer d’égal à égal, voire même établir une supériorité marginale sur l’Asie. Ce qu’ils veulent, c’est contrôler le pétrole et le gaz.


Leur justification, c’est qu’après le départ des Etats-Unis d’Irak, l’Iran deviendrait la puissance hégémonique dans la région, en raison de la fameuse ceinture verte : l’Iran chiite, l’Irak chiite, la Syrie alawite (une branche du chiisme), le Liban avec le Hezbollah (chiite), et le Hamas qui est Sunnite mais qui dépend de plus en plus de l’Iran.

 

Cette puissance, pensent les Occidentaux, ne peut être contrebalancée par aucune autre. Face à elle il n’y a plus que l’Arabie Saoudite et les petits pays du Golfe Persique gouvernés par des régimes tout à fait corrompus et détestés de leurs peuples.

 

Donc, il faut contenir l’Iran et pour cela ils s’attaquent d’abord à la Syrie. Changer le régime en Syrie, rétablir un régime sunnite signifie un Iran coupé du Liban. Ne resterait avec l’Iran qu’une partie de l’Irak, la partie chiite. Selon les experts de l’Occident, l’Iran ne pourrait plus alors devenir une puissance hégémonique. Mais qui pourrait alors jouer ce rôle ?

 

NS : Eh bien, il semblerait que la Turquie se mette de l’avant avec des velléités de reconstituer une sorte d’empire néo-ottoman.


BS : Il y a la Turquie et Israël. C’est quoi la politique d’Israël ? Diviser ces pays en petits territoires ethniques et religieux de manière à ce qu’il n’y ait aucune puissance dans la région. Mais la Turquie pourrait-elle jouer un tel rôle ? D’abord notons que la Turquie a été incapable de jouer ce rôle en Asie Centrale, où il aurait été naturel qu’elle le fasse. Jouer un tel rôle veut dire avoir une économie et une monnaie fortes, capables d’entraîner les autres pays de la région. Or, elle n’en a pas les moyens.

 

 

NS : Revenons à notre thèse selon laquelle cette nouvelle offensive contre le Moyen-Orient est une tentative désespérée d’un Occident paniqué face à la perspective d’une perte de son hégémonie au profit des nouveaux centres de puissance asiatiques ou euro-asiatiques, tels que la Chine, la Russie et l’Inde. Vous êtes dans la position d’un sage oriental, vivant au cœur de l’Europe, en France ; vous aviez vécu aussi à Paris, étant étudiant. Quelles sont vos pensées sur cette crise occidentale ?


BS : Il y a plusieurs grandes raisons à la crise de l’Occident. D’abord la baisse du niveau de vie des populations : après la Deuxième Guerre mondiale, la distribution des richesses entre le capital et le monde de travail, se faisait sur une base de 50/50. Désormais, ce rapport n’est plus que de 70 à 30, en faveur du capital. Autre problème essentiel : l’Occident a abandonné le contrôle de son économie aux marchés financiers. Selon certaines sources, aux Etats-Unis, l’argent est beaucoup plus investi sur les marchés financiers que dans l’économie réelle sur un rapport de 1 à 7.

 

L’Occident n’est plus une économie de production, mais une économie de consommation. Autre problème grave, il n’y a plus du tout de sens de mission pour la jeunesse. Et face à ce déclin, certains paniquent en Occident, d’aucuns songeant même à utiliser la bombe atomique pour réduire la population.

 

C’est tout cela qu’il faudrait changer, mais les dirigeants occidentaux ne sont pas prêts à faire la réforme profonde qui s’impose. Pourtant, elle est faisable. Je l’avais fait en Iran lorsque j’étais Président. Nous avons nationalisé toutes les banques, lancé des programmes d’investissements dans la recherche et la production pour développer une économie nationale favorisant les populations. Nous avons remplacé le cycle d’argent qui venait de l’étranger par le biais des importations de matières premières, se transformait en rente du pétrole distribuée aux plus riches, puis ressortait du pays pour l’achat de produits de luxe pour ce petit groupe, par un cycle qui favorisait toute la population ! La question est donc : Y a-t-il assez de révolutionnaires de par le monde, pour changer l’état des choses aujourd’hui ?

 

Entretien réalisé par Christine Bierre,

rédactrice en chef de Nouvelle Solidarité.

 

Solidarité et Progrès

 

Cri du Peuple 1871 :

 

 http://www.mleray.info/article-iran-91612435.html

Tag(s) : #Contre l'impérialisme
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