Par Eric Pelletier,
publié le 28/09/2011
Bernard Squarcini quitte le palais de l'Elysée le 13 novembre 2008.
REUTERS/Philippe Wojazer
Le patron de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) va devoir s'expliquer dans l'affaire d'espionnage du Monde.
A 55 ans, ce proche de Nicolas Sarkozy joue plus qu'un poste, sa réputation.
C'était hier, autrement dit il y a un siècle. Le 9 décembre 2010, le président de l'Association de la presse judiciaire (APJ) offre à Bernard Squarcini, patron de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), un exemplaire du roman de George Sand La Petite Fadette. Un cadeau d'actualité : à cette époque, le quotidien Le Monde dénonce l'attention portée par la DCRI aux "facturations détaillées" -"fadettes" en jargon policier- du téléphone utilisé par l'un de ses journalistes. Les enquêteurs cherchent à identifier l'origine des fuites dans l'affaire "Woerth-Bettencourt".
Beau joueur, Squarcini, alias "Le Squale", sourit de ce clin d'oeil de l'APJ.
L'orage menaçait. Il a éclaté dix mois plus tard: les investigations judiciaires prouvent désormais que le service de renseignement a bien surveillé les communications du reporter.
Du coup, Bernard Squarcini devrait être convoqué prochainement par la juge Sylvie Zimmermann.
Une mise en examen n'est pas à exclure.
"Tu dois me protéger", répète le président au policier
A la DCRI, la hiérarchie se serre les coudes mais, à la base, certains renâclent: ce ne serait pas la première fois qu'on s'intéresserait de près au travail des journalistes. Bien sûr, depuis janvier 2010, une loi protège leurs sources.
Mais elle peut être aisément contournée, en cas d'"impératif prépondérant d'intérêt public". "Il y a donc un vide juridique. L'affaire du Monde donnera l'occasion de dégager une jurisprudence sur le sujet", se rassure un commissaire de la DCRI. Quelle que soit son issue, la polémique laissera des traces politiques et humaines, tant Bernard Squarcini a lié sa carrière, et désormais son destin, à Nicolas Sarkozy.
Les deux hommes se sont rencontrés au ministère de l'Intérieur en 2002. Sarkozy, bluffé par sa connaissance du dossier corse, confie au "Squale" la recherche d'Yvan Colonna, assassin présumé du préfet Erignac.
En 2008, ce même Squarcini mène à bien la fusion de la DST et des RG en une seule entité - la DCRI - dont il prend la direction. Une police présentée comme moderne, orientée vers des priorités nobles: lutte antiterroriste, protection du patrimoine économique et contre-espionnage.
Mais, là encore, difficile de rompre avec la tradition "monarchique". "Tu dois me protéger", répète le président au policier. Ainsi, lorsque au printemps 2010 fleurit sur Internet la rumeur de prétendues infidélités au sein du couple présidentiel, le contre-espionnage n'hésite pas à éplucher les appels passés de son BlackBerry par un conseiller de l'ex-garde des Sceaux, Rachida Dati.
Il a introduit Djouhri dans le premier cercle sarkozyste
Depuis, Squarcini a pris d'autres "rayures sur la carrosserie", pour user de l'une de ses expressions favorites. Son carnet d'adresses, qui faisait sa force de flic, devient encombrant.
Deux juges d'instruction marseillais se demandent par exemple s'il n'a pas éventé une enquête sensible, en alertant Jean-Noël Guérini, président (PS) du conseil général des Bouches-du-Rhône, du lancement des investigations. Squarcini dément fermement.
Quant au récent livre de Pierre Péan, La République des mallettes (Fayard), il décrit l'influence d'Alexandre Djouhri, un homme d'affaires sulfureux au coeur du pouvoir. Squarcini, qui n'a jamais caché son amitié pour lui, l'a introduit dans le premier cercle sarkozyste.