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UN ARTICLE DE NOTRE AMIE
Yvonne BOLLMANN 


Dans son article sur l’expulsion des Allemands, « indésirables en Alsace » après 1918, Pascale Hugues veut susciter la compassion et la révolte face à ce qu’ils ont subi. Mais pourquoi eût-il fallu un traitement de faveur pour l’Allemagne après cette guerre perdue, quand elle-même a sévi comme on sait tant qu’elle était victorieuse ?
Et puis la cause de ces Allemands amplifie celle de leurs compatriotes d’aujourd’hui, les Vertriebenen victimes de la défaite suivante, qui réclament la restitution des territoires dont celle-ci les a privés.
Cela n’est pas un facteur de paix.

 

En Allemagne, la question des Vertriebenen ne se limite pas aux pays d’où les Allemands ont été expulsés après la Seconde Guerre mondiale conformément aux accords de Potsdam.
Pour avoir chassé des Allemands à l’issue de la Première Guerre mondiale, la France est vue comme un pays initiateur en matière d’expulsions à caractère « ethnique », ainsi qu’en témoigne l’ouvrage Vertreibung und Minderheitenschutz in Europa.
Il s’agit des actes d’un colloque sur « Expulsion et droit des minorités en Europe » qui s’est tenu à Plauen (Saxe) en 2004. 

 

La plupart des contributions y traitent des rapports entre Tchèques et Allemands des Sudètes avant et après 1945, mais l’une d’elles, de Hendrik Thoss, a pour objet la « politique des minorités » appliquée lors des transferts de populations en Alsace et en Lorraine après 1918 : « Purifier – centraliser – assimiler » - Reannexion und Vertreibung im Elsass und in Lothringen nach 1918. Les trois verbes en français du titre se rapportent aux Alsaciens et aux Lorrains « réannexés », dont le sort se trouve ainsi relié à celui des Alt-Deutschen venus s’installer dans le Reichsland après 1871 et expulsés entre 1918 et 1920.

 

L’historien allemand évoque la « propagande » réussie de la France auprès des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, qui a su faire apparaître comme « injuste », et contraire au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, l’annexion de l’Alsace-Lorraine par le Reich. Il décrit également la manière dont les Alt-Deutschen ont été classés dans la catégorie d’ « étrangers ennemis » avant d’être expulsés, et celle dont leurs biens furent mis sous séquestre, puis vendus à ces bénéficiaires qu’ont été principalement « l’Etat français, des banques et des grands groupes français ».

 

Mais l’essentiel semble être, pour Hendrik Thoss, de créer un sentiment de solidarité des Alsaciens et des Lorrains d’aujourd’hui avec ces Vertriebenen allemands, victimes de « l’un des premiers nettoyages ethniques sur le continent européen » ; il leur dit qu’eux-mêmes ont été soumis à une attribution pointilleuse de papiers d’identité, et qu’ils ont été contrôlés par des « commissions de triage ».
C’est leur suggérer qu’ils seraient eux aussi des « Allemands » malmenés par l’administration française : une « minorité » allemande, que l’Etat centralisateur veut assimiler à toute force.

 

Il écrit que pour le Reich, « il n’était pas question de renoncer à cet héritage des empereurs saliens et Staufen, si étroitement lié, et pendant si longtemps, aux vicissitudes de l’histoire allemande ». Lui-même semble tenir à l’Alsace tout autant, comme le montre la page d’accueil de son site Internet personnel. On y voit la photo d’un blason incrusté dans les pierres d’un château fort, dont la légende parle d’un homme qui combat ; la maison de ses pères, en Alsace, est « une place menacée » qui s’appelle « B. ».
Peut-être est-ce là une allusion aux frères Claus et Mattern Zorn von Bulach ; ainsi que Hendrik Thoss l’a rappelé dans un texte sur René Schickele, le nom du premier était « synonyme, dans les années 1920, de l’aspiration des Alsaciens à l’autonomie, […] au maintien de traditions culturelles et de prérogatives politiques ».

 

En désignant les Français comme « nouveaux maîtres des lieux », qui « veulent débarrasser cette région de toutes traces du passé allemand », Pascale Hugues semble faire sienne une vision analogue de l’histoire.
Mais l’Alsace n’a pas les Français pour « maîtres » : elle est la France.

 

 

Yvonne Bollmann

 

Auteur de La Tentation allemande (1998), La Bataille des langues en Europe (2001), Ce que veut l'Allemagne (2003).

 

Tag(s) : #Europe
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