«Regardez nos enfants, ils jouent dans la cour, au lieu des ateliers qu’on nous avait promis»,«ma fille, on lui a proposé de l’origami, mais le découpage, elle peut en faire à la maison»… Les mères qui occupent le bureau du directeur de l’école Robespierre, à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), sont vent debout contre la réforme des rythmes scolaires. «Etaler les cours sur cinq jours on n’est pas contre, mais il faut le faire si on a les moyens», tranche l’une d’elles. Le directeur de l’école, assis à son bureau, désigne le tableau accroché au mur avec les classes et les numéros de salles : «C’est clair, on n’a pas assez de salles pour tous les ateliers.»
 
Aubervilliers est l’une des cinq communes de Seine-Saint-Denis passées à la semaine de quatre jours et demi à la rentrée. Les enfants ont cours le mercredi matin, et deux fois par semaine, ils arrêtent à 14 h 30, pour enchaîner jusqu’à 16 heures par des activités périscolaires, gratuites et facultatives. Les écoles sont divisées en deux groupes - A et B -, les premières finissant plus tôt les lundis et jeudis, les autres les mardis et vendredis. «On l’a fait pour donner plus d’heures à nos animateurs et pour faire tourner les locaux», explique le maire (PS), Jacques Salvator.
Mais dans cette ville pauvre où la quasi-totalité des écoles sont en ZEP (zone d’éducation prioritaire), la réforme se déroule mal. Après une grève des animateurs pour de meilleures conditions de travail, une seconde, des enseignants, a suivi, pour protester contre le chaos provoqué par les nouveaux rythmes. Les parents ont ensuite pris le relais avec des occupations ponctuelles d’écoles.
 
Soutien. Dans de telles conditions, les ateliers périscolaires n’ont pu commencer qu’en partie. A Robespierre, haut lieu de la contestation, qui accueille 390 élèves d’élémentaire, une douzaine d’activités - «ultimate» (jeu de frisbee), hand, informatique, théâtre, arts plastiques, etc. - ont lieu, sur les 26 prévues. Comme dans les autres écoles d’Aubervilliers, le problème numéro 1 est le manque de locaux. A Paris, les ateliers ont souvent lieu dans les classes. Mais les instits de Robespierre refusent de laisser les leurs. Le lundi, ils font du soutien à des élèves en difficultés, et le jeudi, du travail d’équipe. Les activités ont donc lieu dans le réfectoire ou la salle informatique, ainsi que dans le gymnase et le bâtiment du centre de loisirs tout proche.
Alors que la réforme se met en place de façon très disparate, avec des endroits où cela se passe bien, Aubervilliers est l’un des points durs. Comme dans tout le département, les enseignants, souvent jeunes, sont très impliqués ; et les syndicats hostiles à la réforme sont plus représentés qu’ailleurs. Les parents ont en outre l’habitude de se battre - ces dernières années contre le manque de profs remplaçants. Enfin à l’approche des municipales, la situation se tend entre le maire PS et l’opposition communiste, sceptique sur la réforme.
La ville est un miroir grossissant des problèmes qui se posent ici et là, y compris dans des communes et des écoles favorables à la réforme. On pourrait en dresser la liste suivante : une précipitation qui a laissé peu de temps au dialogue, un manque d’information des parents, une sous-estimation de problèmes concrets - parmi lesquels : comment organiser le relais entre profs et animateurs -, une méconnaissance du lien particulier de l’instit avec sa salle de classe, un financement incertain faisant craindre une hausse des impôts locaux…
 
Apprentissages.«On a conscience que la concertation a été incomplète, les conseils d’école [réunissant enseignants, parents et élus, ndlr] étaient pour le report de la réforme, admet le maire, mais nous avons pensé répondre à leurs préoccupations. Et nous restons convaincus que c’est mieux pour les élèves et que cela réduit les inégalités. A Aubervilliers, deux enfants sur trois ne faisaient aucune activité périscolaire. Aujourd’hui, plus de 80% sont inscrits aux ateliers», souligne l’élu. «Avoir trois heures le mercredi matin pour les apprentissages, ça va aider aussi à réduire l’échec scolaire. Et la ville a mis les moyens. Elle finance pour 600 000 euros, en plus des 146 euros par an et par enfant alloués par l’Etat et les allocations familiales.»