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L'Express

Pays-Bas: Emile Roemer,
Mélenchon à la sauce hollandaise

Par Jean-Michel Demetz,

publié le 09/09/2012

A l'approche des élections du 12 septembre, la gauche radicale a pour la première fois le vent en poupe aux Pays-Bas. Un populisme inédit dans ce pays longtemps épargné par la crise, qui profite des incertitudes autour de l'euro et de l'érosion des partis traditionnels. 

Pays-Bas: Emile Roemer, Mélenchon à la sauce hollandaise

PAYS6BAS- Personnalité rassurante, sourire chaleureux: ces derniers mois, Emile Roemer a vu sa cote de popularité exploser. Un atout pour le SP, sa formation politique.

AFP/ ANP / PHIL NIJHUIS

Son parti a pour emblème une tomate - bien rouge. Mais lui, c'est de lauriers qu'il espère être couvert, le 12 septembre, date du scrutin législatif.

Ce jour-là, Emile Roemer, le chef du Parti socialiste (SP), entend bien voir sa formation issue de la gauche radicale néerlandaise faire jeu égal, à défaut de le dépasser, avec le Parti du travail, social-démocrate (PvdA), longtemps dominant dans la vie politique des Pays-bas.

En attendant, "l'oncle Emile", comme l'appelle avec ironie un de ses adversaires, un ancien instituteur, bon vivant, jovial comme on l'est dans le sud, catholique, du royaume, sa région, connaît déjà la consécration. Désigné par la presse nationale comme l'"homme de l'année", découvert par les médias étrangers, cajolé par les sondages qui l'ont même mis, un temps, au coude-à-coude avec le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (libéral), au pouvoir, il est la surprise des élections. 

Par la grâce du mode de scrutin à la proportionnelle intégrale, sa formation pourrait devenir le deuxième parti à la Chambre. Une révolution pour ce mouvement à l'origine maoïste, créé en 1972, qui n'a jamais participé à aucun gouvernement, n'a abandonné le dogme marxiste qu'à la chute du mur de Berlin, et prétend désormais incarner une alternative "sociale" face au consensus libéral des partis traditionnels - des chrétiens - démocrates aux sociaux-démocrates. Avec, en ultime espérance, une utopique union de la gauche... "Voter SP, c'est prendre une assurance pour que les sociaux-démocrates cessent leur politique de droite", avance Tiny Kox, coordinateur de la campagne du SP.  

 

L'ascension de ce populisme de gauche est un phénomène inédit en Europe du Nord.

Ce 1er septembre, dans son fief de Boxmeer, commune rurale avec ses pavillons en brique rouge, Emile Roemer ne conteste d'ailleurs pas l'étiquette. "Populiste? Oui, nous sommes avec le peuple, car la politique, ce n'est ni des chiffres ni des règles, c'est des gens, argumente-t-il après avoir distribué, dans la rue principale, des sorbets à la tomate relevés d'une pointe de Tabasco. Si l'on veut rendre l'Europe populaire, il faut une Europe sociale, et pas une Europe des marchés financiers au service des banquiers et des multinationales comme c'est le cas aujourd'hui."

L'argumentaire a la simplicité d'une collection de slogans électoraux. Tout comme le refus de tailler dans les dépenses publiques, sauf dans la "bureaucratie superflue", le budget militaire, les transferts à l'Union européenne. 

Afin de sortir de la crise, le député européen Cornelis De Jong, qui siège dans le groupe de la Gauche unitaire européenne, comme Jean-Luc Mélenchon - "trop extrémiste" à son goût -, précise son plan de bataille: "Il faut que la Banque centrale européenne fasse tourner la planche à billets pour relancer les investissements publics, même si c'est au prix d'un surcroît d'inflation."

De Jong récuse d'éventuels "eurobonds" tout comme des transferts de fonds des pays du Nord vers le Sud. Sans doute parce que l'opinion néerlandaise, qui a déjà le sentiment de payer son lot de sacrifices à la Grèce, y est hostile. De fait, au printemps dernier, cinq partis, des libéraux aux écolos, ont adopté un budget d'austérité et voté le relèvement de l'âge du départ à la retraite à 67 ans. 

Les citoyens, comme les partis, hésitent,

le SP en bénéficie

Opposé à l'introduction de l'euro, puis adversaire de tous les plans de renflouement européens de ces derniers mois, le SP a beau jeu, dès lors, de s'appuyer sur les doutes qui pèsent au sein de l'opinion sur le sauvetage de l'euro. Surtout au sein des couches les moins éduquées et les plus vulnérables, où l'Europe fait office de bouc émissaire. "Davantage de Bruxelles, ce n'est pas la solution pour sortir de la crise": ce slogan fait mouche. "Les Néerlandais ne sont pas contre l'Union européenne, à part Geert Wilders, qui prône la sortie de l'UE, nuance Adriaan Schout, chercheur à l'Institut de relations internationales Clingendael. Mais ils s'interrogent sur l'Europe: pour garantir l'euro, a-t-on besoin d'une plus grande intégration politique? D'une union bancaire? Ou faut-il juste poursuivre l'achèvement du marché intérieur, comme le recommandent les Britanniques?

Les citoyens hésitent, les partis politiques aussi. Le SP en bénéficie. Près d'un tiers des électeurs écolos se reporteraient sur le SP, furieux qu'ils sont du virage vers l'austérité de leurs élus. Des partisans traditionnels des sociaux-démocrates du PvdA, en proie à une crise d'identité, ont aussi déserté. Son ancien leader, Job Cohen, avait, en février, justifié son départ par cet aveu d'impuissance: "La tâche des sociaux-démocrates, surtout en temps de crise, est d'offrir des perspectives. Quand on n'y parvient pas de manière efficace, on se doit de démissionner." 

Ancien ministre du Logement, Marcel Van Dam a quitté la formation sociale-démocrate en 2006, lors d'une réforme sur les retraites: "En embrassant, dans les années 1990, la "troisième voie" chère à Tony Blair et ses politiques libérales, le PvdA a signé son arrêt de mort. Toutes les voix qu'il a perdues depuis, c'est le SP qui les a gagnées."

Dans les milieux populaires, beaucoup reprochent aussi au PvdA de les avoir abandonnés au profit des immigrés, qu'il entourerait plus de sa sollicitude. Enfin, la gauche populiste gagne même des suffrages à l'autre extrême, chez les partisans de Geert Wilders, dont le radicalisme croissant effraie : ils retrouvent dans le discours du SP un miroir à leurs peurs identitaires.          

 Les chefs d'entreprise néerlandais s'inquiètent de ce climat délétère. "L'Europe nous rapporte plus qu'elle ne nous coûte, soutient Niek Jan van Kesteren, le directeur général de la VNO-NCW, la puissante confédération patronale. Or les hommes politiques ne le disent pas et on ne l'entend pas. La réalité, c'est que l'économie nationale dépend étroitement de nos partenaires européens."

 

Rompant avec sa discrétion, l'organisation lance, ces jours-ci, à destination de l'opinion, une campagne "fondée sur des faits": 75 % des exportations se font vers l'UE, le commerce et les investissements avec l'Europe rapportent 180 milliards d'euros par an... 

En face, les libéraux prônent

une cure d'austérité

Le débat électoral néerlandais cristallise le clivage sur les politiques à mener en Europe contre la crise. Face au SP, qui souhaite étaler dans le temps le retour à l'équilibre des comptes publics, le parti libéral du Premier ministre sortant, Mark Rutte, affiche une orthodoxie budgétaire impeccable. C'est la formation qui, dans son programme, expose le plus clairement l'ampleur et la nature des coupes à effectuer dans les dépenses publiques: réductions des emplois d'Etat, baisses dans les dépenses de santé -les plus élevées d'Europe- et dans les politiques sociales, gel du traitement des fonctionnaires jusqu'en 2014, réduction du nombre de chaînes de télévision publiques de trois à deux... Un programme tout sauf démagogique, qui de surcroît n'empêche pas les libéraux d'être en tête dans tous les sondages.  

C'est un des paradoxes néerlandais. Même avec une croissance quasi nulle en 2012, le pays reste l'un des plus riches d'Europe. Le taux de chômage, quoique en hausse, tourne autour de 6,5 %. La dette publique reste bien inférieure à la moyenne européenne. Mais la cote de confiance de la classe politique est au plus bas alors même qu'aucun scandale de corruption n'a défrayé la chronique.  

 

Pour la gauche radicale, c'est tout bénéfice. Face à une droite décomplexée, à des sociaux-démocrates qui doutent, à une opinion publique sans repères, elle peut cogner tout en s'abritant derrière la rondeur de "l'oncle Emile". Car, au pays de l'éternel consensus, où le scrutin proportionnel est une machine à produire des gouvernements de coalition, les populistes eux-mêmes, s'ils veulent survivre, doivent afficher une volonté de compromis. 

"canempechepasnicolas"

reprend l'analyse faite par le PTB confirmant cette "volonté de compromis" du "Socialistische Partij" publiée par El Diablo :
Au pouvoir ou dans l’opposition ?

Le SP veut que son programme soit « payable » et, pour gouverner, il devra faire des compromis avec d’autres partis. Plus la date des élections approche, plus Roemer semble déjà faire des concessions. Il y a trois ans, le SP avait lancé une grande campagne de pétition « 65 blijft 65 » (65 reste 65), contre la hausse de l’âge de la pension. Dans le programme électoral actuel, c’est devenu 65 ans « en tout cas jusque 2020 ». Et, la semaine dernière, Roemer a créé l’étonnement en acceptant une augmentation graduelle à 67 ans et plus.

 

Le SP est opposé à la mainmise et aux contraintes imposées par l’Union européenne aux États membres. Son programme stipule qu’il ne fera pas de « pas inconsidéré et précipité pour plaire aux eurocrates de Bruxelles ». Mais ceci n’est pas une résistance conséquente car, pour le SP, « le budget et la dette de l’État doivent être ramenés aux conclusions des accords européens ».

 

Le 8 septembre, l’organisation syndicale Federatie Nederlandse Vakbeweging (FNV) mènera des actions d’avertissement dans six villes néerlandaises afin d’informer les travailleurs sur l’enjeu des élections. Il ne s’agit pas immédiatement de formes d’actions combattives, mais le dirigeant de la FNV, Ron Heerts, avait de toute façon prévenu Roemer que des grèves en ce moment n’étaient pas indiquées. Le dirigeant du SP appelle lui à une « alliance sociale entre les partis politiques, les employeurs, les travailleurs et les organisations de la société civile », qui « doivent trouver un terrain d’entente, et non se pousser les uns les autres sur le côté ». Mais en réalité, ne seraient-ce pas plutôt les citoyens qui sont depuis des années « poussés sur le côté » par les entreprises, les banquiers et le monde politique ? Ils devront pouvoir compter sur des syndicats forts, mais aussi sur des vrais partis de gauche pour obtenir un réel changement

Tag(s) : #Europe
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