UN « FESTIVAL DE L’ETRANGE »
Nous avons quitté Baratin de Matuvu, élevé au rang de ministre de la Magie.
A ce poste de haute responsabilité, il se devait de célébrer avec faste ses nouvelles fonctions. Consultant force mages et diseuses de bonne aventure, alchimistes et astrologues, des enchanteurs aussi, plus maints sorciers de bonne réputation (Matuvu est un fervent lecteur d’Harry Potter), notre ministre décide enfin de ce que serait le show du siècle : un « Festival de l’Etrange » où chacun sentirait planer le Saint-Esprit comme un Souffle de Dieu
La date retenue fut, naturellement, le dimanche de Pâques, jour propice aux miracles, par définition
Mais réaliser un tel spectacle nécessitait, bien sûr, une bonne préparation, beaucoup de temps et, surnaturellement, des moyens considérables.
Avec l’aide précieuse du ministre de l’Intérieur, un certain Crachelefeu, Matuvu réunit les préfets pour obtenir de ceux-ci l’organisation de colloques régionaux, sur le thème de « la grande illusion », phénomène très répandu en politique. L’objectif était de faire disserter entre eux, sur l’art merveilleux de jouer de l’artifice, tous les Esprits, l’Esprit Saint comme les sains d’esprit. Les mauvais esprits n’étaient point conviés, pas plus que les quidams dont l’esprit était mal tourné.
La mobilisation fut intense. Reprise par tous les médias, l’initiative provoqua de multiples controverses. Des ténors de l’opposition firent grise mine : « Pourquoi le pouvoir s’accapare-t-il l’art de l’illusion ? Nous aussi, nous savons faire ! ».
Des émissions réservées au sujet se succédèrent à la radio, à France Inter et à France culture, en particulier, avec la participation de professeurs émérites en sciences occultes à Paris-Dauphine et à Sciences-Po, de membres du clergé versés dans les miracles, et pour le Vatican, le secrétaire à la Propagation de la Foi.
Des économistes distingués, spécialistes des prévisions à longue échéance, dont la compétence reconnue fait la joie des humoristes, intervinrent dans le débat, fort de leurs certitudes.
Malheureusement, des membres du GIEC invités, restèrent de glace. Cela refroidit un temps l’atmosphère. Par contre tout ce que l’Europe compte de nobles esprits ont répondu « présent ! »; tous ont salué l’initiative de Baratin de Matuvu comme une étape extraordinaire de la construction de « l’esprit européen ». Ils furent chargés de faire tourner les tables rondes pour invoquer le passé et converser avec Charlemagne et Robert Schuman.
Tout était donc tout prêt pour la cérémonie et le bon peuple convié à se recueillir devant la « petite lucarne », qui devait retransmettre l’intégralité du « Festival de l’Etrange ».
Las, le jour venu, le Grand Stade de France, haut lieu de tradition des grandes manifestations nationales, se trouva rempli d’un public bizarre composé d’esprits venus d’ailleurs : de trolls des fjords nordiques, de sorciers des Carpates, de marabouts africains, de fakirs birmans, de derviches indiens et de bien d’autres contrées, tous arrivés sans papiers, sur un petit nuage clandestin.
Jugez du désarroi des autorités ! Le ministre de la Magie, en personne, ne savait plus à quels saints se vouer. Et chacun de se poser la question : qui est responsable d’une telle gabegie, d’un tel ratage ? Le sieur Crachelefeu, qui avait la haute main sur la sécurité, croyait aux sortilèges. Il diligenta une enquête approfondie. Les services de contre-espionnage furent alertés, bien qu’il ne fût pas question de problèmes de couple.
Enfin, la vérité éclata : Un certain Baissons-Lavoix, qui avait au gouvernement le rôle ingrat de surveiller les joueurs de cartes identifiés et les cartomanciennes autorisées, avait, dans ses fonctions, commis l’erreur de mettre un R final, sur la circulaire relative au Festival de l’Etrange, et compris, de ce fait, qu’il était question de rassembler dans le plus grand stade de France, le maximum d’esprits « étrangers » pour vérifier leur identité avant de les refouler dans leurs pays d’origine (sauf les « moldus », moitié sorciers, moitié humains, selon les critères retenus par l’Agence Internationale des Esprits, et qui, pour cette raison, ne portaient aucun signe distinctif).
L’affaire fit grand bruit. La presse s’en empara Toute une campagne fut menée contre le ministre de la Magie, notre Baratin de Matuvu, qui avait raté son miracle.
Il fut même question de supprimer le Ministère de la Magie et de le remplacer par celui de la Sorcellerie.
On n’en vint pas à ces extrémités.