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Cri du Peuple 1871

 

Libye/témoignages :

Gens de Tripoli, dégâts collatéraux

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par Marinella Correggia

Contribution Marie-Ange Patrizio

 Traduction de l’italien 

 

Tripoli


Dans la soirée, le bruit sec de deux missiles qui explosent à peu de distance interrompt pour quelques minutes le travail du docteur Bashir et des infirmières, à l’hôpital Al Qadra où sont hospitalisés de nombreux blessés (de bombardements précédents de l’OTAN sur Tripoli, nous dit-on).

En journée, on ne voit de la guerre dans la capitale libyenne que les très longues files pour acheter de l’essence, les magasins fermés ou les tentes avec le drapeau vert qui constellent jardins publics et rotondes (certains y dorment chaque nuit, en signe de « protection »).

En soirée les explosions : lundi elles ont touché certains ministères et les maisons alentour.

 


Le nuage de fumée s’élargit puis se dissout. Dans les chambres de l’hôpital, à côté d’un homme de 69 ans qui, cinq jours avant, marchait rue Zawya (il a une main en bouillie et une blessure à l’abdomen), se trouve Munir avec sa mère. Le jeune garçon a perdu les deux pieds dans le bombardement du quartier Tajura le 29 mars. Il assure qu’avant ils vivaient tranquilles, et qu’en tous cas ils gagneront.

Wafa infirmière, avance vers nous :

«  Si vous nous croyez, nous, nous sommes avec notre leader ».

Barqa, une autre infirmière, est marocaine et fait partie des travailleurs étrangers qui n’ont pas perdu leur emploi avec la guerre. Même chose pour Souad, femme de chambre dans un hôtel (avec très peu de clients cependant) : veuve, elle a laissé ses deux filles au Maroc :

« Ma mère me demande ce que je fais ici, sous les bombes… quand on pense comme Tripoli était un endroit sûr, une femme pouvait marcher seule la nuit, et la vie n’était pas chère ».

 

Je suis à Tripoli avec « Global Civilians for peace in Libya », une des délégations internationales contre la guerre arrivées dans la capitale libyenne à la fois pour informer sur l’impact du conflit sur les civils libyens et pour soutenir, en tant que citoyens, l’idée de la médiation et du cessez-le-feu. Dans notre reconnaissance nous sommes accompagnés de personnel du gouvernement libyen.

 

Au souk -à côté de Maidan Saha, place de l’horloge, où les passants s’arrêtent devant les photos des « martyrs », civils et militaires tués par l’OTAN ou par les rebelles, et signent le registre des condoléances- le Pakistanais Naim gère une petite boutique d’or et argent, à présent en crise, mais il attend des temps meilleurs.

Le souk est tranquille et, comme c’était le cas aussi en Irak, personne ne se montre agressif envers les Occidentaux : mais nous entendons les mêmes questions qu’à l’hôpital : « Pourquoi ? ».

Un vendeur de plats en métal dit :

« Kadhafi a du bon et du mauvais, comme tous les gouvernants du monde, qu’est-ce que c’est ces bombes ? Je ne sais pas que voir pour l’avenir ».

 

Un avenir en poussière, semble-t-il, pour les travailleurs subsahariens qui ont fui les affrontements dans l’est du pays, les bombes et le chômage : victimes collatérales de la guerre, ils sont maintenant dans un camp de réfugiés à Ben Girdan, en Tunisie, à côté de la frontière libyenne -nous les avons rencontrés sur la route pour rejoindre Tripoli.

Kofi, du Ghana, était peintre en bâtiment. Il ne peut pas rentrer au Ghana, il n’y voit pas de perspectives. Il a déjà essayé de partir par la mer mais a été repoussé, il essaiera de nouveau.

Un groupe de Bangladeshi travaillait dans le bâtiment à Misrata, ils sont partis il y a six semaines après avoir essayé en vain de se faire payer par l’entreprise. Peu de temps avant, à Djerba en Tunisie, nous avions rencontré deux femmes libyennes : l’une d’elles, Basma Challabi, nous dit avoir fui Benghazi parce que la vie y est trop peu sûre, avec des bandes, la nuit, qui terrorisent et tuent les gens suspectés d’être des pro-Kadhafi (le New York Times aussi en a parlé ces jours-ci).

Aisha faisait des études en Angleterre mais rentre à Syrte chez elle :

« Pourquoi l’OTAN ne fait-elle la guerre que contre nous ? La loi internationale ne s’applique qu’à quelques uns ? Et le Bahrein, le Yémen et Gaza ? Et puis qui sont ces rebelles qui prétendent représenter tout le peuple libyen ? Ce Hifter qui est resté vingt ans aux Etats-Unis, il devrait me représenter ? Pourquoi ne négocie-t-on pas au lieu de bombarder ? ».

 

L’imam prédicateur Khaled Mohammed, survivant de la tuerie des 11 imams à Brega -de source libyenne on dit que c’était un raid de l’OTAN (qui ne confirme pas)- raconte :

« Nous étions dans le centre résidentiel des travailleurs de la compagnie pétrolifère, nous étions arrivés en bus de nombreuses villes libyennes et nous voulions aussi aller à Benghazi ». Je le rencontre à une conférence nationale de « connaisseurs du Coran » qui a amené ici des centaines de personnes de toute la Libye (je constate combien les Libyens ont la peau très sombre !).

« Nous ne croirons plus aucun gouvernement occidental ni même beaucoup d’arabes », ajoute l’imam.

Reem aussi se sent trahie : rentrée chez elle, dans le quartier Enzara de Tripoli, de Grande-Bretagne où elle faisait des études d’ingénieur pétrolifère sponsorisée par British Petroleum : dans sa maison pleine de parents venus pour les condoléances (son cousin de 17 ans, parti comme volontaire dans l’armée libyenne, a été tué à Misrata), Reem dit : « C’était un problème interne. Le monde, par contre, en a fait une guerre ».

 

La délégation internationale de « Global Civilians for peace in Libya » a été invitée par l’ONG « Fact Finding Commission on the current events in Libya » (Ffc), fondée par l’entrepreneur italienne Tiziana Gamannossi qui travaille et réside depuis longtemps en Libye (« Si une bombe tombe sur ma maison sachez que ce n’est pas le régime mais l’OTAN qui m’a tuée », dit-elle en ironisant).

But déclaré de la Ffc : « démentir la propagande de guerre », commencée en février par la fausse nouvelle des 10 mille morts et 50 mille blessés « victimes du régime » des bombardements de Kadhafi sur les quartiers de Tripoli, les fosses communes (faits tous démentis ensuite) :

«  Sur la base d’histoires fabriquées par les media, sans vérifications, a été votée à l’ONU une résolution qui nous a apporté la guerre en ignorant les hypothèses de médiation », disent les représentants de la Ffc.


 

Ils citent Human Rights Watch, l’organisation new-yorkaise pour les droits humains, selon qui depuis février le conflit libyen a fait environ 1.500 morts entre victimes de l’OTAN, rebelles, soldats libyens et autres civils tués dans les affrontements. Ffc a réalisé une vidéo pour reconstituer les événements de février à Benghazi : elle contient des images choquantes de soldats libyens étranglés par les rebelles (« et sans déclarations de condamnation internationale »).

Le jour où le procureur général de la CPI Moreno Ocampo déclarait avoir des preuves pour incriminer Kadhafi et son fils, la télévision libyenne a montré la confession d’un présumé rebelle repenti : il raconte les soldats libyens tués à l’arme blanche et les violences horribles contre des filles de familles présumées pro-Kadhafi. Toutes choses qui ressemblent beaucoup à des atrocités analogues attribuées au contraire aux soldats libyens : et pourtant reprises sans aucune critique par la « communauté internationale ».

La propagande de guerre est spéculaire.

 

Edition de mercredi 18 mai 2001 de

il manifesto

http://www.ilmanifesto.it/area-abbonati/in-edicola/manip2n1/20110518/manip2pg/09/manip2pz/303352/

 

Traduit de l’italien et envoyé par

Marie-Ange Patrizio

Tag(s) : #Contre l'impérialisme
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