Chanson ouvrière
reprise sur EL DIABLO
« Fille d’ouvriers »
Paroles : Jules Jouy
Musique : Gustave Goublier
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Pâle ou vermeille, brune ou blonde,
Bébé mignon,
Dans les larmes ça vient au monde,
Chair à guignon.
Ébouriffé, suçant son pouce,
Jamais lavé,
Comme un vrai champignon, ça pousse
Chair à pavé
A quinze ans, ça rentre à l'usine,
Sans éventail,
Du matin au soir, ça turbine,
Chair à travail.
Fleur des fortifs, ça s'étiole,
Quand c'est girond,
Dans un guet-apens, ça se viole,
Chair à patrons.
Jusque dans la moelle pourrie,
Rien sous la dent,
Alors, ça rentre en brasserie,
Chair à clients.
Ça tombe encore : de chute en chute,
Honteuse, un soir,
Pour deux francs, ça fait la culbute,
Chair à trottoir.
Ça vieillit, et plus bas ça glisse.
Un beau matin,
Ça va s'inscrire à la police,
Chair à roussins ;
Ou bien, sans carte ça travaille
Dans sa maison ;
Alors, ça se fout sur la paille,
Chair à prison.
D'un mal lent souffrant le supplice,
Vieux et tremblant,
Ça va geindre dans un hospice,
Chair à savants.
Enfin, ayant vidé la coupe,
Bu tout le fiel,
Quand c'est crevé, ça se découpe.
Chair à scalpel.
Patrons ! Tas d'Héliogabales,
D'effroi saisis
Quand vous tomberez sous nos balles,
Chair à fusils,
Pour que chaque chien sur vos trognes
Pisse, à l'écart
Nous les laisserons vos charognes,
Chair à Macquart !
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Cette chanson décrit une vie d'ouvrière semée de malheurs (viol, alcool, prostitution...) depuis son exploitation à l'usine (« chair à travail ») jusqu'à sa déchéance physique (« chair à scalpel »). Véritable appel à la révolte, elle dénonce les conditions de vie des ouvrières et condamne le patron, le comparant au tyran Héliogabale, empereur romain dont le règne fut une suite de persécutions et qui finit assassiné par sa garde prétorienne.
Jules Jouy (1855-1897) est à l’origine de textes de chansons s'inspirant des faits d'actualité, destinés à être publiés dans les journaux socialement engagés comme « Le Cri du Peuple » ou « Le Parti Ouvrier ». La chanson ouvrière est à l'époque un genre si répandu que de nombreux compositeurs s'y exercent. Ainsi, Gustave Goublier, chef d'orchestre à l'Eldorado, puis aux Folies Bergères, accepte-t-il tout naturellement d'écrire la musique de ce texte.
Cette chanson fait partie d'un CD intitulé « Anthologie de la chanson Française », enregistré en 1994. C'est l'un des rares chants dénonçant la condition des femmes du milieu ouvrier au 19e siècle.
Elle est ici merveilleusement interprétée par Michèle Bernard.