Aux pieds de l'Acropole mercredi, des rencontres étonnantes et étonnées ont inauguré le tempo de la nouvelle ère sous le mémorandum II bis, dite aussi l'ère samaritaine (de Samaras). Il y avait un car de police en stationnement permanent, les vacanciers de passage, les badauds habituels très nombreux, les musiciens de rue et enfin, les premiers protestataires du centre-ville et de saison, depuis l'ouverture de la nouvelle session parlementaire.
A deux pas du sanctuaire du dieu Pan et sans la moindre panique, des employés dans l'hôtellerie et la restauration en grève se sont mêlés aux autres groupes primaires humains aux regards croisés et découvreurs, comme si c'était la première fois, comme dans un first contact culturel, stupéfaction encore assurée, au spectacle de notre condition «néo-primitive». On suggéra peut-être à Bob Connolly et à Robin Anderson la réalisation d'une nouvelle trilogie, et nos trois nouveaux frères Leahy seraient sans doute... les Troïkans !
Non, ils n'étaient pas très nombreux à battre le pavé ces grévistes de l'hôtellerie et de la restauration en pleine saison et en plein âge de la terreur, mais ils se sont montrés déterminés et courageux. Selon Nikos Papageorgiou, représentant du syndicat unitaire, « il devient urgent de défendre nos conventions collectives car le patronat, la Troïka et le gouvernement ne les conduiront plus au-delà de juillet. Déjà sur le terrain, nous travaillons mais nos salaires ne nous permettent même plus la survie. Les salaires pratiqués lors des nouvelles embauches se situent entre 350 et 570 euros par mois pour un temps plein et tout le monde sait que nous travaillons bien davantage et dans de terribles conditions. Nous ne pouvons pas accepter ces salaires, ni les diminutions exigées par le patronat».
Ici ou là et entre participants, on se disait que
«cette déshumanisation dépasse la honte, et qu'elle est inacceptable : le statut de l'employé est aboli au profit de celui de l'esclave».
On s'apprêtait, les visages sombres, à former un cortège pour se rendre au ministère du travail rue du Stade, après un passage symbolique par la place Syntagma, la dignité et le courage sous les bras. Mais comment échapper finalement à ce destin d'esclave, lorsque selon les dernières statistiques rendues publiques par Eurostat hier, plus de 400 000 nouveaux chômeurs se sont ajoutés sur la travel checklist du memorandum, rien qu'au premier trimestre 2012.
Donc le memorandum a parfaitement rempli son cahier de charge, sa formule all inclusiverencontre un grand succès commercial transnational, depuis la Grèce et jusqu'au Portugal et somme toute, relativement peu de contraintes techniques avérées.
Visites touristiques
Depuis, le quartier historique et l'avenue de la première reine ont connu bien d'autres événements. En suivant le cortège des manifestants, j'ai encore observé cet immeuble portant les cicatrices de l'histoire, marqué des éclats de balles, stigmates de la bataille d'Athènes (décembre 1944 - janvier 1945), opposant l'armée britannique et les troupes de la droite royaliste, aux forces communistes.
Deux députés participaient au cortège, Christos Katsiotis, élu communiste de la capitale et ancien employé de la branche, et Mikhalis Kritsiotakis, universitaire, élu Syriza de l'île de Crète. Et en Crète comme ailleurs, tout le monde réalise enfin que le tourisme est à la fois un problème et une solution.
Elections ou pas, la crise, omniprésente s'incruste partout, ne laissant que peu de répit à notre regard. La voir, l'entendre et la subir déréalise progressivement toute projection vers un autre futur pour beaucoup d'entre nous, pour une petite moitié des habitants de cet ex-Etat.
«Je comprends, tu prends d'habitude le train depuis Athènes, c'est normal. Pavlos n'est plus là, je n'arrivais plus à verser son salaire, comme tu vois je me trouve plus qu'avec un seul employé, Serjan, le Serbe. Avant la crise j'employais quatre personnes, le marché automobile est mort. Dans cette ville [Trikala], neuf concessionnaires ont fait faillite en dix mois. Les clients nous arrivent lorsque leurs voitures sont complétement en panne, et encore. Même les grands du secteur comme Toyota ont du mal à s'en sortir. Pour reprendre une concession Toyota par exemple, le cahier de charges impose au moins dix salariés, un certain stock de véhicules et de pièces de rechange, j'estime le capital de départ nécessaire à 300 000, hors-coût des locaux, au moins. Cela n'intéresse plus personne ici. Comme tu sais, les petits locaux ici m'appartiennent, je ne verse déjà pas de loyer. Va faire un tour en ville et tu verras, avenue Kondylis par exemple, entre les écoles et la banque nationale (sur 1 km) j'ai compté 28 magasins fermés, la catastrophe. C'est bien connu, ici ce n'est pas comme à Athènes, les gens, les vieux commerçants de père en fils, ont honte de faire faillite. Ils vendent encore les bijoux de la famille, certains biens immobiliers ou leurs dernières économies pour tenir tête, coûte que coûte. Mais c'est du précaire. Je crains le pire ensuite, les suicides par exemple.»
Je sais qu'en Italie les suicides chez les petits commerçants et entrepreneurs à la faillite ont pris le caractère d'épidémie. Chez nous, ils sont sociologiquement plus variés et davantage liés au chômage. Jeudi matin, un homme, employé de banque, s'est suicidé en se jetant de l'Acropole. Nous ignorons les motifs mais tout le monde pense à la crise bien évidemment.
Les amis du blog habitant l'île de Syros m'ont fait part d'un appel émanant de l'Espace social d'autogestion d'Ermoupolis, car jeudi et vendredi, ainsi que le mardi 3 juillet, on va collecter des denrées alimentaires à destination de l'établissement public de santé mentale de l'île de Leros.
J'avais déjà évoqué ce drame dans un article du blog, hélas, l'appel précise que les médecins s'adressent dans l'urgence (et sans succès pour l'instant) au ministère de la Santé, car depuis le 5 juin, les malades ne sont plus nourris. Mon ami S.P. l'instituteur n'était pas au courant, mais il assure qu'en Thessalie aussi la situation s'est considérablement dégradée depuis Noël. Il ne s'est pourtant pas déplacé aux urnes le 17 juin :
« Je ne voulais pas voter Tsipras, ils sont dangereux ces gens de Syriza, ils arriveraient au pouvoir pour devenir riches comme les autres... mais je préfère les autres, il nous garderons dans l'euro et mon salaire déjà amputé de moitié certes, sera versé au moins.
A l'école, les enseignants ont pourtant voté Syriza ou l'Aube dorée, le directeur d'une école voisine a même hésité entre les deux, il a apprécié le programme économique de Syriza, mais comme il ne voulait plus voir les immigrés dans son quartier, il a finalement opté pour l'Aube dorée, étrange non ?»
«Etrange», sans commentaire !
Les résultats locaux confirment les tendances nationales.
Tel un ex-employé et ex-paysan au chômage élevant ses poules, cultivant ses tomates et ses illusions perdues, à 55 ans, il a voté Aube dorée pour la première fois en juin : «C'est pour qu'ils fassent leur entrée au parlement mais durablement... et ainsi casser la gueule à tous ces voleurs», a-t-il expliqué.
Petite bourgade paisible : 1361 inscrits et 808 votants le 6 mai.
Résultats :
Nouvelle démocratie 203 (26%),
Syriza 105 (13,44%),
Gauche démocratique 132 (17%),
KKE 129 (16,52%),
Pasok 60 (7,68%),
Grecs indépendants 38 (4,87%),
Laos 25 (3,2%) et
Aube dorée 24 (3,07%).
Et en juin, 789 votants et les résultats suivants :
Nouvelle démocratie 291 (37,2%),
Syriza 182 (23,3%),
Gauche démocratique 57 (7,3%),
KKE 90 (11,52%),
Pasok 52 (6,6%),
Grecs indépendants 32 (4,1%),
Laos 12 (1,54%) et
Aube dorée 41 (5,25%).
Disons un village très tendance, comme le reste du pays. Ailleurs par contre, Syriza est arrivé en tête, comme dans la plupart des Cyclades et en Crète par exemple.
Dans les cafés de Karditsa, au département voisin, la doxa du «pays réel» approuve largement la baffe de Kasidiaris :
«Je crois que cet épisode a largement contribué au renforcement de l'Aube dorée et non pas à son contraire, malheureusement», a expliqué une habitante de cette ville.
Puis, après un bref silence, une hésitation passagère, elle rajouta : «Tu sais, il y eu dispute avec mon frère, il est policier. Il prétend que Syriza sème le désordre dans les manifestations, tandis que les types de l'Aube dorée aident la Police dans sa mission».
Aristide, frère de Mina, policier, gagne mille euros par mois et vient de faire installer le GPL à sa voiture.
En Thessalie aussi les seules nouvelles boutiques font dans l'achat d'or, le dépôt-vente et le GPL. Même les pastèques sur le marché n'ont plus tellement la cote.
Seul le football retient désormais les hommes au café.
Jeudi soir, l'Italie l'emportant 2-1 contre l'Allemagne grâce à un doublé de Mario Balotelli et tous les Grecs ont crié «victoire». Mais pour les Allemands, pas d'eurobonds sans union fiscale. Epoque Art déco ?