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http://www.lemonde.fr/politique/article/2010/05/17/ils-ont-repris-le-maquis_1352759_823448.html
Sur le plateau des Glières, ils ont repris le maquis
Le Monde
Plateau des Glières (Haute-Savoie)

De temps en temps, il neigeote. Pour un 16 mai, il fait un drôle de froid, ce dimanche matin, sur le plateau des Glières. Pourtant, 3000 personnes, venues surtout de Haute-Savoie, mais aussi de Dunkerque, d'Angers, de Montpellier ou d'ailleurs, sont là, immobiles. Comme sorties de nulle part, sans banderoles ni tracts, elles écoutent, debout, des résistants d'hier et d'aujourd'hui.

Parmi ceux d'hier, Walter Bassan. Walter a 83 ans et il "ne pensait pas que [sa vie] finirait comme ça".
Il préfère aller ramasser des champignons "plutôt que pavaner sur une estrade". Mais pour la quatrième année consécutive, le voilà à la tribune, répétant son message et celui de ses amis : la Résistance avait certes pour objet la libération de la France, mais elle avait aussi un projet de société, et il serait bon de s'en inspirer à nouveau.

C'est par lui que tout a commencé, le 4 mai 2007. Ce matin-là, en écoutant France Inter, Walter Bassan, qui a passé onze mois au camp de Dachau quand il avait 17 ans, apprend la venue de Nicolas Sarkozy, le jour même, sur le plateau des Glières. Ce haut lieu de la Résistance a été le théâtre, en mars 1944, du  premier grand combat entre nazis et maquisards ; 129 d'entre eux ont été tués.

Un cadre idéal pour le candidat Sarkozy, à deux jours du deuxième tour de l'élection présidentielle et à quelques heures du dernier "20 heures" de la campagne. Les résistants n'ont pas été invités.
Seuls des élus UMP et, surtout, des dizaines de journalistes, assistent à cette visite improvisée. A l'issue de la mise en scène, le candidat promet qu'il reviendra chaque année s'il est élu. Le plateau des Glières sera à Nicolas Sarkozy ce que la roche de Solutré fut à François Mitterrand.

Ulcéré, Walter Bassan appelle ses amis ; eux aussi sont en colère contre cette "instrumentalisation de l'histoire". Puis il passe un coup de fil à Gilles Perret, un réalisateur qui habite dans son village et qui, justement, a entrepris, quelques mois plus tôt, le tournage d'un documentaire sur le programme du Conseil national de la Résistance.
Le soir même, ce petit groupe envoie un communiqué à la presse –
"M. Sarkozy ne sert pas la mémoire des Glières et de la Résistance, M. Sarkozy se sert des Glières"– et annonce l'organisation d'un pique-nique "citoyen" sur le plateau, le dimanche suivant l'élection.

Surprise ! Malgré le silence des médias, grâce à Internet, près de 1 500 personnes sont là. Walter Bassan leur lit un texte qui a été diffusé trois ans plus tôt, le 8 mars 2004, par treize grands noms de la Résistance – dont certains aujourd'hui disparus –, Daniel Cordier, Stéphane Hessel, Maurice Kriegel-Valrimont, Germaine Tillion, Lucie et Raymond Aubrac, etc.

Selon eux, "le socle des conquêtes sociales de la Libération"est"remis en cause". La"menace du fascisme n'a pas totalement disparu et notre colère contre l'injustice est toujours intacte" écrivent-ils, en appelant les jeunes générations à "trois gestes humanistes et profondément politiques au sens vrai du terme" : la célébration de l'anniversaire du programme du Conseil national de Résistance (CNR) adopté dans la clandestinité le 15 mars 1944 ; la définition d'un nouveau programme de résistance pour le vingt et unième siècle; une "véritable insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse, qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation marchande, le mépris des plus faibles et de la culture, l'amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous".

Stéphane Hessel et Raymond Aubrac deviendront les parrains de ce "contre-pèlerinage" du plateau des Glières qui, chaque année, prend un peu plus d'importance. Le collectif informel des débuts est devenu une association, Citoyens résistants d'hier et d'aujourd'hui (www.citoyens-resistants.fr). Instituteurs, ingénieurs, ouvriers, retraités…
Ses membres sont presque tous d'anciens militants de gauche, des déçus du Parti communiste (Walter Bassan y est toujours), d'Attac, mais pas seulement. Parmi les dizaines de bénévoles qui contribuent ce dimanche à l'organisation du rassemblement, il y a même un électeur de Nicolas Sarkozy.
"Ça me parle, ces valeurs, dit-il, le programme du CNR n'est pas de gauche. Il y a énormément de gens de droite scandalisés par la démolition des services publics." "On est des petits militants de province, explique Didier Magnin, moi je suis kiné dans un centre d'handicapés mentaux profonds et je me suis retrouvé président de cette association. C'est une aventure magnifique."
De locale, la participation est devenue nationale.

En novembre 2009 est sorti le documentaire que Gilles Perret entreprenait avant la première visite de Nicolas Sarkozy, et qui est devenu Walter, retour en résistance (www.walterretourenresistance.com); 30 000 personnes ont vu le film dans des salles d'art et essai. Et notamment cette scène où le président de la République se rend, le 18 mars 2008, au cimetière de Morette, où sont enterrés 105 combattants, et blague, hilare, en ne parlant que de lui et de sa femme (voir la bande-annonce ci-dessous).

Fidèle à sa promesse, Nicolas Sarkozy est revenu cette année, le 8 avril. Les invitations, pour le public, étaient à retirer à la permanence départementale de l'UMP, à Annecy.
 
Dans Le Dauphiné libéré, le 13 mai, trois jours avant la contre-manifestation, le général Jean-René Bachelet, président de l'association des Glières, s'insurgeait: "On peut être contre un gouvernement, mais pas là-haut, c'est indécent."
Réponse du réalisateur Gilles Perret, deux jours plus tard, dans le quotidien régional:
"Il n'y a pas d'attaques contre les personnes, mais contre une politique qui attaque de façon vive le programme du CNR. On a fait des résistants des icônes, mais on a oublié leur projet !"

Les organisateurs l'admettent: ils ont, entre eux, "des débats très âpres".
Qui fallait-il inviter?
Cette année, ce fut le magistrat Serge Portelli, un représentant des Robin des bois – ces agents EDF qui rebranchent l'électricité aux démunis –, Odette Nilès, qui fut l'amie de Guy Môquet en prison – avant que celui-ci soit fusillé, en 1941 –, le docteur Didier Poupardin, poursuivi pour ne pas respecter les consignes de la Sécurité sociale.

Autre sujet de débat: faut-il élargir le cercle?
"On a des demandes de partout", raconte le président de l'association, Didier Magnin, pour qui l'objectif est clair: il s'agit de mobiliser les syndicats, les partis, les associations, autour d'une adaptation du programme du CNR aux problématiques du vingt et unième siècle

"Sur l'idée qu'il ne faut pas politiser l'association, on est tous d'accord, assure l'un des fondateurs, Rémi Pergoux, qui se présente toujours comme instituteur alors qu'il est à la retraite. Sur l'antisarkozysme, nous freinons. Et je vous fiche mon billet qu'après 2012 nous continuerons."

Marie-Pierre Subtil


En 1944, le programme des "jours heureux"

L'ex-vice-président du Medef, Denis Kessler, évoquait dans le magazine Challenges du 4 octobre 2007 la liste des réformes programmées par Nicolas Sarkozy :
"C'est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Il s'agit aujourd'hui de sortir de 1945 et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance."

Mis en place par le général de Gaulle en 1943, le Conseil national de la Résistance (CNR) rassemblait, outre la Résistance armée, les principaux partis politiques de droite et de gauche, et deux syndicats. Son programme, élaboré en neuf mois dans la clandestinité, portait non seulement sur la libération, mais aussi sur la société, plus juste, dont rêvaient les résistants. Il jetait les bases du modèle social à venir, avec la Sécurité sociale, les retraites, les services publics, la liberté de la presse, le droit du travail, etc.

Ce texte, très court, vient d'être publié aux éditions La Découverte, agrémenté de contributions d'historiens et de journalistes, qui racontent l'élaboration de chaque réforme au sortir de la guerre, et son évolution jusqu'à nos jours.
Le livre, réalisé avec l'association Citoyens résistants d'hier et d'aujourd'hui (CRHA), est intitulé Les Jours heureux (195 pages, 14 euros).

L'historien Olivier Vallade raconte que deux cent mille brochures du programme avaient été tirées à Toulon en mai 1944 avec, en page de garde, Les Jours heureux par le CNR. Un titre inspiré d'un film éponyme, réalisé en 1941 par Jean de Marguenat, lui-même tiré d'un très grand succès théâtral datant de 1938.

Le monde a changé, admet l'association dans l'ouvrage, il n'est plus possible d'avoir une vision centrée sur la France. Mais, écrit-elle, "on ne peut pas, comme le pouvoir du jour, justifier tous les renoncements, tous les démantèlements, par la mondialisation et la nécessité qui ferait loi d'assurer la "compétitivité" de l'"entreprise France"."

Ce qui était possible il y a soixante-cinq ans, alors que la France était ruinée, l'est encore de nos jours. Tel est le credo de ces "résistants d'hier et d'aujourd'hui", qui notent que, "en 1944 aussi, nombre de choses paraissaient insurmontables."

Tag(s) : #Histoire
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