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LE BLOG DE LUCIEN PONS

 

Israël et l'apartheid

 

Samedi 11 janvier 2014

 | 

Par Berjac

 

 

L'accusation faite au gouvernement israélien de pratiquer à l'égard des Palestiniens une forme d'oppression comparable à celle appliquée en République sud-africaine jusqu'en 1991 semble au premier abord un procédé rhétorique, à l'image des références abusives aux phénomènes historiques entachés de mauvaise réputation1 – nazisme, fascisme, apartheid, colonialisme - qu'on trouve quelquefois dans le débat politique. Aucune formation étatique, aucun modèle d'oppression n'est strictement identique à un autre et le raisonnement par analogie peut créer des illusions.

Pourtant, à mesure qu'on creuse le sujet et qu'en particulier on étudie l'histoire de l'Afrique du sud2, il apparaît tellement de points communs tant sur le plan institutionnel qu'idéologique, que la comparaison semble de nature à en éclairer les dynamiques sociales.

 

L'apartheid, un sionisme


Apartheid est un vocable afrikaaner d'origine française signifiant séparationmise à part et que ses promoteurs traduisaient par "développement séparé". Formalisé en 1948 à partir de pratiques plus anciennes, ce système socio-politique visait sous couvert d'une séparation des populations, à sauvegarder une Afrique du sud blanche monopolisant moyens financiers, droits politiques et capacité juridique, au milieu d'un océan de misère et de non-droit. Les Noirs vivaient dans des banlieues misérables et des enclaves territoriales, les bantoustans et leur accès aux zones blanches était strictement réglementé.

 

À l'origine, il y a des populations calvinistes fuyant la misère et les persécutions religieuses de l'Europe chrétienne des XVIIe et XVIIIe siècles.

 

C'est par la doctrine calviniste [ ] selon laquelle l'homme est prédestiné par Dieu et a créé des élites pour diriger le monde et des non élus pour obéir aux premiers que les concepts ségrégationnistes ont d'abord été avalisés par les prédicateurs de l'église réformée hollandaise. Les Boers, isolés dans le veld, s'étaient ainsi facilement assimilés au peuple élu et bon nombre d'entre-eux ont cru jusqu'à la fin des années d'apartheid, que Dieu leur avait donné l'Afrique du Sud comme il avait donné le pays de Canaan aux Hébreux, les Noirs étant assimilés aux Cananéens.


La politique d'apartheid fut le "résultat de l'anxiété historique des Afrikaners obsédés par leur peur d'être engloutis par la masse des peuples noirs environnants". Les lois rigides qui en résultèrent, "dictées par une minorité dynamique obsédée par sa survie" en tant que nation distincte, furent ainsi le résultat d'une confrontation, sur une même aire géographique, d'une société sur-développée, intégrée au premier monde avec une société de subsistance, encore dans le tiers monde, manifestant le refus de l'intégration des premiers avec les seconds3.


Les guerres menées au début du XXe siècle par l'Empire britannique en vue de contrôler l'Afrique du sud et les traitements atroces infligés aux populations afrikaners (massacres, camps de concentration et leurs milliers de morts) ont renforcé la crispation sur un destin national faisant référence aux sources bibliques "Les nations sont nées d'une volonté divine et chacune d'elles est détentrice d'une spécificité et d'une mission à accomplir". L'idéologie nationale afrikaner présente donc d'étonnantes analogies avec le sionisme.

 

Or, force est de le constater, l'expulsion progressive des non-Juifs de Jérusalem-est et l'installation de colonies de peuplement illégales mais protégées par l'armée israélienne4, isolant les portions de territoire qui ensemble, ne représentent plus que 40% de la Cisjordanie, entravant la circulation, captant l'eau5 au détriment des non-Juifs victimes d'exactions continuelles et soumis au bon vouloir de l'armée d'occupation, constitue la mise en place d'un système analogue6.

 

Si le "développement séparé" a pris depuis 1967 et surtout 1990 l'allure d'une guerre raciale contre la population palestinienne, cette notion a toujours hanté la problématique sioniste. Le deuxième congrès du Paoleï Tsion (organisation du sionisme socialiste) en 1908, avait résolu de fermer aux autochtones les organisations syndicales et politiques juives. Cette décision qui sera appliquée dès la fondation de la Histadrout7 en 1921, répondait à la constatation qu'habitués à un mode de vie frugal et aux solidarités liées au mode de vie traditionnel de la société palestinienne, les travailleurs locaux concurrençaient les immigrants européens et risquaient de ruiner le projet sioniste. Notons que cette problématique est conssubstantielle à l'installation de colons européens dans des pays du tiers-monde. À la même époque, les mineurs afrikaans et les ouvriers européens en Égypte se mettent en grêve contre l'embauche d'indigènes; tandis que les colonies françaises excluent ceux-ci du champ d'application des droits politiques et du droit civil. Toutefois jusqu'à la formation de l'état d'Israël, le sionisme reste marqué par les idées émancipatrices. Certains de ses thèmes idéologiques et expériences sociales rappellent les élans généreux du mouvement bolchevik et les débats internes8 montrent un certain souci des intérêts des autochtones en dépit des conflits souvent violents.

 

Le nationalisme israélien muré dans une impasse


L'Apartheid en Afrique du sud reposait sur un racisme radical, excluant les Noirs de l'espèce humaine. Les rapports sexuels inter-raciaux étaient réprimés comme des manifestations de bestialité obscène. Il y a un siècle, l'Europe asservissait les "peuples-enfants" sous prétexte de les éduquer9.

 

Certains idéologues de la droite israélienne tiennent aujourd'hui un raisonnement voisin. Inaptes aux droits de l'homme, les Arabes sont dépeints comme ataviquement rétrogrades, violents et cruels. Oubliant qu'en France par exemple, les femmes étaient des mineures civiles il y a cinquante ans, on monte en épingle leur dépendance pour diaboliser les musulmans. De plus, la résistance palestinienne est incriminée comme "terroriste" tandis que le soldat israélien protège l'occident du déferlement des hordes orientales. Lorsqu'ils affirment "Israël, seule démocratie du Proche-Orient", il faut comprendre "Israël, avant-garde du combat de la race blanche contre les peuples inaptes aux formes sociales supérieures que sont la démocratie et l'égalité des femmes10".

Il y a quelques années, le CRIF faisait grand cas d'un livre décrivant un complot arabe visant à soumettre l'Europe11. Il en vantait récemment un autre montrant les Arabes accourus durant la première moitié du XXe siècle dans une Palestine déserte avant l'arrivée des Juifs, revendiquer les dividendes du dynamisme social de ces derniers12.

La politique israélienne conduit vers une situation inextricable. Le dynamisme démographique des Palestiniens obsède les nationalistes israéliens qui s'enferment dans une alternative : être noyés au milieu des non-Juifs ou laisser subsister une entité palestinienne dans un territoire étriqué et une stricte soumission à l'occupant. Le Ministre israélien des affaires étrangères préconise l'expulsion des non-Juifs et des articles récents du Monde illustrent les efforts des milieux nationaux-religieux pour interdire les relations sexuelles inter-raciales13. La revendication apparue ces dernières années, de reconnaissance par les nations du caractère "juif" de l'état d'Israël14 c'est-à-dire de la légitimité de lois favorisant les Juifs au détriment des non-Juifs, est un exemple de l'impasse vers laquelle conduit cette obsession. Cette prétention n'a aucune chance d'être satisfaite, tant elle contrevient à tous les principes du droit international, notamment la Déclaration universelle des droits de l'homme.

 

Les années 1990 ont simultanément fourni à l'Afrique du sud et à Israël une voie de sortie vers une "normalité" démocratique. La première l'a emprunté en dépit des craintes que pouvait légitimement nourrir la minorité blanche, du fait des haines accumulées au cours de dizaines d'années d'oppression. Force est de constater qu'Israël n'a pas su saisir cette chance, que les colons extrémistes et leur relais à l'étranger ont été les plus forts pour continuer d'entraîner leur pays vers le gouffre. Á cet égard, il faut observer que les soutiens inconditionnels dont bénéficie Israël à l'étranger15 constituent à la fois une force et une faiblesse.

 

 


Notes

[1] contrairement au Droit qui connaît les crimes et les délits, l'Histoire étudie les "phénomènes" affectant les groupes humains, y compris les conflits  : guerres, massacres dont elle établit les causes et les mécanismes.

[2] Voir notamment Paul Coquerel, l'Afrique du sud des Afrikaners, Complexe, 1992

[3] Antoine Bullier, Université Paris 1, Apartheid : l'écriture d'une histoire 1940-1990, Palabres Vol. V,n°1, 2003

[4] http://abonnes.lemonde.fr/proche-orient/article/2012/01/23/la-colonisation-israelienne-en-marche-a-susiya-village-palestinien-de-cisjordanie_1633266_3218.html#ens_id=1559455

[5] Voir un exposé de la problématique de l'eau au plan mondial et notamment palestinien dans le rapport présenté récemment par Jean Glavany devant l'Assemblée nationale.

[6] Ziyad Clot, Il n'y aura pas d'état palestinien, Max Milo, 2010 fournit une description de la situation actuelle en Palestine

[7] organisation syndicale, mais aussi organe du secteur coopératif

[8] Walter Laqueur, Histoire du sionisme, Gallimard, 1972

[9] Olivier Le Cour Grandmaison, De l'indigénat, Zones, mai 2010

[10] Gilles-William Goldnadel, Réflexions sur la question blanche, janv 2011, Ed Jean-Claude Gawsewitch

[11] Bat Ye'or, Eurabia, Jean-Cyrille Godefroy, 2006

http://www.crif.org/fr/alireavoiraecouter/Eurabia-L-axe-euro-arabe-Par-Bat-Ye-or-%28%2A%299314

[12] David Horowitz, Comment le Peuple palestinien fut inventé, David Reinharc, novembre 2011.
Comme le font nos pro-israéliens fanatiques d'aujourd'hui, les promoteurs de l'Apartheid avaient inventé une doctrine s'appuyant sur des élucubrations archéologiques, selon laquelle les noirs n'avaient jamais peuplé l'extrémité sud du continent africain avant l'arrivée des blancs qui en étaient donc les premiers habitants. Cela conférait à leurs yeux une légitimité à leur négation des droits politiques et civils des noirs.

[13] http://abonnes.lemonde.fr/proche-orient/article/2010/12/09/malgre-le-tolle-l-appel-anti-cohabitation-de-rabbins-israeliens-s-etend_1451397_3218.html

http://abonnes.lemonde.fr/proche-orient/article/2010/07/20/en-israel-se-faire-passer-pour-juif-pour-seduire-une-femme-conduit-en-prison_1390270_3218.html

[14] Amnon Rubinstein, Alexander Yakobson, Israël et les nations, Presses universitaires de France, mai 2006

[15] John J. Mearsheimer, Stephen M. Walt, Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine, La découverte, 2007

 

http://blogs.mediapart.fr/blog/berjac/270312/israel-et-apartheid


Tag(s) : #Contre l'impérialisme
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