ITALIE
alors que cette "gauche" s'apprête à faire alliance
avec Mario Monti, l'homme de la Goldman Sachs
de l'Union Européenne et du Vatican...
LE CERCLE. À une semaine des élections parlementaires italiennes, l'opposition de gauche est donnée gagnante par toutes les enquêtes d'opinion. La coalition Italie Bien commun, dirigée par P. Bersani devrait recueillir la majorité à la Chambre des députés et donc obtenir la prime qui lui permettrait d'avoir 340 élus. Corinne Deloy analyse les enjeux de ce scrutin majeur pour l'Union européenne.
À une semaine des élections en Italie, l'opposition de gauche est donnée gagnante par toutes les enquêtes d'opinion. La coalition Italie Bien commun, dirigée par Pierluigi Bersani et rassemblant le Parti démocrate (PD), Gauche, écologie et liberté (SEL) de Nichi Vendola, le Parti populaire du Tyrol du Sud et le Parti socialiste (PSI) de Riccardo Nencini, devrait en effet recueillir la majorité à la Chambre des députés et donc obtenir la prime qui lui permettrait d'avoir 340 élus (sur 630 au total). Mais les choses sont beaucoup plus indécises au Sénat (315 membres) où une prime de majorité est accordée à la coalition arrivée en tête du scrutin dans chacune des régions. 4 d'entre elles seront disputées : la Campanie, la Vénétie, la Lombardie et la Sicile. Dans ces deux dernières, l'écart entre gauche et droite est inférieur à trois points.
L'Italie étant un pays au bicaméralisme égalitaire (les deux Chambres possèdent des pouvoirs identiques), la gauche doit obligatoirement recueillir la majorité à la Chambre des députés et au Sénat pour être en mesure de gouverner. Les jeux sont encore loin d'être faits.
Les dernières enquêtes d'opinion ont été diffusées le 8 février dernier (elles sont désormais interdites de publication jusqu'au jour des élections). L'institut Tecne crédite la gauche de 33,1 % d'intentions de vote ; la droite de Silvio Berlusconi (Parti du peuple pour la liberté, PdL) de 29,4 % ; le Mouvement cinq étoiles (M5s) de Beppe Grillo de 16,3 % et le centre du président du Conseil sortant Mario Monti de 12,6 %. L'institut Demoscopia donne 33,6 % à la gauche, 28,5 % à la droite, 18,2 % au M5s et 13,6 % au centre. L'institut Piepolo, qui donne 35,5 % à la gauche et 30,5 % à la droite, est le seul à placer le centre de Mario Monti devant le M5s avec 16 % contre 14 % à Beppe Grillo. Un grand nombre d'électeurs restent indécis.
Donné 10 points derrière la gauche fin janvier, Silvio Berlusconi est désormais à 4 points de Pierluigi Bersani. Une remontée spectaculaire, mais qui pourrait avoir atteint son sommet. Les chiffres des sondages permettent d'envisager une alliance entre la gauche et le centre à l'issue des élections. Un gouvernement dirigé par Pierluigi Bersani dans lequel Mario Monti occuperait le ministère de l'Économie ne devrait cependant pas susciter l'enthousiasme du parti le plus radical de la coalition de gauche, Gauche, écologie et liberté (SEL). Ce dernier s'oppose à tout rapprochement avec Mario Monti. "La présence de Mario Monti au gouvernement serait un gage de confiance pour l'Europe, de confiance pour les marchés et un gage de confiance pour l'Europe" affirme James Watson, professeur de sciences politiques à l'université américaine de Rome.
Ce contexte d'incertitude a fait réagir les marchés financiers. Les taux d'intérêt italiens ont grimpé et la bourse de Milan a chuté. L'Italie a emprunté 3,5 milliards d'euros sur 3 ans à un taux de 2,3 % ; il y a un mois, le taux s'élevait à 1,85 %. Selon l'Institut italien de la statistique (Istat), le moral des consommateurs s'établissait en janvier à 84,6, soit son taux le plus faible depuis 1996, année des premières statistiques de cet ordre.
Le même jour que le scrutin parlementaire, trois régions italiennes renouvelleront également leurs parlements régionaux : la Lombardie, le Latium et le Molise.
Une gauche à la peine
L'Italie a été secouée début février par un scandale financier lorsque la banque Monte dei Paschi di Siena (MPS), 3e établissement financier du pays et plus ancienne banque du monde (elle a été fondée en 1472), a été accusée d'avoir entre 2006 et 2009 maquillé 730,3 millions d'euros de pertes par des opérations sur des produits dérivés. La banque a été sauvée par 3,9 milliards d'euros émis par la Banque d'Italie sous forme d'obligations spéciales. L'État a accordé à MPS un prêt correspondant au montant du nouvel impôt foncier (l'impôt sur la résidence principale, IMU [Imposta municipale unica]), mis en place par Mario Monti, qui pèse sur de nombreux Italiens dont 80 % sont propriétaires de leur logement.
La banque Monte dei Paschi di Siena a acquis en 2007 pour 10 milliards d'euros la banque AntonVeneta, qui, l'année précédente, valait 3 milliards de moins. Les magistrats s'interrogent sur la possibilité que des pots-de-vin aient été versés lors de ce rachat et soupçonnent les cadres de l'établissement financier d'avoir prélevé 5 % de commissions sur toutes les opérations financières. Ce scandale est particulièrement dommageable pour les forces de gauche. En effet, le conseil d'administration de la banque Monte dei Paschi di Siena est composé aux 3/4 par des membres du Parti démocrate de Pierluigi Bersani.
Si Silvio Berlusconi qui, dans les années 1970 et 1980, a bénéficié de prêts de cet établissement a peu évoqué le scandale, Antonio Ingroia, candidat de la coalition de gauche Révolution civile[1] au poste de président du Conseil, et surtout Beppe Grillo, qui s'est précipité à Sienne, siège de la banque, pour dénoncer la gestion des financiers et le gaspillage de l'argent public, s'en font des gorges chaudes. "Nous sommes certains que la gauche a beaucoup à dire sur Monte dei Paschi di Siena, mais au lieu de cela, elle se tait" a déclaré Angelino Alfano, dirigeant du PdL
Pierluigi Bersani est loin d'être assuré que sa coalition obtiendra la majorité qui lui permettra de gouverner le 25 février prochain. Il veille soigneusement à épargner le président du Conseil sortant, seul candidat avec lequel il peut envisager de s'allier. "Après le scrutin parlementaire, je suis prêt à une alliance avec tous ceux qui sont contre le populisme et Silvio Berlusconi. Parmi eux figure Mario Monti" a-t-il indiqué à Berlin le 6 février dernier. "Je serais disponible à une alliance avec ceux qui s'engagent en faveur de réformes structurelles", lui a répondu le chef du gouvernement.
Le leader de la gauche affirme que le Parti démocrate est le parti le plus pro-européen d'Italie. Il a rassuré les marchés financiers sur l'arrivée de la gauche au pouvoir, indiquant qu'il souhaitait poursuivre les réformes mises en place par Mario Monti même s'il veut en place de nouvelles.
La première campagne de Mario Monti
Néophyte en politique, le président du Conseil sortant a fait appel pour sa première campagne électorale à David Axelrod, consultant politique américain et conseiller de Barack Obama. "Je me rends compte que ma nature est en train de changer", a déclaré Mario Monti. "La dernière chose que j'aurais pu imaginer était de me porter candidat", a-t-il affirmé.
Soutenu par l'Union des démocrates chrétiens et du centre (UDC) de Pier Ferdinando Casini, Futur et liberté pour l'Italie (FLI) de Gianfranco Fini, plusieurs groupes centristes et vers la IIIe république, think tank dirigé par Luca Cordero di Montezemolo, le président du Conseil sortant veut poursuivre sur la voie de la maîtrise des dépenses et d'une action politique équilibrée, mais promet aux Italiens un avenir meilleur.
"Nous bloquerons la dépense publique courante. L'État ne dépensera pas un euro de plus par rapport à 2012. Cela signifie une réduction de 4 % entre la dépense publiques et le PIB à la fin de la législature", a-t-il indiqué. Le programme de Mario Monti prévoit ainsi des déductions de taxes immobilières dès cette année ainsi que le doublement des déductions accordées pour les enfants à charge qui passeraient de 50 à 100 €.
Enfin, il promet de baisser dans les 5 prochaines années l'impôt sur la résidence principale et la taxe sur les activités de production (IRAP) de 11 milliards d'euros et les recettes de l'impôt sur le revenu de 15 milliards d'euros. Il se veut le candidat d'une Italie européenne, du retour de la croissance, de la construction d'une économie sociale de marché dynamique et enfin du changement des mentalités dans la péninsule.
"J'ai constaté que beaucoup au sein des forces de l'économie italienne et à l'étranger concernant l'Italie étaient préoccupés de ce qui pourrait se passer après les élections et j'ai pensé que je devrais faire un effort pour libérer les énergies présentes dans la société civile italienne" a-t-il indiqué.
"L'Italie a besoin de réformes radicales pour ceux qui n'appartiennent pas à des groupes d'intérêt protégés ainsi que pour les jeunes qui ne trouvent pas de travail parce que certains sont trop protégés", a souligné Mario Monti.
Celui-ci a par exemple critiqué la Confédération générale italienne du travail (CGIL) qu'il a qualifié de "conservatrice" et invité Pierluigi Bersani à faire taire les plus radicaux des membres de sa coalition "qui veulent maintenir un monde du travail fossilisé et bloqué".
Mario Monti répète que, considérant l'état dans lequel Silvio Berlusconi a laissé l'Italie, il n'a eu d'autre choix que d'augmenter les impôts. L'ancien président du Conseil, qui qualifie son successeur de "petit leader de la gauche", répond que le chef du gouvernement est responsable de la situation du pays qu'il a contribué à aggraver en recourant excessivement à la rigueur. "Que les Italiens puissent encore faire confiance à Silvio Berlusconi me fait songer au joueur de flûte de Hamelin (conte des frères Grimm) qui charme les rats pour mieux les noyer", a ironisé Mario Monti qui se veut confiant. "Les Italiens ne sont pas fous", a-t-il affirmé à propos d'un éventuel retour du Cavaliere.
Si les Italiens jugent que de nouveaux efforts seront inévitables et ne croient pas à un retour à la lire, s'ils savent gré à Mario Monti d'avoir rendu sa crédibilité et sa dignité à leur pays, ils souffrent cependant de la cure d'austérité qu'il a imposée au pays et font preuve de moins d'enthousiasme que les dirigeants européens à son égard. "En un an, Mario Monti a fait davantage que tous les gouvernements italiens depuis 2000", a souligné Gianni Toniolo, professeur d'histoire économique à l'université LLUIS de Rome. Le bilan du Professore est certainement positif, mais malheureusement inachevé et faire une campagne électorale en promettant la rigueur face à des adversaires qui n'hésitent pas à faire les promesses les plus folles est chose difficile.
Silvio Berlusconi : le tout pour le tout
Le leader de la droite mène "sa dernière grande bataille électorale et politique" tambour battant. Il s'enorgueillit de sa longévité au pouvoir (il a été président du Conseil entre 1994 et 1996, puis entre 2001 et 2006 – où il est devenu le seul Premier ministre de l'histoire de la République italienne à effectuer un mandat complet de 5 ans – et entre 2008 et 2011) et met en avant ses relations avec les dirigeants européens. Enfin, Sua Emittenza occupe les médias.
Le 27 janvier dernier, journée dédiée à la mémoire de l'Holocauste, il n'a pas hésité à dire tout le bien qu'il pensait de Benito Mussolini. "En rappelant les" bonnes choses "faites par Benito Mussolini, Silvio Berlusconi ne fait que dire aux Italiens : aujourd'hui, il faut un nouvel homme fort pour le pays et ce peut être moi" a indiqué Ilvo Diamanti, professeur de sciences politiques à l'université d'Urbino. "À moins d'un mois des élections, c'est une manière pour Silvio Berlusconi de rassembler son électorat jusqu'à l'extrême droite et cette partie des Italiens – nombreuse –, qui pensent comme lui à propos de Benito Mussolini" a souligné Marc Lazar. "Sur le fascisme, j'ai dit ce que pense la moitié des Italiens", a d'ailleurs conclu le Cavaliere.
Silvio Berlusconi n'hésite pas à proposer une amnistie fiscale, pratique régulière dans la péninsule et mesure qui lui avait réussi lors des élections des 13 et 14 avril 2008. Il affirme qu'il supprimera l'impôt sur la résidence principale (IMU) mis en place par Mario Monti et restituera aux Italiens les sommes qu'ils ont versées en 2012. Il a déclaré que cette restitution (qui serait selon lui effective en un mois) serait la première mesure qu'il ferait voter au Conseil des ministres s'il devenait ministre de l'Économie.
Il estime son coût à 4 milliards d'euros et envisage de passer un accord avec la Suisse pour taxer les capitaux italiens (entre 100 et 130 milliards d'euros) présents dans la Confédération helvétique pour financer cette opération. Une mesure qui demanderait du temps pour être mise en œuvre et qui de toute façon reste difficile à concrétiser en raison de la mobilité des capitaux.
"Cela peut fonctionner si l'on trouve d'autres sources de recettes, mais je pense que cela relève plutôt de l'utopie et de la démagogie et ferait de l'Italie le seul pays où les résidences principales ne seraient pas taxées", a souligné Fabio Marchetti, professeur de droit fiscal à l'université LLUIS. Mario Monti, favorable à une diminution graduelle de la pression fiscale, a accusé son prédécesseur, qu'il a qualifié de "charmeur de serpents", de tentative de corruption. "
C'est une sympathique tentative de corruption" a-t-il déclaré, ajoutant. "Si l'on supprime l'impôt sur la résidence principale, il reviendra doublé dans un an".
"Même un imbécile est capable d'inventer de nouvelles taxes et de les imposer aux citoyens, mais seule une personne intelligente peut réduire les coûts", répète Silvio Berlusconi qui s'engage à réduire la pression fiscale de 5 points (de 45 % à 40 %) en 5 ans. Le coût d'une telle mesure s'élèverait selon lui à 16 milliards d'euros cette année, 32 milliards l'année suivante. L'ancien président du Conseil entend financer cette baisse des taxes par la réduction des dépenses publiques à raison de 800 milliards d'euros/an, ce qui constitue une somme considérable.
Silvio Berlusconi s'est également engagé à supprimer un impôt régional sur les entreprises, à ne pas augmenter le taux de TVA, à ne pas instaurer d'impôt sur la fortune, à geler les charges sociales pour tout entrepreneur qui embauchera un jeune ou un chômeur et à ramener la dette qui représente 126 % du PIB à 100 %. Enfin, il promet de réduire le train de vie du gouvernement, de diminuer de moitié le nombre des parlementaires (945 au total) et de mettre fin au financement public des partis politiques.
Beppe Grillo : une irrésistible progression ?
Beppe Grillo, dirigeant du M5s, attire de nombreux électeurs, notamment les plus jeunes, en se voulant le chantre de l'écologie, de la transparence politique, de la lutte contre la corruption, de la démocratie directe et en s'opposant à l'austérité économique et aux délocalisations. Il veut réduire le temps de travail à 20 heures hebdomadaires et faire entrer les classes populaires au gouvernement. Il propose d'accorder un revenu de citoyenneté de 1 000 € par mois durant 3 ans à tout Italien dans le besoin, sans toutefois préciser la façon dont il compte financer une telle mesure. Beppe Grillo demande l'interdiction des partis politiques et des syndicats, il s'oppose à l'impôt sur la résidence principale avec l'argument suivant : "la maison, c'est sacré, comment Mario Monti ose-t-il la taxer ? ".
Toute personne ne possédant pas de casier judiciaire peut devenir candidate du M5s aux élections. Beppe Grillo n'a jamais participé à un scrutin. La campagne des grillini (les grillons, nom donné aux partisans de Beppe Grillo) fait une large place à internet et, de ce fait, est peu onéreuse (en mai dernier, Federico Pizzarotti s'est imposé à Parme avec un budget de campagne de moins de 6 000 €, Roberto Castiglion a remporté la mairie de Sarego avec 300 €). Chaque candidat du M5s doit s'engager à ne pas faire plus de deux mandats durant toute sa vie. Le leader populiste refuse de participer aux débats télévisés et préfère de loin organiser des réunions publiques, ce qu'il fait depuis le début de la campagne électorale tout au long de ce qu'il appelle son "tsunami tour".
À quelques jours d'un scrutin, il reste bien difficile d'imaginer un scénario postélectoral. In fine, les 24 et 25 février prochains, les Italiens ont le choix entre un vote pour consolider leur appartenance à la zone euro (Pierluigi Bersani ou Mario Monti) et un autre en faveur d'un renversement du système européen (Silvio Berlusconi ou Beppe Grillo).
[1] La coalition Révolution civile rassemble l'Italie des valeurs (IdV) d'Antonio di Pietro, la Fédération de la gauche, dirigée par Paolo Ferrero et Oliviero Diliberto qui regroupe le Parti de la refondation communiste (PRC) et le Parti des communistes italiens (PdCI), et la Fédération des Verts d'Angelo Bonelli.