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Audience du 9 novembre 2010

COMPTE-RENDU & COMMENTAIRES

 

Sur décision de la Cour Suprême des Etats-Unis,

la Cour du Troisième Circuit débat à nouveau de

LA PEINE de MORT dans le dossier MUMIA ABU-JAMAL

 

 

Article publié le 10 novembre 2010 (lendemain de l’audience de la Cour d’Appel Fédérale de Philadelphie) sous la plume de Dave LINDORFF, journaliste indépendant et auteur de Killing Time, ouvrage juridique de référence sur l’affaire Mumia Abu-Jamal (2003).

 

L’affaire Mumia Abu-Jamal et sa condamnation pour meurtre durent depuis presque trente ans. Il est toujours enfermé et isolé dans une cellule minuscule, se battant contre cette peine injuste et la campagne permanente menée par le syndicat de police, le Fraternal Order of Police, qui n’a qu’un but : son exécution ! Cette affaire était de nouveau soumise à l’appréciation des trois juges de la Cour d’appel fédérale, mardi 9 novembre, qui devaient débattre à nouveau de leur décision (2008) de requérir l’approbation d’un  nouveau jury pour maintenir la peine de mort. Cette audience faisait suite à une récente décision de la Cour Suprême des Etats-Unis (janvier 2010).

 

Les trois juges, Anthony Sirica nommé sous la présidence de Reagan, Robert Cowen nommé sous la présidence de Bush père et Thomas Ambro nommé sous la présidence de Clinton, avaient validé, deux ans auparavant, la décision du juge fédéral du District William Yohn qui considérait que, lors du procès de Mumia Abu-Jamal (1982), le juge qui présidait avait alors  fourni des bulletins de vote mal rédigés et confus, et avait surtout donné des informations inexactes aux jurés sur la sentence. Selon les juges de la Cour d’appel fédérale de Philadelphie, ces informations inexactes avaient induit à tort les jurés à  croire que pour qu’une circonstance atténuante soit accordée à l’accusé – ce qui aurait empêché la condamnation à mort – il fallait que les douze jurés votent à l’unanimité sur une circonstance atténuante. En fait, selon la loi, tout juré peut décider qu’il y a une circonstance atténuante, ce qui rend dans ce cas la peine de mort inconstitutionnelle. Ce n’est que dans le cas de circonstances aggravantes entraînant automatiquement la peine de mort que l’unanimité des jurés est requise.

 

La décision de 2008 a été saluée comme une grande victoire par Abu-Jamal et son avocat Maître Robert R. Bryan, car cela signifiait soit qu’il ne serait pas exécuté mais qu’il serait condamné à vie sans possibilité de conditionnelle ou bien que le procureur de Philadelphie devrait accorder un nouveau procès pour décider de la peine, avec un nouveau jury pour statuer s’il doit ou non être condamné à mort.

 

En janvier dernier, la Cour Suprême des Etats-Unis avait mis des bâtons dans les roues, en rendant un jugement dans le cas de Frank Spisak, un néo-nazi qui arborait une  moustache ‘à la Hitler’ à son procès. Condamné à mort pour avoir tué au hasard des gens parce qu’ils étaient Juifs ou Noirs, sa condamnation à mort avait été invalidée par une Cour fédérale de district pour le motif que les bulletins de vote distribués aux jurés étaient mal rédigés et que les instructions données par le juge aux jurés étaient inexactes.

 

La Haute Cour (Cour Suprême des Etats-Unis) qui n’avait toujours pas statué sur l’appel du procureur de Philadelphie contestant la décision de la Cour fédérale du troisième district dans le dossier d’Abu-Jamal, a alors décidé de renvoyer le dossier devant la Cour d’appel du Troisième Circuit, demandant aux juges fédéraux de Philadelphie Sirica, Cowen et Ambro de revoir leur décision en tenant compte de la récente jurisprudence Spisak.

 

A l’audience de mardi qui dura une heure, le procureur H. Burns, pour l’accusation, a essayé de prouver que ce qui était en cause dans le dossier d’Abu-Jamal - les instructions et le contenu des bulletins donnés aux jurés-  était « presque identique » au cas Spisak. L’avocat d’Abu-Jamal, le professeur de droit à l’université de Widener Judith Ritter, qui avait défendu ce même argument avec succès, en tant que conseil aux côtés de Robert R. Bryan lors de l’audience en 2007, a pris le contre-pied de cet argument en affirmant que les erreurs, tant dans les formulaires de vote que dans les instructions données aux jurés pour le procès de Mumia Abu-Jamal étaient « fondamentalement différentes » du cas Spisak.

 

Les trois juges semblaient, dans les remarques initiales comme dans les questions posées, partager le point de vue de la défense.

 

Comme l’a demandé le juge Cowen, en réponse à l’argument de l’adjoint du procureur H. Burns, « Est-ce que les formulaires donnés aux jurés ne diffèrent pas de manière significative ? J’ai trouvé six points différents. » A un autre moment, pendant l’audience, il a ajouté « n’est-ce pas plus qu’une divergence sur la forme, ne s’agit-il pas de deux cas différents ? »

 

Le juge Ambro a noté que, dans le cas d’Abu-Jamal, le juge Albert Sabo a dit aux jurés : « Rappelez-vous bien que votre décision doit être prise à l’unanimité ». Ambro a aussi fait remarquer : « C’est en quelque sorte une recommandation sans appel ». Lui et Cowen ont tous deux noté que l’on n’avait jamais dit aux jurés lors du procès de Spisak que leur décision devait être prise à l’unanimité, tandis que le mot « unanimité » avait été repris plusieurs fois dans le cas d’Abu-Jamal, à la fois dans les instructions données oralement par le juge et dans les formulaires distribués au jury.

 

Burns a tenté de contrer en disant que si le terme « à l’unanimité » n’avait peut-être pas été utilisé dans le cas Spisak, le juge s’était adressé au jury en le considérant comme une seule entité, ce qui implicitement pouvait signifier que l’unanimité devait être requise pour trouver des circonstances atténuantes.

 

L’avocate Judith Ritter a précisé les différences entre les dossiers Spisak et Abu-Jamal en disant : «  Pour Spisak, vous aviez une absence d’instructions concernant les circonstances atténuantes qui pouvait induire le jury en erreur. Ici (dans le cas Abu-Jamal), ce n’est pas un silence. Regardez le numéro 2 (sur le bulletin de vote). Il commence par : « Nous le jury avons trouvé à l’unanimité… »

 

Ritter était seule à représenter la défense après la démission de l’avocat principal Robert R. Bryan juste quelques jours avant l’audience. Selon nos sources, Abu-Jamal avait demandé à Robert R. Bryan, la semaine précédente, d’assister à l’audience sans prendre la parole, laissant ce rôle à Judith Ritter. Selon R. Bryan, Abu-Jamal pensait que, puisque Ritter avait gagné cet argument en 2008, elle serait un choix plus judicieux que R. Bryan qui, selon beaucoup de supporters d’Abu-Jamal, avait fait une plaidoirie moins bien argumentée et moins incisive que Ritter à l’audience de 2007. Robert R. Bryan a dit que sa proposition de ne faire que l’introduction et répondre aux questions des juges en conclusion de l’audience avait été rejetée par Abu-Jamal et par J. Ritter, qui avait ensuite soumis une requête aux juges demandant le retrait de R. Bryan de sa défense. Les juges ont accédé à sa demande le vendredi 5 novembre.

C’est la seconde fois qu’Abu-Jamal change d’avocat à la veille d’une audience décisive. En 1999, juste au moment où le juge Yohn discutait des dates pour son appel en Habeas Corpus, Abu-Jamal avait congédié son avocat Léonard Weinglass et son collaborateur Dan Williams, suite à la publication d’un ouvrage sur l’affaire (Dan Williams, Executing Justice, 2001). Il l’avait remplacé par deux avocats Eliot Grossman et Marlene Kamish, qui avaient peu d’expérience en droit pénal de peine capitale, pour ensuite les remplacer par Robert R. Bryan.

 

Pour conclure, alors qu’il est difficile de connaître les intentions du juge qui préside, le juge Sirica, les juges Cowen et Ambro, ne semblaient pas convaincus par le procureur H.Burns. « Vous n’avez pas répondu à l’argument de Miss Ritter » commenta R. Cowen. « Elle a mis en évidence des points de divergence entre les formulaires (cas Spisak et cas Abu-Jamal) qui sont significatifs. »

 

Puis le juge Ambro ajouta : « Par exemple, le mot ‘à l’unanimité’ n’a pas été utilisé dans Spisak ». Et Le juge Cowen d’affirmer : « Dans notre cas ‘à l’unanimité’ a été utilisé plusieurs fois et spécialement concernant tout ce qui concerne les circonstances atténuantes ».

 

Bien sûr, même si les trois juges confirment leurs conclusions de 2008, le procureur fera probablement à nouveau appel auprès de la Cour Suprême des Etats-Unis, où les mêmes cinq juges qui ont invalidé la décision Spisak et renvoyé le dossier de Mumia Abu-Jamal devant la Cour du Troisième Circuit pourraient encore décider d’annuler la décision de la Cour du troisième circuit. Et alors Mumia serait à nouveau condamné à mort.

 

Si la Cour Suprême confirme la décision de la cour fédérale de Philadelphie (Troisième District) ou qu’elle refuse d’examiner le cas et laisse la décision de la Cour fédérale de Philadelphie en l’état ce serait alors au procureur de décider si Abu-Jamal reste condamné à vie ou s’il accorde un nouveau procès pour décider de la condamnation (à vie ou peine de mort).

 

La défense espère un nouveau procès sur la condamnation puisque cela lui permettrait de présenté de nouvelles preuves concernant la fusillade ayant entraîné la mort du policier Faulkner. Par exemple, les deux principaux témoins à charge de l’accusation étaient la prostituée Cynthia White et le chauffeur de taxi Robert Chobert, qui tous les deux ont décrit comment Abu-Jamal a tiré sur Faulkner à bout portant, véritable exécution avec Abu-Jamal debout au-dessus du flic tombé à terre et lui tirant plusieurs fois dessus à bout portant. Le problème avec cette version des faits est qu’une seule balle – celle qui a touché Faulkner au milieu du front – a atteint le policier et pourtant il n’y a pas d’impacts de balles, ni sur la scène du crime, ni sur le trottoir où est tombé Faulkner comme le montrent les photos prises sur place aussitôt après et les enquêteurs de la police n’en signalent aucune également.

 

Test avec une réplique du revolver d’Abu-Jamal - Des balles et un trottoir en béton identiques ont montré que des balles tirées à bout portant laissaient des impacts très visibles sur le sol. Même si un procès portant uniquement sur la condamnation ne peut pas remettre en cause le verdict de culpabilité pendant ce « demi-procès », la défense pourrait présenter des preuves montrant que le scénario d’un « meurtre sur commande » (type exécution) présenté aux jurés par l’accusation est impossible. Des témoins pourraient alors comparaître pour contredire cette version des faits, ce qui mettrait en difficulté l’accusation - si de nouvelles preuves sont produites ou des témoins se rétractent – en jetant le doute sur la culpabilité d’Abu-Jamal et  la validité de sa condamnation.

 

Même si la Cour du troisième circuit rejette l’appel d’Abu-Jamal et que la peine de mort décidée en première instance est rétablie ce n’est cependant pas encore la fin du parcours judiciaire.

 

Si nous revenons au 18 décembre 2001, quand le juge Yohn a suspendu la condamnation à mort d’Abu-Jamal, il a mentionné dans son jugement qu’il n’avait pas statué sur quatre autres erreurs constitutionnelles incompatibles avec une condamnation à mort, qu’il n’y avait pas lieu de les examiner puisqu’il avait déjà déclaré la peine de mort inconstitutionnelle. Comme l’a déclaré Christina Swans « nous pouvons légalement demander une décisions de justice sur ces autres arguments ».

 

En d’autres termes, si la peine de mort est rétablie, le cas d’Abu-Jamal sera à nouveau soumis au juge Yohn qui devra examiner des violations constitutionnelles incompatibles avec l’application de la peine de mort. Parmi ces arguments nous pouvons citer les suivants :

 

-         L’utilisation par le procureur McGill, dans le but de persuader les jurés d’imposer la peine de mort, d’une déclaration faite par Abu-Jamal alors âgé de quinze ans, reprenant une citation de Mao Tse tong « le pouvoir est au bout des fusils ».

-         La précipitation dans laquelle le procès a eu lieu avec une défense confiée à un avocat incompétent, Anthony Jackson, et un juge, le juge Sabo, ordonnant un procès sur la condamnation au lendemain même du verdict de culpabilité rendu par les jurés ; et aussi le fait que Jackson n’ait même pas demandé un report pour préparer la défense si bien qu’il fut incapable de faire comparaître un seul témoin de moralité pour justifier les circonstances atténuantes.

-         Le procureur McGill a indiqué aux jurés, avec l’approbation du juge, qu’on ne leur demandait pas de « tuer quelqu’un » puisqu’il y aurait « de nombreux appels ». La Cour Suprême des Etats-Unis ainsi que la cour du Troisième Circuit et même la Cour suprême de Pennsylvanie, ont toutes, à maintes reprises, annulé des condamnations à mort parce que les procureurs ont tenu de tels propos aux jurés, car cela diminue la responsabilité morale des jurés dans leur décision d’appliquer la peine de mort.

-         Finalement, la défense a fait état de la rétention de preuves par l’accusation, en particulier l’information détenue par la police selon laquelle le FBI avait suspendu sa surveillance d’Abu-Jamal après avoir conclu que, comme l’écrit le FBI dans une note mettant fin à la surveillance : « En Mars 1973, conformément aux instructions du Bureau, le sujet cité (Abu-Jamal) était supprimé d’ADEX et ne ferait plus l’objet d’une surveillance de ses activités ». Cependant, on a eu quelques rapports périodiques sur COOK (nom de famille d’Abu-Jamal) et bien qu’il n’ait jamais été violent, il continue à  entretenir des rapports avec des individus et des organisations extrémistes. »

 

Comme l’a dit l’assistant du procureur Burns « ce dossier risque encore de durer des années ».

 

Dave Lindorff

 

 

Cet article, traduit par Claude Guillaumaud-Pujol, est reproduit

par

le Collectif Unitaire National de soutien à Mumia Abu-Jamal

Tag(s) : #Internationalisme
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