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La Biélorussie sans démagogie

 

Dire qu’on a « visité la Biélorussie », c’est ennuyeux. Mais raconter qu’on a passé le week-end dans la « dernière dictature d’Europe » et qu’on y a bu de la vodka avec le sosie de Loukachenko – n’importe quel moustachu faisant l’affaire –, quel panache !

 

– Oh, la France ! Vous savez ce qu’on dit, de la France ?
– Non, qu’est-ce qu’on dit ?
– Qu’on y parle la langue de l’amour.
– Ah oui…
– Et vous, vous dites quoi ?
– Nous ?
– Oui, sur la Biélorussie, vous dites quoi ?
– Nous, on dit que vous êtes la dernière dictature d’Europe.

Jusque là, j’avais essayé de ne pas y penser.

De ne pas jouer les aventurières en me disant : Là ! Je suis dans la dernière dictature d’Europe. Parce que lorsqu’on fait ça, je le sais, on s’intéresse un peu moins au pays et un peu plus à nous dans le pays – ça fait plus d’anecdotes à raconter au retour que la succession interminable de bottes de foin aperçues dans la campagne biélorusse.

– Et alors, c’est vrai ?
– Quoi donc ?
– Vous voyez la dictature autour de vous, là – partout ?

Ma foi, j’aurais pu. Par facilité, j’aurais pu. Comme cette journaliste qui a publié, pour Slate.frBiélorussie, voyage au cœur de la dernière dictature d’Europe, un récit de quelques jours passés sur place.

Sauf que…

Le problème n’est pas tant que la journaliste s’inquiète de ce que la Biélorussie soit « un des seuls pays d’ex-URSS à avoir raté sa transition démocratique ». Ce qui est regrettable, c’est qu’elle n’y voie rien d’autre qu’une « dictature ». Car enfin, le voyage vaut-il la chandelle si ce que l’on découvre ne fait que confirmer ce que l’on attendait de voir ?

Le texte sonne ainsi comme une longue litanie. La ville est propre – mais quoi de plus normal, pour une dictature ? Des problèmes de visa ? – relents de bureaucratie soviétique, il ne pouvait en aller autrement. Des plaisanteries douteuses entendues ça et là chez les autochtones ? – typique d’une violence latente. La faucille et le marteau qui ornent les monuments – preuve, s’il en fallait, du régime totalitaire. Sans oublier la « population aux abois » qui ne mange que des patates et de la saucisse fumée – eh, pénurie oblige. Les vieux ont d’ailleurs « l’air plus vieux qu’ailleurs » – certainement le poids de la famine et de la répression politique.

Je ne me lancerai pas dans un long démenti démagogique : car il est vrai que la ville est étrangement propre, et que les policiers, les radars et les patates sont omniprésents. Allez, un peu de démagogie quand même : ces vérités ne sont-elles pas valables, aussi, pour le Nord-Pas-de-Calais ?

– Vous leur direz, à vos compatriotes, ce que vous avez vu ? On n’est pas bien, ici ?

Je vais vous dire, ce que j’ai vu. J’ai promis.

Je ne suis pas allée dans la dernière dictature d’Europe. Je me suis rendue (pour ma défense, certainement déjà lobotomisée et privée de tout sens critique par le régime poutinien qui m’accueille depuis quatre ans) dans un pays hors-du-temps, j’ai roulé sur une autoroute incroyablement droite et bien entretenue – payante, mais qu’on ne m’a jamais demandé de payer. J’ai donc enfreint la loi de la dernière dictature d’Europe, et – quel ennui, décidément ! – il ne m’est rien arrivé.

J’ai traversé, avec d’autres voitures luxueuses et moins luxueuses, un territoire composé à 40 % de forêts. Lesquelles sont bordées de dizaines de panneaux incitant fermement les gens à respecter la nature, la faune et la flore qui les composent – mais suis-je naïve, il devait s’agir de propagande ? Vous me direz, hein, parce qu’entre nous, cher lecteur, on trouve les mêmes panneaux au Canada.

J’ai rencontré des gens souriants, ouverts, heureux – et rassasiés. J’ai vu des vieux aussi vieux qu’ailleurs, et d’autres moins vieux. J’ai mangé un tas de bonnes choses – et notamment la meilleure charcuterie d’Europe de l’Est.

 


J’ai découvert un pays à la vie douce en apparence, où le sport national est la cueillette des champignons et où le réceptionniste, à Minsk, est tout prêt à enfreindre les règles administratives en échange d’un regard honnête (paix à son âme – il a sûrement disparu dans les geôles du KGB depuis, me souffle la journaliste de Slate.fr).

 

J’ai vu un pays où les gens se font confiance, où les bois sont propres et la terre fertile. J’ai vu un pays qui bouillonne sans agresser. J’ai vu une campagne riche à faire pâlir d’envie n’importe quel paysan breton. J’ai vécu un week-end de fête, mais sans peur et sans frissons. Pourtant, j’ai parlé politique avec le sosie de Loukachenko. Il a la langue bien pendue, dites-donc !

Tag(s) : #Europe
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