GDF Suez :
le témoignage accablant
de l’ex-salariée d’un centre d’appels
Vendre à tout prix des produits à des abonnés même en détresse financière sans consacrer plus de huit minutes par appel…Tel fut pendant trois ans le quotidien de Fanny. Récit.
La publication mercredi de notre enquête « Comment GDF Suez gonfle les factures de ses clients » a suscité de nombreuses réactions d’usagers ulcérés par le traitement infligé par leur fournisseur de gaz.
- Notre journal a aussi recueilli le témoignage accablant d’une ancienne employée d’Armatis, un centre d’appels de Caen (Cavaldos), sous-traitant de GDF Suez. Fanny a fait partie des 2600 opérateurs téléphoniques chargés de répondre aux appels des abonnés. Face à des clients parfois en détresse, elle avait été formée non pour les aider mais pour leur vendre des produits… en moins de huit minutes. Et pendant ce temps, les fiches de réclamation s’entassaient sans être traitées pendant des mois. Au bout de trois ans, elle a craqué. Elle nous raconte son quotidien.
Huit minutes au maximum par appel
- Comme la plupart des salariés du centre d’appels de Caen, Fanny, 33 ans, a exclusivement travaillé pour le compte de GDF Suez après un mois de formation.
- « Quelle que soit la raison de l’appel, explique-t-elle, chaque téléconseiller possède une liste de produits commerciaux qu’il doit coûte que coûte proposer à son interlocuteur au cours de la conversation. Cela me gênait moralement beaucoup car je pouvais avoir au bout du fil des gens dans une grande détresse financière. »
- Mais même confrontée à des clients accablés par une facture erronée ou exorbitante, la jeune femme avait l’obligation de leur proposer, par exemple, un Diagnostic Qualité. Son coût : 70 € pour l’installation au gaz, 99 € pour l’électrique et jusqu’à 129 € pour un Diagnostic Qualité 2 énergies!
« L’objectif premier n’est pas d’aider, mais bien de vendre, reprend Fanny, des produits ou des services qui, de surcroît, ne servent pas à grand-chose. » - Autre contrainte, chaque appel fait l’objet d’un traitement minuté. « Chaque jour, je devais gérer environ une centaine d’appels. Il fallait enchaîner à toute vitesse. Le TMP, c’est-à-dire le temps moyen par appel ne devait pas dépasser les huit minutes, quel que soit le problème! »
- Les changements d’adresse étaient les plus longs à traiter.
- Alors pour tenir la moyenne, Fanny explique qu’elle et ses collègues se rattrapaient sur les réclamations.
« Leur gaz est coupé parfois en plein hiver »
- « Même si, dans certains cas, le problème aurait pu être réglé avec un seul appel, on nous demandait quand même de raccrocher en utilisant des phrases toutes faites du genre : Je vais transmettre ça au service concerné. »
- En réalité, une fiche était rédigée puis placée sur une grosse pile à destination du back-office. « Ces fiches n’étaient en réalité quasiment jamais consultées, reprend-elle d’une voix lasse. Voilà pourquoi certaines procédures prennent des mois et des mois. »
- Quand les clients rappellent, « on leur dit que leur dossier est en attente et qu’il va être traité le plus rapidement possible, poursuit Fanny. Et leur gaz est coupé, parfois en plein hiver! »
« GDF Suez voulait que nous vendions toujours plus »
- La jeune femme ne porte néanmoins aucun jugement sur ses anciens collègues. « Nous étions pour la plupart payés au smic, c’est-à-dire autour de 1000 € net. Pour nous, vendre ces produits nous permettait de toucher des primes pouvant aller jusqu’à 200 € supplémentaires par mois. »
- Au bout de trois ans, Fanny craque :
- « Je n’en pouvais plus. La pression était toujours plus grande. Les appels étaient enregistrés et, régulièrement, on nous débriefait en les écoutant et en nous donnant des notes! GDF Suez voulait que nous vendions toujours plus, sans tenir compte des urgences. Beaucoup comme moi sont partis. »
- Fanny s’est reconvertie, elle travaille aujourd’hui comme secrétaire médicale avec, enfin, le sentiment d’être utile aux autres.