Le Blog d'Olivier Berruyer
La reprise est dans l’impasse
L’économie américaine aurait dû être en florissante avant la fin du printemps mais la croissance reste très faible. La prévision de croissance pour le second semestre ne dépasse pas 1.8%.
Cela n’est pas suffisamment rapide pour réduire notre taux de chômage très élevé. Le Ministère du Travail nous indiquera vendredi si le marché de l’emploi s’est amélioré en mai, mais il n’y a aucun signe d’une hausse des embauches ; ni des salaires. Le revenu des ouvriers et des employés, qui représentent 80% des salariés du privé, sont plus faibles après inflation qu’ils ne l’ont été au cœur de la récession.
Dans le même temps, les prix de l’immobilier ne cessent de baisser. Ils sont aujourd’hui 33% en-dessous de leur plus haut de 2006, ce qui représente une baisse plus importante que durant la grande dépression. Le logement est le plus gros actif de la classe moyenne américaine, ainsi les américains se sentent plus pauvres à mesure que l’immobilier baisse. Tout cela contribue à ce sentiment général de marasme. Il n’est donc pas surprenant que la confiance des consommateurs soit également en baisse.
La reprise est dans l’impasse. Il est peu probable que les Etats-Unis retournent en récession mais la possibilité d’un double dip ne peut être exclue.
Le problème de la demande
Entre l’offre et la demande, le problème n’est pas du côté de l’offre. Les profits des entreprises restent confortables. Les grandes corporations conservent d’importantes réserves de trésorerie. Les grandes entreprises et les PME gardent la possibilité d’accroître leur endettement à des taux faibles.
Le problème est du côté de la demande. Les consommateurs américains, qui représentent 70% de l’économie, ne peuvent et ne vont consommer suffisamment pour faire tourner l’économie. Ils ont légitimement peur de ne pouvoir payer leurs factures, les frais d’université de leurs enfants ou leur retraite. Les banques sont réticentes à leur octroyer des prêts pour les mêmes raisons. Mais tant que les consommateurs se retiendront, les entreprises resteront réticentes à embaucher ou à augmenter les salaires, perpétuant le cercle vicieux.
Le timing est fâcheux. Les exportations n’aideront pas beaucoup même si le dollar continue de baisser. La crise de la dette et les politiques d’austérité en Europe, la tragédie japonaise et le resserrement monétaire chinois ont réduit la demande globale. Dans le même temps, les plans de relance gouvernementaux touchent à leur fin. La Réserve Fédérale va ainsi arrêter son plan d’achat de 600 milliard de dollars de bons du Trésor qui permettaient de faire baisser les taux d’intérêt à long-terme et d’aider les particuliers à renégocier leurs prêts immobiliers. Plus grave encore, les Etats américains, assoiffés de recettes fiscales et constitutionnellement interdits de déficit budgétaire, continuent de réduire leurs dépenses. Les municipalités sont dans une pire situation, obligés de licencier enseignants et pompiers.
Washington paralysé
Dans une période ordinaire, cela serait le bon moment pour le gouvernement fédéral de prendre des initiatives fortes pour éviter le double dip.
Par exemple, il pourrait augmenter le pouvoir d’achat tout en donnant une incitation fiscale supplémentaire à embaucher en exonérant de cotisations sociales les salaires inférieurs à 20 000 dollars pour une année ou deux. Il pourrait prêter de l’argent aux Etats et aux gouvernements locaux. Il pourrait lancer une nouvelle Works Progress Administration1 comme à l’époque de la grande dépression pour que les chômeurs de longue-durée puissent travailler sur des chantiers publics. (…) Il pourrait renforcer le crédit d’impôts sur les bas salaires pour que les 60% les plus pauvres bénéficient d’une prime pour l’emploi plutôt que d’être imposés.
Mais nous ne sommes pas dans une période ordinaire. Les Etats-Unis ont traversés une récession dévastatrice qui a creusé un grand trou dans le budget fédéral. Et avec l’élection présidentielle qui arrive l’an prochain, les deux partis manœuvrent déjà pour en tirer un avantage tactique.
Depuis qu’ils ont la majorité à la Chambre des Représentants en Janvier, les Républicains ont mis l’accent sur la réduction des dépenses publiques et la dérégulation. Leurs collègues au Sénat, dont leur leader a indiqué avoir pour objectif majeur de déloger le président Obama, sont sur la même longueur d’onde. Les cyniques soupçonneront les Républicains d’espérer en silence que l’économie reste mauvaise jusqu’au jour de l’élection.
Dans le même temps, les Démocrates font comme s’ils ne pouvaient avoir aucune influence sur l’économie alors qu’un Démocrate siège à la Maison Blanche et que le gouvernement est dirigé par des gens qu’il a nommé. Ils ne préfèrent pas s’appesantir sur la récession de peur d’effrayer le marché obligataire ou d’en rajouter au marasme ambiant. La remarque lourde de conséquences de Jimmy Carter sur le « malaise » que causait la stagflation durant les années 1970 a servi de leçon aux présidents pour qu’ils maintiennent un discours optimiste.
Les Démocrates misent leur succès électoral sur la confusion de l’investiture Républicaine, et la proposition suicidaire des Républicains de transformer Medicare, le système apprécié d’assurance pour les personnes âgées, en un système de bons qui dirigerait l’argent vers les sociétés d’assurances privées.
Tout cela donne l’impression que Washington vit sur une autre planète du reste du pays (beaucoup d’Américains diraient que ce n’est pas vraiment nouveau).
La bataille politique la plus forte dans la capitale concerne l’augmentation du plafond d’endettement, un jeu de la poule mouillée dans lequel les Républicains exigent, en échange de leur vote, un plafond sur les dépenses publiques tandis que les Démocrates veulent conserver la possibilité d’augmenter les impôts des plus riches. Un nombre incalculable d’experts budgétaires épluchent les projections de recettes et de dépenses publiques dans les 5 à 10 prochaines années. Les think-tanks et les commissions d’experts rédigent de volumineux rapports sur comment réduire le déficit dans les prochaines décennies. Dans le même temps, le Président, tente d’apparaître comme le plus austère budgétairement que possible – limitant les dépenses discrétionnaires hors-défense, gelant les salaires des fonctionnaires, et proposant son propre plan de réduction du déficit.
La paralysie de Washington devant une reprise économique dans l’impasse est une mauvaise nouvelle – non seulement pour les citoyens américains mais également pour le reste du monde. Ironiquement, cela aggrave la future crise budgétaire américaine car cela retarde le moment où l’endettement commencera à se réduire en proportion du PIB. Tandis que l’élection de 2012 se profile à l’horizon, la possibilité de politiques publiques intelligentes se réduit.
Robert Reich
Écrit pour le Financial Times
Traduit de http://robertreich.org par Vincent pour www.les-crises.fr