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AgoraVox le média citoyen

Le Marché Transatlantique
fait un retour discret
au Parlement Européen

On avait presque oublié ce fameux marché transatlantique, qui souvenez-vous, avait été rendu célèbre par Jean Luc Mélenchon (on peut au moins lui reconnaitre cela) il y a quelques temps. Les empoignades européennes actuelles nous conduisent à nous repencher sur ce dossier, puisque ce projet de Grand Marché Transatlantique, initié à travers une résolution formelle du 3 mars 2009[1] au Parlement Européen, est porté sur un objectif 2015 qui se trouve maintenant à moins de 3 ans de nous. Ce dessein n’est pas nouveau et découle d’un historique déjà riche sous la présidence du Commissaire Jacques Santer, mais il a été fortement promu dans les années 2008-2009 par des personnalités politiques ou par des think-tanks néolibéraux. 

Qu’en est-il exactement de l’actualité de ce projet déjà ancien et qui prend une forme de plus en plus tangible ? Pour tenter d’en savoir plus, nous aurons l’occasion de suivre les débats qui porteront sur les « Relations commerciales et économiques avec les États-Unis » lors de la plénière du 23 octobre 2012 au Parlement de Strasbourg, qui seront peut-être l’occasion pour le député européen Moreira de faire valider une proposition de résolution visant à autoriser la Commission à engager des négociations directes avec le gouvernement américain en vue du projet de Marché Transatlantique.

 Le rapport Moreira.

En effet, le 7 septembre 2012 nous est parvenu le projet de rapport du député européen Vital Moreira (Groupe parlementaire socialiste S&D, Portugal) sur les relations commerciales et économiques avec les Etats-Unis[2]. Ce rapport, qui sera probablement présenté à l’occasion de la prochaine plénière d’Octobre 2012 à Strasbourg, est riche d’informations qu’il convient ici de relever et d’analyser, pour saisir cet autre mouvement euroatlantiste, qui à l’ombre des éclats du très contesté Pacte Budgétaire, s’occupe de construire des ponts sur l’Océan. Reste à comprendre, quelle idéologie l’on veut y faire rouler.

Ce document de dix pages est introduit par un rappel pratique des initiatives ou des procédures ayant précédé ledit rapport, notamment :

· « Vu la déclaration conjointe du sommet UE–États-Unis, datée du 28 novembre 20111, et la déclaration conjointe du Conseil économique transatlantique UE–États-Unis, datée du 29 novembre 20112,

· vu les lettres adressées à Barack Obama, Président des États-Unis, le 22 février 2012, par vingt membres des deux partis du Sénat des États-Unis, et le 14 mai 2012, par cinquante-et-un membres des deux partis de la Chambre des représentants des États-Unis,

· vu la lettre adressée à José Manuel-Barroso, Président de la Commission, et à Herman Van Rompuy, Président du Conseil européen, le 19 mars 2012, par quatre membres de la commission du commerce international du Parlement européen pour exprimer leur soutien au groupe de travail à haut niveau UE–États-Unis sur l'emploi et la croissance,

· vu la déclaration conjointe du sommet du G8 qui s'est tenu à Camp David, États-Unis, les 18 et 19 mai 20123, et la déclaration conjointe du sommet du G20 qui s'est tenu à Los Cabos, Mexique, les 18 et 19 juin 20124,

· vu le rapport intérimaire aux dirigeants par les coprésidents du groupe de travail à haut niveau, daté du 19 juin 20125,

· vu la déclaration conjointe du 19 juin 2012 de Barack Obama, Président des États-Unis, José Manuel Barroso, Président de la Commission européenne, et Herman Van Rompuy, Président du Conseil européen6,

· vu les conclusions du Conseil européen des 28 et 29 juin 2012, ainsi que le « paquet pour la croissance et l'emploi » y annexé7,

· vu ses résolutions antérieures, en particulier celles du 1er juin 2006 sur les relations

économiques transatlantiques UE–États-Unis8, du 22 mai 2007 sur l'Europe mondialisée :

aspects extérieurs de la compétitivité9, du 19 février 2008 sur la stratégie de l'UE pour assurer aux entreprises européennes un meilleur accès aux marchés extérieurs10, du 5 juin 2008 sur le thème « assurer l'application de la politique commerciale grâce à des règles et des procédures d'importation et d'exportation efficaces »1, du 9 juillet 2008 sur les litiges Airbus/Boeing devant l'OMC2, du 5 février 2009 sur le renforcement du rôle des PME européennes dans le commerce international3, du 11 novembre 2010 sur le prochain sommet UE-États-Unis et sur la réunion du Conseil économique transatlantique4, du 6 avril 2011 sur la future politique européenne dans le domaine de l'investissement international5, du 27 septembre 2011 sur la nouvelle politique commerciale pour l'Europe dans le cadre de la stratégie Europe 20206, du 17 novembre 2011 sur le sommet UE-États-Unis du 28 novembre 20117 et du 13 décembre 2011 sur les barrières aux échanges et aux

investissements8,

· vu la déclaration conjointe de la 72e réunion interparlementaire du dialogue transatlantique des législateurs, tenue à Copenhague les 9 et 10 juin 2012 et à Strasbourg le 11 juin 2012,

· vu l'étude, datée du 11 décembre 2009, réalisée pour la Commission par ECORYS Nederland, publiée sous le titre « Non-Tariff Measures in EU-US Trade and Investment – An Economic Analysis »9,

· vu l'article 207, paragraphe 3, et l'article 218 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,

· vu l'article 48 de son règlement,

· vu le rapport de la commission du commerce international et l'avis de la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs (A7-0000/2012).  »

Cette introduction suffit à illustrer l’état des discussions engagées à ce jour sur le sujet. Mais passons maintenant en revue quelques-uns des points les plus intéressants du rapport Moreira. Des points qui évoquent précisément le fameux marché transatlantique, ainsi que l’objectif 2015.

Tout d’abord, Point A. Justification du projet :

« A. considérant que l'Union européenne et les États-Unis sont chacun le principal partenaire commercial de l'autre, les deux économies réunies représentant près de la moitié de la production économique mondiale et près du tiers des flux commerciaux dans le monde, ce qui fait de ce partenariat la relation économique la plus importante à l'échelle mondiale ; »

Ensuite, pour combattre la crise, il faut bien sûr renfoncer la coopération :

« C. considérant que l'économie mondiale demeure vulnérable, ce qui a des effets négatifs sur la vie quotidienne de tous les peuples de la planète, en particulier dans les domaines de l'emploi, du commerce, du développement et de l'environnement, et considérant que les crises économique et financière qui touchent toujours l'Union européenne et les États-Unis menacent la stabilité et la prospérité de nos économies et le bien-être de nos citoyens, et qu'une coopération économique plus étroite entre l'Union européenne et les États-Unis est nécessaire afin de combattre et surmonter les crises ; »

Mais encore, pour introduire, point H :

« H. considérant que l'élaboration de normes communes à l'Union et aux États-Unis aurait automatiquement des retombées positives sur les pays de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), et qu'un cadre réglementaire plus homogène entre les deux rives de l'Atlantique serait, de façon générale, plus profitable ; »

Quid du calendrier des négociations ? Point M :

« M. considérant que la Commission a exprimé son espoir d'ouvrir déjà d'éventuelles négociations dès le début de l'année 2013 et de mener à bien ces négociations avant la fin de son mandat ; »

Puis l’on passe au point numéro 1. Joli pamphlet antiprotectionniste par ailleurs :

« 1considère qu'il importe de mieux employer les échanges et l'investissement étranger pour

stimuler une croissance intelligente, forte, durable, équilibrée, inclusive et utilisant efficacement les ressources, qui conduise à la création d'un plus grand nombre d'emplois et qui améliore le bien-être des populations à travers le monde ; se félicite de la volonté affichée par les décideurs du G8 et du G20 d'ouvrir le commerce et l'investissement, d'élargir les marchés et de lutter contre le protectionnisme sous toutes ses formes, créant ainsi les conditions nécessaires à une relance mondiale de l'économie, de l'emploi et du développement ; »

Et maintenant, nous y sommes. Point numéro 2 :

« 2. salue les discussions conjointes en cours entre l'Union et les États-Unis sur la manière de travailler ensemble pour optimiser le potentiel de croissance et pour stimuler la stabilité financière afin de créer des emplois de qualité ; souligne qu'afin de garantir à long terme prospérité et emplois, un engagement et des efforts conjoints sont nécessaires pour créer de nouvelles perspectives pour les grandes et petites entreprises, et pour tirer le meilleur parti des avantages offerts par le marché transatlantique, qui se distingue par son degré élevé d'intégration ; »

Pour l’instant, c’est très clair, mais il y a bien mieux. Point numéro 5, explicite :

« 5appelle de nouveau à l'achèvement, d'ici à 2015, d'un marché transatlantique fondé sur le principe d'une économie sociale de marché, ce qui, aux côtés de l'achèvement du marché intérieur de l'Union, jouera un rôle clé pour la relance de la croissance mondiale et pour la sortie de crise ; »

Cela est par ailleurs tout à fait intéressant. L’argumentaire consiste là aussi, à représenter ce grand marché transatlantique, comme une solution à la crise économique, au même titre que les plans de sauvetage et l’intégration à marche forcée contribuent à s’extraire de la récession. Avec ce rapport, nous nous apprêtons à revoir surgir l’Eurocratie ultralibérale dans une splendeur impatiente et renouvelée :

« 7. se rallie à l'avis selon lequel, au vu des droits de douane en moyenne peu élevés, le démantèlement des barrières non tarifaires, principalement des procédures de douane et des restrictions réglementaires « après la frontière », est l'élément essentiel qui permettra d'optimiser pleinement le potentiel de la relation transatlantique ; souscrit aux objectifs ambitieux proposés par le groupe de travail d'évoluer progressivement vers un marché transatlantique encore plus intégré, tout en concédant qu'aucun accord ne saurait résoudre immédiatement tous les problèmes d'ordre réglementaire existants dans le respect du droit de chaque partie à réglementer de façon à accorder à la santé, à la sécurité et à l'environnement le degré de protection que chaque partie juge approprié ; »

Excellente idée : c’est en supprimant de nouvelles sources de recettes que nous sortirons nos finances du marasme du déséquilibre. Quant à l’agenda de ce projet, il nous est encore dévoilé ici :

« convient qu'une préparation soigneuse est nécessaire pour assurer que de telles négociations sur un accord global bilatéral sur le commerce et l'investissement, si elles avaient lieu, aient des résultats concrets et soient menées à bien dans les meilleurs délais ; attend avec intérêt le rapport final (y compris une recommandation sur une décision concernant les négociations) du groupe de travail à haut niveau ; prie la Commission européenne et le gouvernement des États-Unis de présenter le résultat final des travaux du groupe de travail lors de la 73e réunion du dialogue transatlantique des législateurs, qui se tiendra d'ici à la fin de 2012 ; »

La Commission européenne négocierait directement avec le Gouvernement américain.

Notez bien qu’ici, nous avons à faire à un projet curieusement mené en collaboration directe et exclusive avec le gouvernement des Etats-Unis, tandis que le Parlement et surtout le Conseil, demeurent pour l’instant comme effacés. L’activité du Parlement devrait donc reprendre à partir de ce mois d’Octobre, notamment à travers la commission parlementaire affectée à cette issue. C’est aussi le Parlement qui aura à se prononcer en faveur ou non, sur l’ouverture des négociations entre l’Union Européenne et les Etats-Unis.

Encore une fois, c’est bien la Commission européenne qui mènera ces négociations, aussi incroyable que cela puisse paraitre concernant un projet d’une telle ampleur. Cette dernière a clairement signifié avoir l’intention que ces négociations débutent avant 2013, c’est-à-dire avant la fin du mandat des commissaires actuels. Il faut donc croire que le Parlement Européen sera amené à se prononcer rapidement sur l’ouverture de ces négociations portant sur un projet aux dimensions proprement inédites et impliquant directement les intérêts profonds des économies des états-membres. Que répondent les dirigeants français à cela ? Il serait sans doute utile que des responsables politiques questionnent les gouvernants à ce sujet.

Le rapport de Moreira constituera donc la proposition de résolution au Parlement Européen cet Automne. Considérant avec réalisme les majorités libérales et socialistes que l’on y trouve, il n’y a aucun doute à penser que la résolution sera adoptée, bien que l’on doit s’attendre, espérons-le, à la levée de bouclier de quelques députés européens qui ne manqueront pas de dénoncer ce vaste projet encore une fois mené et ourdi loin des peuples, en plus de se détacher complétement de l’idéal de la construction européenne elle-même. Mais les initiés savent que tout revient à sa source. Comme le député européen Moreira était dans sa jeunesse, un jeune bourgeois marxiste du Parti Communiste Portugais (tout comme le Président Barroso), il se fait aujourd’hui l’architecte des plus brillantes réclames pour l’ultralibéralisme intégral. Comme l’Etat profond de l’Union Européenne, revient en quelque sorte aux fondamentaux qui animaient et animent encore ses réels bâtisseurs.

Quant à nous, nous aurons peut-être la chance dans quelques jours, d’assister à une saillie en règle de la part de notre ami le député européen Nigel Farage (EUD, Royaume-Uni), en attendant de voir ce qu’il adviendra de la proposition de résolution. Nous porterons également un œil curieux quant aux probables challengers pour le poste de Président de la Commission européenne. En effet, la passation de pouvoir sera un évènement probablement peu relayé, mais tout à fait important pour les objectifs de l’Eurocratie, qui aura à porter son projet global sur deux caps majeurs : 2015 pour le Marché Transatlantique. 2020 pour l’Union politique. 

Encore une fois : il est important que les responsables politiques du rassemblement patriote commencent à travailler sur cette question, notamment en vue des élections européennes de 2014. Quant aux socialistes, ils feraient bien de se méfier des promesses formulées par le Premier Ministre Ayrault (nous n'en croyons évidemment rien), qui a dernièrement assuré que la prochaine fois, pour les prochains traités, il y aura référendum. Parce qu’il faudra nécessairement un Traité pour encadrer ce marché transatlantique, que l'on nous présentera sans aucun doute, comme l'issue géniale à la crise, le retour de la croissance, du développement et de l'emploi.

Et naturellement, une telle Union transatlantique conduit à la question monétaire. Mais nous sommes encore loin de tout cela. Quoique ?

Guillaume de Gail, pour les Lettres de Strasbourg.



[1] Rapport du 3 mars 2009 sur l'état des relations transatlantiques après les élections qui ont eu lieu aux États-Unis (2008/2199(INI)) , Commission des affaires étrangères, Rapporteur : Francisco José Millán Monhttp://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+REPORT+A6-2009-0114+0+DOC+XML+V0//FR

[2] Projet de Rapport sur les relations commerciales et économiques avec les Etats-Unis(2012./2149(INT)), Commission du commerce international, Rapporteur : Vital Moreira, consultable sur le site du Parlement européen :http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/inta/pr/912/912234/912234fr.pdf

 

Tag(s) : #Europe
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