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Vendredi 29 juin 2012

Les dessous du coup d'état au Paraguay 

sur le site du PTB

Trois ans après le coup d’État « semi-légal » au Honduras en 2009, on vient d’assister au deuxième renversement d’un président de gauche au Paraguay à la frontière de la légalité. Mais quels intérêts se cachent derrière cette destitution ?

Ludovic Voet

 

 

 

Le Paraguay, pays enclavé dans le centre de l’Amérique du Sud, bordé au nord par la Bolivie, à l’est par le Brésil et au sud et à l’ouest par l’Argentine, vit des jours troubles en cette fin de mois de juin. Le secteur agricole y occupe 25 % du P.I.B. C’est le pays d’Amérique latine où ce secteur est le plus important et où les inégalités sociales entre petits paysans et grands propriétaires terriens sont les plus grands. Le revenu par habitant dépasse à peine les 4000 € par an. On compte 18 % de la population en dessous du seuil de pauvreté. Vivant essentiellement de l’agriculture, les paysans ne détiennent pourtant pas la terre, accaparée par des grandes propriétaires terriens, les latifundistes.

Un peu d’histoire

Historiquement, au 19ème siècle, le Paraguay était la région où le degré de développement était assez élevé. L’alphabétisation avait été menée à son terme et les gouvernements autoritaires en place développaient un capitalisme d’État, indépendamment du libre-échange que voulaient imposer les Anglais dans la région. Entre 1864 et 1870, la guerre de la « Triple Alliance » entre le Brésil, son allié fantoche récemment installé en Uruguay et l’Argentine contre le seul Paraguay décima ce dernier et l’amputa d’un quart de sa superficie. Tous les hommes de plus de 14 ans ont délibérément été tués et le ratio hommes/femmes montait de 1 à 4. L’appauvrissement général et l’incapacité à redévelopper l’économie florissante paraguayenne enfoncèrent le pays dans l’abîme. La dette de guerre contractée par le pays vaincu face à ses bourreaux le résigna à brader les terres du domaine public, privatisant, entre 1870 et 1914, pas moins de 26 millions d'hectares au profit de trois entreprises étrangères, brésiliennes et argentine.

 

La dictature d’Alberto Stroessner entre 1954 et 1989 est une autre période noire de l’histoire du Paraguay. Stroessner était membre du Parti Colorado, conservateur et nationaliste, installé 60 ans au pouvoir jusqu’en 2008 et l’arrivée au pouvoir du candidat de gauche Fernando Lugo.

 

Pendant la dictature, le pillage des terres ne fit que continuer, par l’expulsion de nombreux paysans allant se réfugier dans les alentours de villes. À l’heure actuelle, ce pillage s’est soldé par l’occupation illégale de 12 millions d’hectares, c’est-à-dire sans titre de propriété, par les grandes multinationales de l’agrobusiness. Selon un rapport publié en 1994 par la commission Vérité et Justice, 8 millions d’hectares raflés par des dignitaires du régime de Stroessner profitent à leurs héritiers, qui jouissent encore aujourd’hui d’immenses fortunes.

 

Pendant ce temps-là, les petits paysans ont de minuscules lopins de terre de quelques centaines de mètres carrés à peine à, dans le meilleur des cas, 3 ou 4 hectares. Les 1 % de propriétaires terriens les plus riches contrôlent en effet 77 % de la terre cultivable du pays, qu’une grande partie utilise pour la culture transgénique ou encore pour la spéculation. L’arrivée de Lugo au pouvoir en 2008 avec une grande alliance et un programme de redistribution des terres n’a certainement pas plu à l’oligarchie.

Les faits

Le 15 juin, dans le prolongement de leur lutte pour l’accès à la terre, des paysans du mouvement sans terre ont commencé une occupation de terres à Curuguaty, dans l’est du Paraguay, aux confins de la frontière avec le Brésil, demandant leur redistribution. Ces terres de 70 000 hectares « appartiennent » à Blas Riquelme (sans titres de propriété), un grand propriétaire terrien qui a accumulé beaucoup d’argent pendant la dictature, ancien président du parti Colorado et sénateur de la République, propriétaire de grands supermarchés. Le ministre de l’Intérieur a choisi de ne pas négocier avec les occupants et a fait intervenir les forces de l’ordre. Le bilan de l’affrontement sera de 11 paysans mort, ainsi que 6 policiers, et une cinquantaine de blessés. Les circonstances des affrontements restent floues. Le ministre de l’Intérieur a du quitter son poste.

 

Dans les jours qui ont suivi, le lobby des propriétaires terriens, l’UGP (Union de Gremios de Produccion) et les médias ont mis en cause la gestion politique du président. Rapidement, alors que les faits ne sont pas vérifiés, le président Lugo a été victime d’un « procès politique en destitution » pour avoir « mal exercé ses fonctions » le vendredi 22 juin devant le Sénat. Les droits élémentaires de la défense ont été bafoués (demande de 18 jours pour préparer la défense), le procès expédié en 5 heures.

 

Le Parlement a, en quelques heures, renversé le verdict des urnes. Le vice-président Federico Franco, du parti libéral, a pris les rênes du pays, avec le soutien de ses anciens « ennemis », le Parti Colorado. Caractérisé par une structure économique et sociale inégalitaire, le Paraguay est en plus gangréné par la corruption dans l’administration et les organes judiciaires, toujours aux mains des serviteurs du parti Colorado, au pouvoir jusqu’en 2008. La marge de manœuvre de Lugo était donc faible.

 

L’idée qu’enfin, en démocratie, c’est possible de renverser un président qui ne fait pas son travail, peut séduire. Le Paraguay montrerait l’exemple que toute démocratie devrait suivre ? Mais il faut d’abord voir les intérêts à l’œuvre derrière cette histoire. Passons outre les atteintes aux droits de la défense. Oublions également que les faits ne sont pas encore éclaircis… Mais peut-on oublier que ceux qui ont destitué Fernando Lugo sont ceux qui se sont enrichis pendant 60 ans (dont 35 ans de dictature) ou sont leurs héritiers ?

 

Ceux qui demandent le respect des procédures en cours (comme les États-Unis ou d’autres États occidentaux) sont ceux qui installent et désinstallent des dictatures dans le tiers-monde depuis 60 ans (donc celle de Stroessner au Paraguay). Ce sont eux aussi qui répriment leur peuple sans vergogne, et parfois dans le sang (pensons aux révoltes étudiantes au Chili et, dans une moindre mesure, au Québec). Ce sont eux enfin qui ne voient pas d’un bon œil les processus de changement en Amérique Latine par les gouvernements de gauche.

 

L’ex-Présdient français Sarkozy a-t-il été destitué pour mauvaise gestion dans la réforme des retraites ? Le Premier ministre espagnol Rajoy sera-t-il destitué pour le haut taux de chômage de la population espagnole ? L’Union Européenne n’est-elle pas celle qui accueille positivement en Grèce uniquement les seuls partis qui acceptent d’affamer leur peuple ? Fernando Lugo a sans doute fait des erreurs. Il n’a pas mené de réforme agraire véritable, il a essayé de concilier les avis de tout le monde… et encore plein d’autres critiques que le mouvement démocratique paraguayen a fait, fait et fera encore à Lugo.

 

Mais ceux qui donnent les leçons à l’heure actuelle sont-ils les parangons de la démocratie ?

Le Paraguay, le maillon faible

Le mouvement populaire et les forces démocratiques ont bien essayé de riposter. Ils étaient quelques milliers sur la place centrale d’Asuncion, la capitale, le jour même de la destitution, pour protester contre ce coup d’État « légal ». Fernando Lugo a symboliquement institué un gouvernement parallèle et intente un appel devant la Cour constitutionnelle. Les paysans sans terre se coordonnent pour organiser une marche vers la capitale. Mais le mouvement populaire est faiblement organisé à l’heure actuelle. Un « Front pour la défense de la démocratie » (FDD) s’est créé. Le processus est réversible. Mais il devra affronter un ennemi caché, mais si souvent présent dans la région : les États-Unis.

 

 

On compte dans le continent sud-américain 47 bases militaires américaines ou d’autres pays de l’OTAN qui contrôlent un continent riche en richesses naturelles. Le Paraguay est également fortement infiltré par les aides « au développement » américain de l’agence USAID, connue pour ses objectifs d’implantation géopolitiques.

 

Le continent américain et ses gouvernements de gauche en Argentine, Bolivie, Brésil, Équateur, Paraguay, Uruguay et Venezuela sont une épine dans le pied de l’impérialisme américain. Le renforcement des échanges et de l’intégration régionale est un coup aux exportations américaines venant inonder le marché sud-américain. Les processus d’intégration régionaux comme le MERCOSUR (union économique de l’Argentine, du Brésil, du Paraguay et de l’Uruguay), l’UNASUR (l’Union des nations sud-américaines) ou l’ALBA (Alliance bolivarienne pour les Amériques, composée essentiellement de la Bolivie, de l’Équateur, de Cuba et du Venezuela) dérangent la Maison Blanche.

 

 

Les événements au Paraguay, à la frontière du Sud-ouest brésilien, sont un signal clair des États-Unis au gouvernement brésilien qui suit de plus en plus un cours indépendant des États-Unis dans ses relations internationales en favorisant ses échanges avec d’autres pays émergents, les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud).

 

C’est également un signal clair qu’une opération « propre et rapide » peut détruire et freiner les processus de changement en Amérique latine. Les tentatives concertées de la droite vénézuélienne et des États unis de renverser le président Hugo Chavez sont légions depuis 14 ans. L’Équateur de Rafael Correa a failli subir un coup d’État militaire en 2010. Et Evo Morales, le président bolivien, a récemment déclaré avoir des preuves qu’une tentative de coup d’État est en cours en Bolivie. Les intérêts américains menacés, voici le cauchemar des dictatures soutenues par Washington dans les années 1970 qui ressurgit.

 

La fermeté de la condamnation du coup d’État par les États voisins a été primordiale dans les premiers instants pour isoler directement le nouveau gouvernement. Plus de 10 pays du continent ont retiré leurs ambassadeurs du Paraguay. Le Paraguay a également été exclu des réunions à venir du MERCOSUR et de l’UNASUR. Isolé sur le plan régional, Federico Franco va avoir du mal à contrer les sanctions internationales… sans l’aide des États-Unis.

 

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