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Au vu de leur rôle de « précurseur » dans la croissance des inégalités, nous allons étudier en détail la situation des États-Unis. Et pour cela, commencer par étudier l’indice de Gini des revenus de ce pays (dont, pour mémoire, la définition est ici).

Coefficient de Gini des USA Etats-Unis

Comme nous l’avons vu, l’indice américain est nettement plus élevé qu’en Europe : le pays est bien plus inégalitaire ; son minimum est supérieur au maximum européen.

On observe un apogée de l’indice juste avant la crise de 1929, marquant le terme d’une période de très forte croissance des inégalités survenue dans la période 1915-1930. La crise, le New Deal du président Roosevelt (qualifié de « seul président de gauche » par Noam Chomsky) et la seconde guerre mondiale marqueront une forte chute des inégalités. Mais ce qui est remarquable est que ce mouvement s’est poursuivi après la guerre et durant presque toute les trente glorieuses : le minimum de l’indice est atteint en 1968. Depuis, les inégalités n’ont cessé d’augmenter, avec une nette accélération dans les années 1980 : les années Reagan n’ont pas été perdues pour tout le monde –c’est cela le néo-conservatisme : un retour aux années 20 !

Faisons à ce stade un bref aparté sur la copie européenne de ce modèle : le Royaume-Uni.

Coefficient de Gini du Royaume-Uni, 1961-2008

On constate que les années Thatcher (en gris) sont « remarquables », au sens étymologique du terme. L’indice a véritablement explosé dans les années 1980, alors que le pays, contrairement aux États-Unis, avait une tradition beaucoup plus égalitaire, l’indice d’après-guerre faisait partie des plus bas historiques mondiaux. On observe que depuis 1990, l’indice s’est globalement stabilisé, mais à un niveau élevé.

C’est la victoire de l’école de pensée néoconservatrice, pour qui les inégalités ne doivent pas être combattues mais au contraire recherchées : le modèle d’inégalités croissantes.

« Nous nous devons de tolérer les inégalités, car elles constituent un moyen pour tous d’atteindre plus de prospérité et plus d’opportunités. » [Brian Griffiths, octobre 2009 – Conseiller de la banque Goldman Sachs et ancien conseiller de Margaret Thatcher]

Nous allons observer de plus près la répartition détaillée des hauts revenus. Soulignons (et déplorons) tout d’abord la pauvreté générale des statistiques officielles sur ce sujet, à l’heure de l’informatique. Mais nous avons la chance de disposer d’un travail remarquable de chercheurs sur cette thématique, réalisé par les français Thomas Piketty et Emmanuel Saez. Cette partie doit beaucoup à leurs statistiques – qu’ils en soient remerciés.

Quelques définitions : face à une courbe de distribution quelconque, on appelle fractile ou quantile des points pris à intervalles réguliers. Ces valeurs marquent des limites entre des sous-jeux consécutifs. Les 1000-quantiles sont appelés « milliles », les 100-quantiles sont appelés « centiles », les 25-quantiles « quartiles », les 20-quantiles « quintiles », les 10- quantiles « déciles », le 2-quantile est la médiane – soit la valeur qui scinde la population en deux parts égales (50 % des gens gagnent plus que la médiane, et 50 % gagnent moins). On notera P90 le 90ème centile (elle sépare les 10 % des personnes gagnent le plus), P99 le 99ème centile, et P90-99 la fraction de la population située entre P90 et P99 – donc les 9 % gagnant le moins parmi les 10 % gagnant le plus. De même P99,9 marque la limite de 1/1 000 gagnant le plus, et P99,99 celle du 1/10 000.

Ces valeurs sont intéressantes pour percevoir les répartitions. Pour mieux comprendre, imaginons par exemple un bar rempli de clients. Si Bill Gates rentre dans ce bar, le revenu moyen des clients explose, mais la médiane ne change pratiquement pas – ce qui est intuitivement plus correct pour percevoir la situation réelle.

Les chiffres pour les États-Unis sont les suivants :

Inégalités de revenus USA Etats-Unis

Ainsi en 2008 :

  • 10 % des américains (le « Top 10 % », soit 15 246 200 foyers) gagnaient plus de 109 100 $ (= P90) ;
  • 0,01 % des américains (soit 15 246 foyers) gagnaient plus de 9 141 200 $ (= P99,99), et en moyenne 27,3 M$ ;
  • les 90 % gagnant le moins (le « Bottom 90 % ») gagnaient donc moins de 109 k$ (P90) et en moyenne 31 200 $(= P0-90) ;
  • la moitié inférieure du 1 % gagnant le plus (P99-P99,5) gagnait en moyenne 443 100 $.

Le graphique suivant présente visuellement les parts de chaque sous-groupe du décile supérieur (P90-100), ainsi que leur évolution au cours du siècle passé. Le second graphique est un simple rappel de la répartition non des revenus mais de la population : le décile supérieur (les personnes gagnant plus de 110 k$), c’est donc 10 % de la population, mais gagnant près de 50 % de la masse des revenus (le cumul des 6 sous-groupes). Mais à l’intérieur, 9 % n’ont « que » 30 % des revenus et le Top 1 % en gagne près de 20 %, dont le Top 0,01 % gagne près de 5 %.

Inégalités de revenus USA Etats-Unis
Inégalités de revenus USA Etats-Unis

On constate de façon frappante la chute brutale de la part des revenus du décile supérieur survenue à la fin des années 30, et la grande stabilité jusqu’au début des années 1980. Les États-Unis ont ainsi retrouvé une structure de rémunération identique à celle des années 1920…

Mais ce qui est peut être encore plus frappant est le degré de concentration de l’évolution récente :

Inégalités de revenus USA Etats-Unis

Si toutes les fractions ont décliné durant la guerre, le phénomène inégalitaire de captation de la richesse, ne concerne pratiquement que le centile supérieur ! La part des 9 centiles suivants est peu impactée, voire a tendance à décliner, toute la hausse des revenus a été captée par le Top 1 %. Ainsi, même les personnes gagnant entre 110 et 370 k$ n’ont pas bénéficié du reaganisme – ils sont encore trop pauvres !

Renouvelons alors l’exercice sur ce centile supérieur sur le graphique suivant.

Inégalités de revenus USA Etats-Unis

Là encore, on voit la profonde inégalité même à l’intérieur du centile supérieur. Si la première moitié augmente bien un peu, les 40 % suivants constatent une hausse qui commence à être appréciable (leur part augmente de 50 %) mais c’est encore le décile supérieur du centile supérieur (le « Top 0,1 % ») qui bénéficie largement du système, captant à lui seul 70 % de la nouvelle richesse disponible, et multipliant par 4 sa part dans le revenu global !

En conclusion, le nouveau modèle d’inégalités croissantes commence à être intéressant pour les très hauts revenus de plus de 500 000 $ par an, mais c’est le « jackpot » pour les 140 000 happy few gagnant plus de 1,7 M$ par an.

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Dessin cartoon humour Inégalités de revenus USA Etats-Unis

Tag(s) : #Economie
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