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Actualité culturelle par Les Inrocks

 

La gauche critique favorable à la sortie de l’euro ?

 

Drapeaux des Etats membres de l'UE, le 15 avril 2014, devant le Parlement européen

  (Vincent Kessler/Reuters)

Alors que la gauche critique s’évertue depuis des années à parler d’Europe sociale, plusieurs intellectuels de gauche font un pas de plus et prônent désormais une rupture claire avec Bruxelles.

Les signes d’épuisement et de crispation des peuples européens vis-à-vis de l’Union européenne (UE) se multiplient, et ne présagent rien de bon pour le scrutin du 25 mai. Montée des extrêmes droites nationalistes, attaques germanophobes, abstention massive et croissante aux élections européennes depuis 1979…

Pourtant les partis politiques en France restent timides sur leur critique de l’Europe. L’éventualité de sortir de l’euro – et de l’UE – semblait jusqu’à présent exclusivement réservée à l’extrême droite – la gauche critique faisant le pari qu’”une autre Europe” était possible.

Les choses semblent changer depuis quelques mois. La parution de nombreux ouvrages d’intellectuels de gauche soutenant une sortie pure et simple de l’euro en atteste: La Malfaçon. Monnaie européenne et souveraineté démocratique de Frédéric Lordon (éd. Les Liens qui Libèrent), Faut-il faire sauter Bruxelles? de François Ruffin (Fakir Editions), Europe, les Etats désunis de Coralie Delaume (éd. Michalon), En finir avec l’Europe coordonné par Cédric Durand (éd. La Fabrique), La Gauche radicale et ses tabous, Pourquoi le Front de gauche échoue face au Front national d’Aurélien Bernier (éd. Seuil)…

Le divorce entre l’Europe et la gauche critique serait-il en passe d’être consommé?

“Restaurer la souveraineté démocratique”

A l’évidence, on ne peut plus rien essayer dans le carcan de l’euro. En vérité, il a été délibérément construit à cette fin : qu’on ne puisse rien y essayer !”. L’introduction de l’essai de l’économiste – volontiers polémique – Frédéric Lordon, La Malfaçon, ne laisse pas de doute: pour lui, “il faut en sortir”, pour “restaurer la souveraineté démocratique”, quitte à reconstruire, par la suite, une monnaie commune – et non pas “unique”.

Le fait que des politiques économiques gravées dans le marbre des traités européens s’imposent aux Etats membres de l’UE sans que les peuples ne soient consultés lui est insupportable. D’autant plus que les fameuses règles de limite du déficit budgétaire à 3% du PIB, et de limite d’endettement d’un Etat à 60% du PIB, au nom desquelles l’austérité s’impose, répondent à un ultimatum allemand inacceptable selon lui – l’Allemagne, par détestation viscérale de l’inflation, ayant imposée sa politique monétaire.

On ne dira jamais assez combien – avec la complicité de la France, à moitié passive, à moitié idéologiquement consentante – l’Allemagne a pesé pour faire de l’exposition des politiques économiques nationales au jugement des marchés financiers la pierre de touche de l’organisation du système européen de politique économique”, écrit l’auteur du blog La Pompe à Phynance, hébergé par Le Monde Diplomatique. Ce vendredi 2 mai, comme pour confirmer le poids considérable pris par l’Allemagne dans l’UE, Le Monde titre un de ses articles: “La capitale de l’Allemagne est devenue celle de l’Europe”.

“Aucun progrès n’est possible dans le cadre de l’UE”

 

La finance, et les marchés financiers sont au cœur du livre de François Ruffin, Faut-il faire sauter Bruxelles? Dans cette enquête d’un “touriste” au cœur du quartier européen de Bruxelles, la “confusion de la politique avec la finance” est mise en évidence de manière éloquente. Elle s’incarne notamment dans une plaque, repérée à l’entrée du Parlement européen, inaugurée en 2001, qui scelle l’amitié entre les eurodéputés et la “Fédération européenne du lobbying et public affairs”. Un symbole qui coïncide avec la réalité observée par le fondateur du journal Fakir, qui découvre que, face à la crise, le président du groupe chargé de remettre des rapports à José Manuel Barroso sur “le renforcement de la supervision financière” n’est autre que Jacques de Larosière, mis en examen en 2000 dans l’affaire du Crédit Lyonnais, et que dans ce groupe siège également un ancien directeur de Lehman Brothers… “On devine que la spéculation tremble déjà, se gosse l’auteur. Comme si l’on demandait au chef des gangsters: ‘quelle réforme de la police souhaitez-vous?’”.

Selon l’espiègle journaliste-enquêteur, la réponse est donc positive: oui, il faut faire sauter Bruxelles. Invité par le Parti de Gauche à débattre sur son livre avec le démographe Emmanuel Todd et l’économiste Jacques Généreux, mercredi 30 avril à l’ENS de la rue d’Ulm, il expliquait qu’“aucun progrès n’est possible dans le cadre de l’UE, qui nous impose la concurrence libre et non faussée entre pays de l’UE et la libre circulation des capitaux et des marchandises, y compris avec les pays tiers”.

“Reprendre au FN ce que la gauche radicale n’aurait jamais dû lui abandonner”

François Ruffin ne cachait cependant pas ses inquiétudes concernant la capacité de la gauche radicale, électoralement incarnée par le Front de gauche (FDG), à apparaître comme une alternative crédible aux électeurs, alors qu’elle a soutenu “l’alter-européisme” pendant des années. “Ma crainte c’est que la gauche critique n’ait toujours pas réglé ses problèmes sur le défaut de paiement, ce qu’on fait de la monnaie et de l’ouverture des frontières sur le plan commercial”, expliquait-il.

Sur ces trois thèmes, Frédéric Lordon est, lui, clair: “Les populations européennes éclusent les petits désastres de la finance privée. De tout ce surplus de dette, indiscutablement né de la crise financière, il faut dire que nous ne sommes pas comptables. Et par conséquent que nous ne le paierons pas”, écrit-t-il notamment sans détours.

L’autre problème, pour cette gauche, a été soulevé par Aurélien Bernier il y a déjà quelques mois dans La gauche radicale et ses tabous. C’est son complexe à parler de nation, à revendiquer le protectionnisme, voire une certaine forme de souverainisme, par peur d’aller sur un terrain miné par le FN.

Selon cet essayiste proche du FDG, en 2005, la victoire du “non” au référendum sur le Traité Constitutionnel Européen (TCE), a donné à la gauche radicale “une identité : elle est celle qui refuse le principe d’une UE acquise à l’ultralibéralisme. Mais pour [elle], il reste une question sans réponse : comment transformer ce refus du TCE en [...] mouvement politique capable de vaincre, dans les urnes, les partis européistes et l’extrême droite”.

Réaliste, il constate que “le FN est encore le parti qui bénéficie le mieux du rejet de l’ultralibéralisme par les classes populaires”. Et conclut: “En 2014, les européennes se dérouleront dans une configuration proche de celles de 1984 : c’est le premier scrutin national après plusieurs années de pouvoir pour le PS, qui finit de décevoir même les plus optimistes. Il faut donc s’empresser de reprendre au Front national ce que la gauche radicale n’aurait jamais dû lui abandonner”.

Vers une “unification de la contre-pensée”?

François Ruffin, à la conférence organisée par le PG, ne voit pas les choses autrement:

2005, c’est notre victoire, c’est un vote de classe: 80% des ouvriers ont voté pour le ‘non’, 71% des employés, et 67% des chômeurs.

A l’inverse, 56% des cadres ont voté pour le ‘oui’, comme 54% des enseignants. Il y a donc un divorce entre les deux cœurs sociologiques de la gauche: le cœur ouvrier, qui s’est pris la mondialisation en pleine face, et les professions intermédiaires et cadres, dont le taux de chômage reste autour de 5%.

Or, comme ce sont des membres de ces catégories les moins touchées par la mondialisation qui composent les médias, les partis et éventuellement les syndicats, il n’y a pas de traduction politique. Je vais glisser un bulletin FDG dans l’urne le 25 mai, mais quel est son sens? Le bulletin FN a le sens de la rupture. Un bulletin FDG a un sens encore assez flou”.

La gauche critique demeure en effet encore assez divisée sur les sujets liés à l’Europe: le conseil scientifique d’Attac, la plupart des Économistes atterrés, et certaines composantes du FDG par exemple, hésitent encore à adopter des positions radicales de rupture avec l’euro.

Et François Ruffin d’enfoncer le clou: “Il manque une unification de la contre-pensée. Si un accord voit le jour entre les intellectuels de la gauche critique, sur un certain nombre de sujets fondamentaux, que sont pour moi le protectionnisme, l’euro, et éventuellement la croissance, cela surgira dans l’opinion”.

On en est encore loin, mais, d’une acceptation tacite, la gauche critique semble passer peu à peu à une hostilité ouverte envers l’Europe.

 

par Mathieu Dejean

Tag(s) : #Europe
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