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    La lettre Volée
"J'aime tellement l'Europe que
je préfère qu'il y en ait 27
"...
 

J'avais acheté ce livre en allant visiter le Panthéon, et l'avais oublié dans ma bibliothèque jusqu'à ce que la lecture de Alias Caracalla le rappelle à mon souvenir.

Il s'agit d'un récit, par Jean Moulin, des quatre derniers jours des combats français, du 14 au 18 juin 1940. 

On y lit le récit des quelques jours et heures avant l'arrivée des allemands à Chartres, puis celui de leur installation. C'est sobre et factuel et ça se lit d'une seule traite.

On a presque envie de conceptualiser une banalité du bien, symétrique de la banalité du mal. Le bien consiste juste pour un préfet à être en poste quand tous sont partis, à veiller à ce que quelqu'un continue à fabriquer du pain, à assurer le couchage de réfugiés venus en nombre transiter à Chartres en route vers le sud...

On se remémore, en le lisant, les interrogations de Marc Bloch sur
les causes de la défaite. L'armée n'a-t-elle pas trahi ? Par deux fois Jean Moulin croise des groupes de soldats prêts à en découdre mais désespérés de devoir sans cesse reculer sans jamais combattre.

On lit aussi le récit de quelques exactions de l'armée allemande - une femme de 83 ans fusillée sous les yeux de sa fille pour avoir protesté contre l'occupation de sa maison. On se rappelle la phrase de Jean-Marie le Pen qui trouvât l'occupation allemande "correcte", et on se convainc à jamais, s'il est nécessaire, que cet homme et son parti sont inspirés de doctrines intolérables.

Un dialogue presque surréaliste montre à quel point le combat était, dès juin 1940, idéologique.

Quelques nazis entendent faire signer à Jean Moulin une déclaration attestant que des tirailleurs sénégalais ont assassiné une famille (tuée, en réalité, par des bombardements) :

Jean Moulin : Quelles preuves avez-vous que les tirailleurs sénégalais sont passés exactement à l'endroit où vous avez découvert les cadavres ?

Le nazi
: on a retrouvé du matériel abandonné par eux.

Jean Moulin
: Je veux bien le croire. Mais en admettant que des troupes noires soient passées par là, comment arrivez-vous à prouver leur culpabilité ?

Le nazi
: Aucun doute à ce sujet. Les victimes ont été examinées par des spécialistes allemands. Les violences qu'elles ont subies offrent toutes les caractéristiques des crimes commis par des nègres.

Malgré l'objet tragique de cette discussion, je ne peux m'empêcher de sourire :

"les caractéristiques des crimes commis par des nègres."
C'est tout ce qu'ils ont trouvé comme preuves !...

Plus loin les nazis ont commencé à torturer Moulin (à la suite de cette séance, il tentera de se suicider) Moulin explique qu'il est resté à Chartres par ordre "de mon chef, le ministre de l'Intérieur." C'est alors mon bourreau n°1 qui intervient, dans un état de surexcitaion considérable : "Ah ! vous osez parler de votre chef ! Vous osez parler du juif Mandel ! De cet immonde juif qui a voulu déchaîner la guerre contre l'Allemagne ! De ce pourceau de juif vendu aux Anglais ! Avouez, avouez, que vous êtiez à la solde de ce sale juif..."
Je rectifie : "Pas à la solde, sous les ordres..."
Et il poursuit avec fureur :
"vous êtes un pays dégénéré, un pays de juifs et de nègres..."


Voilà de quoi inciter à rester prudent : souvent Hitler et les nazis sont apparus pour ce qu'ils étaient, de sinistres bouffons, au discours risible de bêtise.
Parfois la bêtise prend le pouvoir et le pouvoir ne l'assagit pas.
*

Aujourd'hui, mais cela n'a rien à voir, le ministère de l'identité nationale s'interroge dans un document officiel : "Pourquoi la question de l’identité nationale génère-t-elle un malaise chez certains intellectuels, sociologues ou historiens ?"
*

Courez lire Jean Moulin, je suis sûr qu'il ne se posait pas cette question.
Il aurait préféré organiser une
exposition de peinture.



Tag(s) : #Pages d"écriture
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