Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

AgoraVox le média citoyen

 

Elle est belle, l’impartialité judiciaire, sauce Cour européenne des Droits de l’Homme !

La Cour européenne des droits de l’Homme vient de rendre une décision qui tombe à pic au moment même où le ministère de l’Éducation nationale lance une campagne publicitaire pour recruter 17.000 professeurs. 

Que les postulants sachent dans quelle jungle on cherche à les attirer !

Il faut vite prévenir Laura et Julien, les personnages des affiches ministérielles : l’une, béate, « a trouvé, lit-on, le poste de ses rêves  », l’autre, crédule, « un poste à la hauteur de ses ambitions » : s’ils deviennent enseignants, c’est, selon le slogan, pour « faire vivre et partager (leur) passion, transmettre des savoirs et des valeurs, se consacrer à la réussite de chacun de (leurs) élèves ».

Les braves petits !

Qu’ils n’y comptent pas et gardent les pieds sur terre !

Cette décision de la CEDH devrait les y aider.

 

 

I- LES FAITS
 
1- Le contexte d’une destruction programmée de l’option Latin
 
Le 22 mars 2004, lors d’un conseil de classe de Troisième, au collège Jules Verne de Nîmes (Gard), les deux déléguées de parents FCPE félicitent chaleureusement le professeur de lettres classiques pour « le remarquable voyage  » sur les sites de Campanie (Pompéi, Herculanum, Paestum, etc.) qui vient de se dérouler quelques jours auparavant pour la 15ème année consécutive.
Elles jugent bon alors de rappeler comme elles ont eu raison, cinq mois plus tôt, le 9 octobre 2003, de déjouer l’opération malhonnête du principal – ancien prof d’EPS - qui avait tenté d’obtenir du conseil d’administration le rejet de ce voyage et de celui de Venise organisés par ce même professeur. Il avait déjà interdit quelques jours auparavant aux élèves qui choisissaient l’option « natation » de prendre aussi celle du Latin !
 
Il n’avait pas perdu de temps, ça faisait à peine plus d’un mois qu’il était en poste.
 
Cet enseignement attractif du Latin, qui a concerné près de cinq cents élèves sur 15 ans, manifestement indisposait. Par un document distribué en séance à la dernière minute, le principal avait voulu tromper le conseil et lui faire croire que ce « voyage de Naples » coûtait la peau des fesses, « 4.400 euros par élève  » pour 8 jours, lisait-on (sic !), alors qu’il était de 360 euros !
 
On imagine comme le conseil d’administration s’était enflammé. Le professeur concerné, présent lui-même en tant qu’élu du personnel, n’avait eu aucun mal à prouver la misérable falsification : ces « 4.400 euros » n’étaient que la subvention à laquelle il pouvait prétendre dans le cadre d’un projet culturel et qui aurait diminué d’autant le coût du voyage.
 
Le principal, furibard et honteux, en avait été pour ses frais : la reconduction des deux voyages avait été votée, malgré le vote secret qu’il avait exigé, ou plutôt grâce à lui, puisqu’à la différence du vote habituel à main levée, qui aurait pu paralyser le courage de certains élus, le principal ne pouvait reprocher son vote à quiconque …
 
Le rappel de cette falsification par les deux déléguées FCPE avait mis le feu au conseil de classe, le 22 mars 2004, car, contre toute évidence, le principal s’obstinait à nier mordicus sa tentative de destruction de ces voyages devant les visages rigolards des parents d’élèves, des délégués d’élèves qui précisément revenaient de Naples, et du professeur de lettres classiques : le prix imbécile de « 4.400 euros par élève » était resté dans les mémoires !
 
2- Une lettre secrète du principal pour « stigmatiser » un professeur auprès d’une fédération de parents d’élèves
 
Deux jours plus tard, le 24 mars 2004, le principal adresse au président du conseil local FCPE de parents d’élèves une lettre secrète qu’il écrit lui-même avec ses délicieuses fautes d’orthographe qui sont sa marque de fabrique (« il va s’en dire… », répète-t-il.) : il y exprime « (sa) stupeur » (sic !) devant « les félicitations appuyées  » adressées par les déléguées de sa fédération au professeur de lettres classiques qu’il vilipende, et s’indigne de l’accusation de manipulation qu’elles ont portée à son encontre.
 
Il attend donc du président FCPE qu’il désavoue au plus vite ces deux déléguées dans une lettre. Et il le prévient : il la joindra au rapport qu’il va envoyer au recteur pour dénoncer le comportement de ce professeur et demander une sanction contre lui.
 
Tenté d’abord de répondre sans même entendre la version des deux déléguées mises en cause, le président FCPE cède à un conseil avisé de son entourage qui lui recommande de leur transmettre la lettre secrète du principal pour qu’elles présentent au moins leur défense avant de faire connaître au principal le point de vue du conseil local des parents d’élèves FCPE.
Or, voyant que le professeur de lettres classiques est aussi injustement mis en cause dans cette lettre secrète en des termes venimeux, une des déléguées lui en adresse une photocopie avec celle de sa réponse cinglante au principal dont elle dénonce les méthodes malhonnêtes : il n’a même pas eu l’élégance de lui tenir copie de sa lettre au président de la FCPE pour l’empêcher de réfuter sa version partiale des faits ! Une manipulation de plus !
 
II- LES PROCÉDURES JUDICIAIRES FRANÇAISES
 
1- Des précédents judiciaires prometteurs dans les années 1980 et 1990
 
Preuve écrite en mains, le professeur n’a d’autre choix que d’assigner le principal devant le Tribunal de Grande Instance de Nîmes au titre des articles 1382 et 1383 du Code civil : « Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer  ». « Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait mais encore par sa négligence ou par son imprudence  ».
 
Le professeur a toutes raisons de croire que sa plainte puisse prospérer, car, par deux fois déjà dans les années 1980 et 1990, il a fait condamner deux administratrices successivement pour des quasi-délits exactement comparables.
 
Il s’est agi, à chaque fois, de tenter auprès des parents qui apprécient son travail avec leurs enfants, de le discréditer, mais par des moyens différents : l’une, principal du collège d’Uzès, avait en avril 1986 remis à des parents d’élèves un rapport confidentiel adressé au recteur où elle le vilipendait ; l’autre, principal-adjoint du collège Jules-Verne de Nîmes, s’était, en mai 1993, répandue en calomnies contre lui à la fin d’un conseil d’administration en son absence : le courageux principal qui était à ses côtés, avait laissé faire son adjointe !
 
Trois parents délégués FCPE avaient accepté de témoigner : un seul élu du personnel s'était joint à eux.
 
- Dans la première affaire, la principal avait été condamnée en 1989 par la cour d’appel de Nîmes et n’était pas allée plus loin.
 
- Dans la seconde, l’adjointe avait répliqué en allant jusqu’au bout de la procédure, mais elle avait été condamnée par chaque instance : pour finir, en 1997, la Cour de cassation avait dénoncé son « animosité » personnelle.
 
- Le tribunal administratif, de son côté, avait établi en juin 1996 la faute du recteur qui avait refusé d’accorder la protection statutaire au professeur agressé, et condamné l’État à verser à ce dernier des dommages et intérêts. Évidemment, le recteur s’était fait un plaisir dans sa lettre de refus d’apprendre au professeur qu’il accordait au contraire cette protection statutaire à son agresseur. La prise en charge des frais de justice par l’État avait permis à l’adjointe de tenter de jouer l’épuisement de sa victime, réduite à ne compter que sur ses deniers, jusqu’à la cour de cassation. 
 
2- Le revirement judicaire des années 2000
 
1- Première instance
 
Or, dans cette affaire de lettre secrète calomnieuse de mars 2004, le même tribunal de grande instance de Nîmes, en novembre 2004, fait droit au « déclinatoire de compétence » du procureur saisi par le préfet, à la demande du recteur de l’académie de Montpellier, l’administration locale faisant bloc pour protéger l’un des siens. Il se déclare incompétent et rejette la plainte du professeur : certes, reconnaît-il, le professeur « est stigmatisé » (sic) par cette lettre - ce qui signifie tout de même « noté d’infâmie, condamné définitivement et ignominieusement -, mais « du seul point de vue de l’exercice de ses fonctions  ». Et il n’y « relève toutefois la présence d’aucune intention malveillante et/ou de préoccupations privées sans rapport avec la mission de service public confiée au principal de nature à rendre inconcevable l’exercice de cette mission  ».
 
Ben voyons ! « Stigmatiser » secrètement un professeur auprès des parents d’élèves, n’est-ce pas une prérogative dévolue à un chef d’établissement ? Que la procédure disciplinaire interne de la Fonction publique soit ouvertement violée par l’immixtion activement recherchée d’un président de fédération de parents d’élèves, étranger au service, et constitue, comme dans les deux cas précédents, une faute personnelle inexcusable du principal, détachable du service, ne chagrine nullement le tribunal.
 
2- Appel
 
En appel, le professeur par son avocat souligne à nouveau que cette lettre secrète qui le « stigmatise », selon le mot du tribunal, viole les règles de la procédure disciplinaire que le principal se devait de respecter.
Quand un chef d’établissement estime, en effet, qu’un de ses subordonnés a commis une faute, la loi fixe sa conduite : il doit saisir le recteur d’une demande d’ouverture de procédure disciplinaire en exposant ses griefs, mais en aucun cas commencer par violer la confidentialité en sollicitant une tierce personne étrangère au service et l’en faire destinataire de ces griefs pour l’inciter à nourrir le dossier d’accusation, alors qu’elle n’a même pas été témoins des faits.
 
Rien n’y fait. En novembre 2006, l’appel est rejeté. Cette lettre secrète est seulement jugée « maladroite » par la Cour : « rien n’indique, estime-t-elle, qu’elle est constitutive d’une faute détachable du service  ». « L’analyse des premiers juges » (qui ont trouvé fort normale la « stigmatisation » d’un professeur par un principal devant les usagers de l’École), est estimée « très pertinente ».
On ne peut y voir, conclut-elle, aucune « intention personnelle et déloyale du (principal) à l’encontre (du professeur) ».
 
Une lettre secrète de stigmatisation d’autrui serait donc dépourvue d’ « intention personnelle et déloyale  » ? Voilà une définition originale de la loyauté !
 
3- Cassation
 
En mars 2008, la Cour de Cassation, contrairement à son arrêt de 1997 qui avait décelé de « l’animosité » dans les propos de l’adjointe et avait confirmé sa condamnation par la cour d’appel, ne voit, elle non plus, aucune faute du principal dans le fait de saisir un président d’association de parents d’élèves, étranger au service, et de le presser, alors qu’il n’a pas été témoin des faits, de fournir un témoignage destiné à nourrir le rapport disciplinaire qu’il s’apprête à adresser au recteur pour demander que le professeur soit sanctionné.
 
III- LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME
 
1- Une requête en annulation pour partialité de la juridiction française
 
Trouvant singulière la position unanime de la juridiction française, le professeur a donc saisi la Cour européenne des droits de l’homme en mai 2008 sur la base de l’article 6, alinéa 1, de la Convention organisant le droit à « (être ) entendu (…) par un tribunal indépendant et impartial (…) ». 
 
Les trois instances françaises qui ont statué sur la plainte - en première instance, appel, et cassation – n’ont-elles pas manifesté ouvertement un parti pris, manquant ainsi à l’impartialité subjective et objective, voire apparente, à laquelle a droit toute personne qui soumet sa cause à une juridiction ? Trois indices prouvent cette partialité.
 
1- 1er indice : la méconnaissance d’une jurisprudence centenaire de la faute personnelle 
 
L’un est la méconnaissance partiale d’une jurisprudence plus que centenaire : celle de « la faute personnelle détachable du service  » qui relève du tribunal de droit commun et non du tribunal administratif.
 
- N’est-il pas évident qu’un chef d’établissement ne peut saisir prioritairement et secrètement une personne étrangère au service – un président d’association de parents d’élèves – des griefs qu’il nourrit envers un professeur pour le « stigmatiser », selon le mot du premier tribunal ?
La procédure disciplinaire de la Fonction publique est strictement interne pour des raisons compréhensibles de sauvegarde des droits de la personne : elle commence par un rapport adressé confidentiellement au recteur et non par une lettre au président d'une fédération de parents d'élèves.
 
- Le chef d’établissement pouvait-il méconnaître les devoirs élémentaires de sa charge en commençant par jeter le discrédit sur un professeur auprès des parents d’élève avant tout engagement d’une procédure disciplinaire s’il jugeait nécessaire d’en demander au recteur l’ouverture ?
 
- Ce manquement volontaire et inexcusable constitue « une faute personnelle détachable du service », passible des tribunaux de droit commun, parce qu’il révèle une volonté personnelle de nuire étrangère aux règles et pratiques normales de l’administration. En ne la sanctionnant pas, alors qu’elle l’avait condamnée dans deux cas d’espèce précédents comparables en 1989 et en 1997, la juridiction française a montré en 2008 sa partialité. 
 
2- 2ème indice : un contexte d’animosité prouvé par un blâme infligé mais annulé par le T.A.
 
Un contexte d’animosité de la hiérarchie de l’Éducation nationale envers le professeur est, ensuite ignoré de la juridiction française en toute partialité.
 
- Il est pourtant prouvé par le blâme inique que cette hiérarchie a infligé sans raison au professeur quelques semaines après, le 12 mai 2004, et que le tribunal administratif de Nîmes a annulé comme illégal, le 7 décembre 2006, en motivant le jugement d’attendus très sévères : non seulement les trois motifs du blâme ont été jugés inexistants mais une violation de procédure a même été dénoncée. Tant qu’à violer la loi, autant y aller de bon cœur !
 
- Pareille obstination dans l’erreur ne trahit-elle pas une animosité qui ne peut inspirer une décision administrative ? Ces circonstances n’éclairent-elles pas les motivations de la lettre secrète adressée au président FCPE pour nourrir le dossier arbitraire de demande de ce blâme illégal ? En n’en tenant pas compte, la juridiction française n’a-t-elle pas fait preuve de partialité ?
 
3- 3ème indice : l’adoption partiale du parti pris de l’administration
 
Enfin, l’adoption par chaque instance judiciaire du parti pris de l’administration de l’Éducation nationale ressort clairement des formulations même du jugement et des deux arrêts. Parmi les nombreuses preuves qui l’attestent, il en est deux qui sont flagrantes.
 
- L’une d’elles est livrée au tout début de la discussion que contient l’arrêt : la Cour commence sans honte aucune par oser imputer au professeur la responsabilité des deux conflits précédents qui ont abouti à la condamnation de ses deux agresseurs, en 1989 et 1997 ! Comment soutenir pareille ânerie calomnieuse ? Qui étaient les agresseurs ? Et qui était la victime ? La Justice n’a-t-elle pas tranché ? Mais la Cour s’en moque et, en toute partialité, viole ouvertement l’autorité de la chose jugée ! 
 
- L’autre preuve de partialité est l’aveu même de la cour d’appel de Nîmes qui ose prétendre que dans la lettre secrète qui « stigmatise  » le professeur à son insu sur le plan professionnel auprès des parents d’élèves, elle ne voit aucune « intention personnelle et déloyale  ». Curieuse, cette conception de la loyauté qui dissimule à l’intéressé les griefs le concernant pour qu’il ne puisse surtout pas se défendre, et autorise l’envoi d’une lettre secrète de dénigrement d’un professeur à son insu par un principal auprès d’un président de fédération de parents d’élèves avec les conséquences dommageables évidentes qui en résultent !
 
2- La conception de l’impartialité de la CEDH
 
C’est pourtant aussi la conception de la loyauté et de l’impartialité judiciaire de la Cour Européenne des droits de l’homme qui a mis trois ans pour prononcer en trois phrases une décision d’irrecevabilité : « La Cour européenne des Droits de l’Homme, siégeant le 19 mai 2011, en formation de juge unique, a décidé de déclarer irrecevable la requête introduite le 7 mai 2008 (…). (Elle) a en effet estimé que les conditions posées par la Convention ne sont pas remplies. (…) Elle n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles. Cette décision est définitive (…) »
 
Qu’on n’attende surtout pas de motivations précises !
L’arbitraire et le bon plaisir en ont-ils à fournir ?
 
Voilà donc la société de loyauté que la Cour européenne des Droits de l’Homme défend après la juridiction française en toute impartialité !
Qui peut vouloir y vivre ?
Dans le service public d’Éducation, un chef d’établissement a tout loisir désormais de calomnier par lettre secrète un de ses subordonnés à son insu et de violer ouvertement la procédure disciplinaire de la Fonction publique avec les droits de la défense qu’elle garantit, en saisissant préalablement une personne étrangère au service comme un président d’association de parents d’élèves. On peut être assuré que de telles mœurs sont à même de fonder sérénité et confiance entre les membres d’une communauté scolaire.
 
Maintenant, vu sous l’angle de « La faisabilité politique de l’ajustement  » préconisée par l’OCDE depuis 1996 (1) pour détruire le service public d’Éducation au profit du privé, de telles mœurs susceptibles d’accroître le désordre dans un établissement scolaire, sont les bienvenues. Bien différente est l’image édifiante du métier que diffuse ces jours-ci l’aguicheuse publicité du ministère de l’Éducation nationale.
Le devoir d’assistance à personne en danger ne commande-t-il pas d’informer les candidats des méthodes loyales qui les attendent ? Laura et Julien, dont il est dit qu’ils ont trouvé le poste de leurs rêves à la hauteur de leurs ambitions, ne sont que des marionnettes aux mains de l’Éducation nationale pour les leurrer ! Une femme ou un homme averti en vaut deux ! Paul Villach
 
(1) Christian Morrisson, « La Faisabilité de la politique de l’ajustement  »,
Cahier politique économique n°13, OCDE, 1996.
Tag(s) : #Education nationale
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :