Les entreprises américaines ont raflé l'an passé les trois-quarts du marché mondial de l'armement. Russes et Britanniques font bien moins bien qu'en 2010. Les Français ont, eux, triplé leurs ventes.
Plus qu’une domination, c’est un raz-de-marée.
Le dernier rapport sur les transferts d’armements à destination des pays en développement, publié vendredi par le Congrès américain, a confirmé l’implacable suprématie des industriels américains sur les ventes d’armes aux pays émergents : les Etats-Unis ont réalisé 66,3 milliards de dollars de ventes export en 2011, ce qui représente plus des trois quarts du marché total (85,3 milliards), et un triplement des ventes de 2010 (21,4 milliards).
Les Américains ont particulièrement brillé en Arabie Saoudite (chasseurs F-15, hélicoptères Apache et Blackhawk), aux Emirats Arabes Unis (systèmes anti-missiles THAAD, hélicoptères Chinook), mais aussi à Oman, Taiwan et en Irak (chasseurs F-16), Egypte et Inde.
Le reste du monde ?
Largué : la Russie, deuxième avec 4,8 milliards de dollars de ventes, fait presque deux fois moins bien qu’en 2010, malgré des ventes au Venezuela, à l’Algérie, à la Malaisie, au Vietnam ou en Indonésie.
La Chine plafonne à 2,1 milliards de dollars, portée essentiellement par ses ventes au Pakistan et des petites commandes en Afrique , en Asie et au Moyen-Orient.
La France est finalement l’un des seuls pays à garder la tête hors de l’eau : elle talonne même la Russie, avec 4,4 milliards de dollars de ventes, ce qui la place en troisième position mondiale.
Le rapport ne précise pas les matériels concernés, mais la France, après une année 2010 très difficile, a triplé ses ventes en 2011. Elle a notamment réussi deux coups fumants l'an passé: la vente de deux bâtiments de projection et de commandement (BPC) à la Russie, et la rénovation des Mirage 2000 indiens. Un contrat définitif pour 126 Rafale avec l’Inde, pour lequel le consortium Rafale est en négociations exclusives, permettrait de confirmer ces bonnes performances, mais la décision finale n’aura probablement pas lieu avant début 2013.
Des données "made in USA"
Ces chiffres, même sourcés du gouvernement américain, sont tout de même à prendre avec précaution : l’Allemagne, qui devance la France dans le classement de l’Institut international de recherche pour la paix de Stockholm (Sipri), n’est créditée que de 100 millions de dollars de ventes en 2011 par le Congrès américain, et le Royaume-Uni que de 400 millions.
Ce qui paraît tout de même assez étrange pour deux pays encore très actifs, avec des géants comme BAE Systems, Rheinmetall, ou Krauss Maffei Wegmann, et qui devancent régulièrement la France dans les autres classements.
Pas de quoi mettre en doute la grande leçon du rapport : les Etats-Unis n’ont jamais été aussi dominants. Ils atteignent 78,6% de part de marché avec les pays émergents, contre 43,6% en 2010…
Pourquoi cette domination sans partage ?
Les chiffres américains pour l’année 2011 ont été tirés par l’énorme commande de 84 chasseurs F-15 (Boeing) par l’Arabie Saoudite, couplée à la rénovation de 70 autres appareils. Avec l’armement et le soutien logistique, cette commande atteint à elle seule 29 milliards de dollars ! L’industrie américaine bénéficie aussi du carton commercial du chasseur F-16 (Lockheed Martin), vendu à Oman et à l’Irak. Le monoréacteur bestseller a été livré à plus de 4.500 exemplaires, dont la moitié à l’export, depuis les premières commandes datant… de 1975. Les Américains ont aussi réussi à prendre pied en Inde, longtemps chasse gardée russo-européenne, avec la vente de 10 avions de transport C-17 Globemaster.
Le secret de la réussite américaine
La cause du succès américain est à chercher dans sa politique agressive d’export, menée de longue date : "Depuis le début de la Guerre Froide, les Etats-Unis ont développé une base très large et diversifiée de clients avec lesquels ils sont capables de conclure une série continue d’accords annuels, écrivent les auteurs du rapport. Ils fournissent aussi depuis des décennies des modernisations, pièces détachées, et service support, ce qui apporte un flux constant de commandes, même quand les Etats-Unis ne concluent pas d’accords pour des systèmes d’armes complexes."
L’autre raison est évidemment l’incroyable puissance diplomatique et militaire américaine, qui pousse de nombreux prospects à acheter du "made in USA" pour se mettre sous la protection américaine en cas de menace.
La relation avec l’Arabie Saoudite en est l’illustration parfaite : les Etats-Unis sont étroitement unis au royaume wahhabite depuis le fameux pacte du Quincy, scellé en février 1945 sur le croiseur USS Quincy entre le roi Ibn Saoud et le président américain Franklin Roosevelt. Cet accord prévoyait, en gros, l’accès privilégié des Etats-Unis au pétrole saoudien, contre la protection militaire américaine. Cette alliance a amené une relation quasi-exclusive sur les ventes d’armes, à part quand les Etats-Unis laissaient le champ libre à la concurrence, comme pour la vente de chasseurs européens Eurofighter en 2007.
La solution pour les Européens, et donc pour la France, est claire : viser les pays qui ne veulent pas acheter américain (Russie pour les porte-hélicoptères type Mistral), ou qui peuvent se permettre de ne pas le faire (Inde, Brésil, Emirats…), par exemple pour maintenir une double sources des approvisionnements. Car concernant l’affrontement en tête à tête avec le géant américain, la bataille est perdue d’avance.