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TEXTE R5EPRIS SUR
BANDERA ROSSA

Mercredi 28 août 2013

Qui sont ces Israéliens qui militent côté palestinien ?

 

Geoffrey Le Guilcher,

 

Les Inrocks

 

mercredi 28 août 2013

 

Ils sont Israé­liens et se rendent dans les ter­ri­toires occupés sans l’habit de colon ou l’uniforme de Tsahal. Visites “poli­tiques” de Hébron la ville colo­nisée, mani­fes­ta­tions face à leur propre armée, entraide ali­men­taire… La socio­logue Karine Lamarche a étudié ces mili­tants dans un livre tiré de sa thèse : “Militer contre son camp ? Des Israé­liens engagés aux côtés des Pales­ti­niens”, à paraître le 11 sep­tembre aux Presses uni­ver­si­taires de France. Entretien.

 Comment vous êtes-​​vous inté­ressée aux Israé­liens qui en viennent à militer “contre leur camp” ?

J’avais com­mencé en maî­trise de socio­logie à tra­vailler sur les “Refuzniks”, ces soldats israé­liens qui refusent de servir dans les ter­ri­toires occupés. Cela m’a donné envie d’aller voir ce qui se passait du côté pales­tinien. J’ai ainsi accom­pagné Machsom Watch (“Obser­va­toire des bar­rages” en hébreu/​anglais) en Cis­jor­danie. Cette orga­ni­sation israé­lienne est com­posée de femmes qui sur­veillent les soldats aux check­points et essayent d’intervenir en cas d’abus. Et puis, au moment de m’inscrire en thèse, j’ai entendu parler de mili­tants qui déve­lop­paient une vraie coopé­ration avec les Pales­ti­niens, mani­fes­taient à leurs côtés, etc. C’est ainsi que j’ai décidé de tra­vailler sur eux et sur ce que signifie cette forme d’engagement quand on est israélien.

Quels sont les prin­cipaux groupes de mili­tants actifs dans les ter­ri­toires occupés ?

On peut tout d’abord citer les Anar­chistes contre le mur, un petit groupe formé en 2003, dont les membres rejoignent des mani­fes­ta­tions, des actions de déso­béis­sance civile et de soli­darité aux côtés des Pales­ti­niens, dans les ter­ri­toires. Même s’il n’est composé que de quelques dizaines de per­sonnes, c’est l’un des plus actifs de la scène mili­tante. Il y a aussi Ta’ayush (“Vivre ensemble” en arabe), un mou­vement apparu au tout début de la seconde Intifada, qui était à l’origine composé à parts égales de citoyens arabes et juifs d’Israël. A l’époque, les convois de nour­riture, de vête­ments ou de médi­ca­ments qu’il orga­nisait à des­ti­nation de vil­lages sous couvre-​​feu pou­vaient ras­sembler plu­sieurs cen­taines de par­ti­ci­pants. Aujourd’hui, on ne trouve plus qu’un petit noyau de mili­tants de Jéru­salem, Juifs pour la plupart, qui se reven­diquent encore de Ta’ayush et sont prin­ci­pa­lement actifs dans la région des col­lines du sud d’Hébron, où il y a beaucoup de pro­blèmes entre les colons, l’armée et les Pales­ti­niens. Autres mili­tants actifs dans les ter­ri­toires : les Com­bat­tants pour la paix. Il s’agit d’anciens com­bat­tants des deux bords qui orga­nisent des ren­contres et des actions conjointes en Israël et dans les ter­ri­toires occupés. Enfin, on trouve des ONG qui dis­posent de plus de moyens et emploient des salariés à la dif­fé­rence des trois pre­miers groupes men­tionnés. Par exemple Shovrim Shtika (“Briser le silence” en hébreu) est une orga­ni­sation qui recueille les témoi­gnages de soldats ayant servi dans les ter­ri­toires et réalise aussi des “tours”, sortes de visites poli­tiques des­tinées à montrer aux Israé­liens et aux visi­teurs étrangers ce qu’est l’occupation, notamment dans la ville d’Hébron, où elle se fait sentir de manière par­ti­cu­liè­rement visible et choquante.

Depuis l’échec de Camp David (juillet 2000) et le déclen­chement de la seconde Intifada (automne 2000), le mili­tan­tisme a-​​t-​​il changé ?

Oui, le mili­tan­tisme a changé depuis le déclen­chement de la seconde Intifada qui a fait suite à l’échec du pro­cessus de paix. La société israé­lienne s’est éloignée des posi­tions paci­fistes suite, notamment, à la mul­ti­pli­cation des attentats et au sen­timent de beaucoup d’avoir été “trompés” par les Pales­ti­niens quant à leurs inten­tions de faire la paix. Avec l’effondrement du “camp de la paix”, ça a été un peu tabula rasa au niveau du mili­tan­tisme. C’est dans ce contexte que de nou­veaux groupes sont apparus : Ta’ayush a été le premier, quelques semaines après le déclen­chement de la seconde Intifada, à pro­poser un passage de l’autre côté. Il y avait alors des dizaines de vil­lages pales­ti­niens placés sous couvre-​​feu et sujets à la répression de l’armée. Ce n’était plus le moment de faire des manifs “pour la paix” à Tel-​​Aviv et à Jérusalem.

Vous dites que l’entrée en mili­tan­tisme pro-​​palestinien nécessite, avant le passage à l’acte, “l’acquisition de dis­po­si­tions” à s’engager (cer­taines idées ou valeurs). Comment s’acquièrent ces dispositions ?

Un certain nombre de mili­tants ont grandi dans des familles posi­tionnées à gauche de l’échiquier poli­tique. Néan­moins, très peu ont été élevés par des parents ouver­tement cri­tiques à l’égard du sio­nisme ou de l’armée. J’ai donc cherché à com­prendre ce qui pouvait expliquer l’apparition chez eux de ques­tion­ne­ments, notamment sur ces deux sujets qui font office de vaches sacrées en Israël. Il ressort des entre­tiens que cela peut pro­venir de ren­contres, de lec­tures ou autres “décou­vertes” qui remettent en question cer­taines cer­ti­tudes. Cela peut aussi venir de la confron­tation à des situa­tions empreintes de vio­lence et/​ou d’injustice. Ainsi, la plupart de mes enquêtés ayant été com­bat­tants dans les ter­ri­toires avant de s’engager évoquent leurs expé­riences mili­taires comme le point de départ de leurs inter­ro­ga­tions. Le troi­sième type d’expérience sus­cep­tible de changer le regard du futur militant sur­vient lors de cer­tains voyages, lorsque son éloi­gnement géo­gra­phique d’Israël s’accompagne d’une forme de décentrement.

Beaucoup de vos sujets d’enquête uti­lisent le mot “endoc­tri­nement” pour qua­lifier leur conscience poli­tique “d’avant”…

Il est vrai que ce mot revient souvent chez les mili­tants. Cer­tains parlent même de “lavage de cerveau” pour qua­lifier cet endoc­tri­nement dont ils consi­dèrent avoir été vic­times, au même titre que leurs conci­toyens. Or, cela ne cor­respond que par­tiel­lement à la réalité. Même si une idéo­logie forte est véhi­culée par les ins­tances de socia­li­sation israé­liennes, notamment l’école et l’armée, il y a des pos­si­bi­lités de voir et de s’informer en Israël, ce n’est pas la Corée du Nord. Néan­moins, tout est fait pour ins­crire dans les consciences les deux idées sui­vantes : “l’armée est là pour pro­téger la popu­lation (juive)” et “les Pales­ti­niens repré­sentent un danger”. C’est lorsqu’ils les remettent en question, par le biais de leur enga­gement sur le terrain, que les mili­tants se retournent sur l’éducation qu’ils ont reçue et en viennent parfois à parler d’”endoctrinement” ou de “lavage de cerveau”.

En dehors d’un enga­gement militant, donc poli­tique, n’existe-t-il aucun lieu de ren­contre entre Pales­ti­niens et Israéliens ?

Non, ou très peu. En dehors de l’hôpital public et de l’université, les Pales­ti­niens d’Israël, soit environ 20% de la popu­lation, et la majorité juive ont très peu d’occasions de se ren­contrer et leurs rares rela­tions sont souvent mar­quées par la forte domi­nation sociale et écono­mique des seconds sur les pre­miers. A l’exception du jar­dinier du coin ou de la femme de ménage, peu d’Israéliens juifs sont déjà entrés en contact avec des Pales­ti­niens, qu’ils soient citoyens israé­liens ou rési­dents des ter­ri­toires occupés. Il y a évidemment des excep­tions mais elles sont mino­ri­taires. Cela explique en partie que si peu d’Israéliens aient conscience des condi­tions de vie des Pales­ti­niens vivant de l’autre côté de la ligne verte.

Beaucoup d’Israéliens ont été ou sont pourtant dans l’armée, ins­ti­tution qui admi­nistre les ter­ri­toires occupés…

Oui, mais il ne faut pas oublier que, même parmi la majorité juive, tous les Israé­liens ne font pas l’armée. Les reli­gieux ortho­doxes se font lar­gement exempter et cer­tains laïcs par­viennent également à échapper à leurs obli­ga­tions mili­taires par dif­fé­rents moyens. Ensuite, parmi ceux qui effec­tuent leur service, tous ne sont pas com­bat­tants et tous ne servent pas dans les ter­ri­toires pales­ti­niens. Enfin, une espèce de chape de plomb recouvre ce qui se passe de l’autre côté de la ligne verte. Les soldats en per­mission ou de retour de l’armée parlent très peu avec leurs familles et leurs amis de ce qu’ils ont vu ou fait. Beaucoup d’Israéliens ne veulent pas savoir car ils veulent continuer à tout prix de croire que leur armée est “la plus morale du monde”.

Cer­tains mili­tants anti occu­pation gardent également leur cas­quette de soldat de Tsahal, c’est para­doxal non ?

Les choses se font pro­gres­si­vement. Beaucoup d’Israéliens vouaient un grand respect à l’armée avant de s’engager dans les ter­ri­toires. Cer­tains fai­saient encore leur période de réserve tous les ans. Mais j’ai pu observer que cette double appar­te­nance de “soldat” et de “militant” ne durait qu’un temps. Cette position s’avère en effet trop ambi­va­lente pour être durable. Soit le mili­tan­tisme ne s’installe pas dans la durée, soit le militant régulier arrête de faire ses périodes de réserve. Et paral­lè­lement à cette dis­tan­ciation de l’armée com­mence géné­ra­lement une remise en question des schèmes nar­ratifs propres au sionisme.

Vous démontrez que ces mili­tants israé­liens font l’objet dune “répro­bation très forte” de la part de leurs conci­toyens en Israël (leur surnom de “belles-​​âmes” peut être synonyme de “naïf” voire “traitre”). Comment cela se manifeste-​​t-​​il ?

Soit par une indif­fé­rence très grande à l’égard de ce qu’ils font, soit à l’extrême par une hos­tilité affichée qui peut se tra­duire par des insultes ou des agres­sions. J’ai déjà assisté au passage à tabac de mili­tants revenant d’une mani­fes­tation contre l’occupation à Tel-​​Aviv, pris à parti par des per­sonnes appar­tenant à l’autre bord politique.

Comment les médias israé­liens couvrent-​​ils les mani­fes­ta­tions conjointes en ter­ri­toires occupés ?

Pas de manière favo­rable en règle générale. Ils vont montrer l’aspect violent des mani­fes­ta­tions, les gens qui lancent des pierres, ce qui arrive de temps en temps mais souvent en marge des pro­tes­ta­tions et lorsque l’armée a déjà ouvert le feu. Ils vont aussi montrer les soldats blessés. Ils collent une étiquette de “radi­calité” à tout ce qui remet en cause l’armée. De temps en temps, des jour­na­listes israé­liens traitent le sujet plus en pro­fondeur, vont à la ren­contre de mili­tants, montrent les choses dans leur com­plexité mais pour ce qui est des flashs info, ça se limite souvent à “Trois soldats blessés à Bil’in”.

Comment l’armée se comporte-​​t-​​elle en présence d’Israéliens ?

Les soldats ont pour ordre de ne pas ouvrir le feu à balles réelles quand il y a des Israé­liens ou des inter­na­tionaux. Ils uti­lisent donc plutôt des balles lacry­mo­gènes, des balles en caou­tchouc et d’autres muni­tions non létales. Néan­moins, celles-​​ci peuvent tuer quand elles sont pro­jetées à des dis­tances non régle­men­taires ou en direction du haut du corps. Plu­sieurs Pales­ti­niens ont ainsi perdu la vie au cours de mani­fes­ta­tions non-​​violentes. Mais la répression de l’armée est infi­niment moins forte lorsque des Israé­liens ou des inter­na­tionaux sont pré­sents, d’où l’importance de cette forme de coopé­ration. D’où aussi, parfois, les ten­ta­tives de l’armée pour empêcher les Israé­liens de rejoindre les Pales­ti­niens dans leurs protestations.

Remettre en question l’armée semble la chose la plus com­pliquée. Ainsi, vous donnez l’exemple d’un militant qui, sur injonction de son chef, accepte de recevoir en public sa médaille mais, le len­demain, la renvoie par la poste à Tsahal…

Ça, c’était dans les années 80. Ce militant, qui est tou­jours engagé aujourd’hui, m’expliquait qu’il avait été décoré pendant la guerre du Liban mais qu’il avait accepté de ren­voyer sa médaille par la poste plutôt que de la refuser publi­quement à la demande de ses chefs. Aujourd’hui, les jeunes mili­tants opèrent une rupture plus nette. Ils ne sont plus dans la recherche de com­promis avec l’armée… Alors que leurs aînés du “camp de la paix” pou­vaient mani­fester contre la guerre le mardi et enfiler leur uni­forme de réser­viste le jeudi, eux cessent tout sim­plement de répondre à l’appel. Et ils cessent d’autant plus faci­lement de s’identifier à l’institution mili­taire qu’ils ont vu des soldats ouvrir le feu sur des manifestants.

Le temps où le “camp de la paix” arrivait à faire des­cendre 5 à 10% de la popu­lation dans la rue est révolu, dites-​​vous. Pourquoi ?

Le “camp de la paix” orga­nisait prin­ci­pa­lement des grandes mani­fes­ta­tions à Tel-​​Aviv et Jéru­salem contre la guerre et pour l’évacuation des colonies. Parmi ses leit­motivs, il y avait la moralité de l’armée et la sécurité d’Israël, deux thé­ma­tiques aux­quelles une majorité de citoyens pou­vaient s’identifier. Par ailleurs, il ne pro­posait pas de passage de l’autre côté de la ligne verte (à l’exception de quelques mani­fes­ta­tions contre des colonies), pas de coopé­ration avec les Pales­ti­niens et pas de confron­tation aux soldats. Ainsi, on pouvait mani­fester pour la paix tout en restant un “bon citoyen”, sio­niste et loyal envers l’armée. Avec l’engagement que j’ai étudié, ce n’est plus pos­sible : la coopé­ration avec les Pales­ti­niens implique des risques per­ma­nents de confron­tation à l’institution mili­taire, ce qui explique que de nom­breux mili­tants se détachent de leur propre société. Beaucoup moins acces­sibles que les mani­fes­ta­tions qui se tenaient en Israël, les actions aux­quelles par­ti­cipent mes enquêtés sont aussi consi­dérées comme beaucoup plus “radi­cales” par une majorité de la popu­lation. Ceux qui sont prêts à s’y risquer sont donc logi­quement infi­niment moins nombreux.

Quelles sont les consé­quences quand on refuse la conscription ou d’effectuer son devoir de réserviste ?

Il y a une dif­fé­rence entre refuser d’effectuer son service obli­ga­toire de trois ans et refuser de faire sa période de réserve dans les ter­ri­toires. L’un de mes enquêtés avait refusé d’être enrôlé en dénonçant publi­quement l’occupation israé­lienne, les agis­se­ments de l’armée dans les ter­ri­toires, etc. Lui et quatre autres jeunes ont fait deux ans de prison. D’autres objec­teurs de conscience tentent de se faire exempter en disant qu’ils sont paci­fistes, opposés à la vio­lence en général ou encore qu’ils ont peur des armes. Cer­tains par­viennent ainsi à échapper à l’armée. Mais ceux qui tiennent un dis­cours sans ambi­guïté sur l’occupation sont géné­ra­lement lour­dement condamnés. En ce qui concerne enfin les Refuzniks qui ont déjà effectué leur service obli­ga­toire et qui refusent de faire leurs périodes de réserve dans les ter­ri­toires, les condam­na­tions sont plus rares et souvent bien moins lourdes que celles qui visent les jeunes objec­teurs (quelques semaines de prison au maximum).

Vos enquêtés cri­tiquent aussi une société mains­tream, luttent contre la domi­nation sexuelle et pour la pro­tection des animaux…

Oui, le fait de devenir mili­tants les amène souvent à un ques­tion­nement beaucoup plus large sur les rap­ports de domi­nation à l’œuvre autour d’eux. Beaucoup sont ou deviennent fémi­nistes, sen­sibles aux ques­tions LGBT, végé­ta­riens voire végé­ta­liens et engagés dans la lutte pour la libé­ration animale. Par exemple, chez les Anar­chistes contre le mur, les car­ni­vores sont une minorité. Cer­tains ont été amenés à militer contre l’occupation par ces chemins-​​là. D’autres déve­loppent une sen­si­bilité accrue à d’autres causes en raison de leur enga­gement initial contre l’occupation.

Que pensent-​​ils des négociations israélo-​​palestiniennes actuelles ?

Il m’est dif­ficile de répondre car nos der­nières conver­sa­tions com­mencent à dater… Mais en général, les mili­tants que j’ai ren­contrés pensent que la réso­lution de ce conflit ne pourra passer que par des pres­sions inter­na­tio­nales sur Israël. Or, ce n’est pas vraiment la tournure que prennent les choses. Je pense donc qu’ils ne doivent pas être très opti­mistes sur ce qui se passe en ce moment. Ils res­sentent, comme les Pales­ti­niens me semble-​​t-​​il, une espèce de las­situde par rapport à ces négo­cia­tions qui se déroulent alors même qu’Israël continue de construire des colonies.

 

                                 source:France-palestine solidarité .org 

Tag(s) : #Internationalisme
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