de
AGORA VOX
ou
les rapports étroits de la flatterie et de la farce
Quelle différence entre la flatterie et la caricature de la farce ?
Deux couvertures de magazine invitent, cette semaine, à se poser la question, Point de vue et L’Écho des Savanes. L’une et l’autre offrent de Mme Carla Bruni-Sarkozy une image édifiante tombant volontairement dans l’exagération. La seule différence réside entre le rapprochement partiel de la comparaison chez l’une et l’assimilation totale de la métaphore chez l’autre :
Point de vue compare seulement Mme Bruni-Sarkozy à la reine Marie-Antoinette et L’Écho des Savanes l’assimile totalement à une sainte.
La métaphore de « Sainte Carla »
L’intericonicité de l’Écho des Savanes est transparente : le montage de la mise en scène emprunte la posture à l’imagerie sulpicienne. La sainte est présentée de face, la tête nimbée d’une gloire de rayons. Elle a les mains jointes de la prière, enlacées d’un chapelet. Le titre confirme la lecture :
« La légende de Sainte Carla ».
Le rire surgit de la distorsion entre ce qui est et ce qui devrait être. Mme Bruni-Sarkozy n’a pas habitué son public à des poses religieuses aussi édifiantes, mais lascives et érotiques. Avant son mariage présidentiel, elle fréquentait les studios de photographes pour s’y exhiber nue dans les poses les plus variées.
Certaines de ses photos trouvent encore acheteurs lors de ventes aux enchères.
Le magazine se livre en fait à une parodie en offrant du leurre d’appel sexuel qu’était l’ancien modèle de charme, l’image la plus contraire, celle d’une première communiante jouant à la Sainte Vierge : à son chapelet ne pend d’ailleurs pas le crucifix chrétien mais un médaillon à l’image de son président de mari. Quant au sourire complice qu’elle adresse au lecteur, selon le procédé de l’image mise en abyme feignant d’instaurer une relation interpersonnelle, c’est moins le sourire enamouré de la mystique confite en dévotion que celui d’une comédienne faisant le guignol.
Le titre, « la légende de Sainte Carla », est en fait un jeu de mots entre les sens du mot "légende" : sous sa signification religieuse hagiographique se fait entendre le sens profane qui définit un récit héroïque sans doute mais purement imaginaire et partial. Le sous-titre incite à cette interprétation :
« Comment un ex-top modèle est utilisé pour reconstruire l’image du président de la République. »
La comparaison entre Mme Bruni-Sarkozy et la reine Marie-Antoinette
On observe dans Point de vue une semblable distorsion entre ce qui est et ce qui devrait être. Sans être assimilée au modèle de la reine Marie-Antoinette, Mme Bruni-Sarkozy lui est tout de même comparée : « Carla sur un air de Marie-Antoinette », annonce le titre. Elle pose ou un montage la fait poser devant un tableau de la reine en toile de fond, dont elle mime partiellement la posture : elles se présentent toutes deux en plan américain de trois-quarts, tournées de gauche à droite, fixant le lecteur dans le simulacre de l’image mise en abyme qui fait croire à une relation directe avec lui.
Elles ont l’une et l’autre un même goût pour les grands nœuds d’étoffe sur le buste.
Les deux femmes tiennent aussi un avant-bras relevé : la reine effleure entre ses doigts le ruban d’un bouquet ; Mme Bruni-Sarkozy garde la main entrouverte suspendue. Cet effet de métonymie peut avoir deux causes qui se complètent : l’une et l’autre paraissent vouloir donner une impression de légèreté à leur maintien.
Ce peut être également la façon dont elles imposent leur volonté à leur entourage avec l’air de ne pas le faire, de ne pas y toucher. Le sourire entendu qu’elles esquissent, tendrait à le confirmer.
La distorsion entre ce qui est et ce qui devrait être, n’est donc pas moins forte dans Point de vue que dans L’Écho des Savanes. L’épouse d’un président de la République, en effet, n’est pas une reine. La République s’est même édifiée comme l’antinomie de la monarchie. Qu’attend donc Point de Vue de cet amalgame ?
Serait-ce aussi, comme l’Écho des Savanes, le rire qui détend d’un coup le ressort de la distorsion absurde ?
Voyez cette mijaurée qui se prend pour une reine, devrait-on comprendre ?
Un critère décisif : le contexte
La satire n’est, pourtant, pas dans les mœurs de la maison Point de vue, ce magazine de l’ hagiographie des princes, de l’aristocratie, des stars et des mondains. On est donc tenté de prendre cette comparaison pour une flatterie dont le magazine est coutumier.
En somme, ce qui différencierait la flatterie de la caricature burlesque, c’est seulement le contexte. L’un et l’autre sombrent dans l’exagération du dithyrambe : ainsi fait-on de Mme Bruni-Sarkozy une sorte de reine de France ou carrément une sainte.
Mais le degré d’exagération ne suffit pas à déclencher le rire.
Tout dépend du contexte du magazine.
Le leurre de la flatterie partage avec la caricature la même bouffonnerie : seulement, il n’est pas perçu comme tel, dans l’entourage des princes, sous l’empire de l’argument d’autorité qui s’attache au pouvoir et du réflexe de soumission aveugle qu’il stimule.
« Amusez les rois par des songes, écrit Jean de La Fontaine.
Flattez-les, payez-les d’agréables mensonges (…)
Ils goberont l’appât ; vous serez leur ami. » (1)
Le bouffon du roi avait justement un rôle de soupape auprès du prince asphyxié de flatteries au point d’être menacé de perdre tout contact avec la réalité.
Des indices d’ironie ?
Ne peut-on, toutefois, percevoir dans Point de vue les indices de l’ironie ?
Titre et sous-titre paraîtraient s’y prêter.
Que lit-on ?
« Carla, sur un air de Marie-Antoinette – Son petit Trianon, sa cour, son confesseur… ses caricaturistes. »
Cette addition d’usages royaux n’entre-t-elle pas en contradiction avec le protocole de la République ? Pis, Mme Bruni-Sarkozy a beau être nommée comme la reine par son simple prénom, elle ne cesse pas d’être une roturière qui traîne un passé sulfureux.
Sans doute n’est-ce pas un obstacle : la tradition royale ne s’arrêtait pas à la roture des femmes quand il s’agissait d’en faire des favorites.
Il semble tout de même que la présence du « confesseur » dans l’attirail royal fasse verser Point de vue du sourire de l’ironie dans le rire aux éclats de la farce :
Mme Carla Bruni-Sarkozy, l’ex-mannequin déluré, avec « son confesseur » ?
C’est à se tordre !
Toutefois, le contexte compassé de Point de vue, hagiographe des grands d’aujourd’hui et d’hier, entretient une ambiguïté volontaire : il se peut très bien que le magazine soit resté insensible à la caricature de farce qu’il dressait de « la présidente ».
Car rien, c’est vrai, dans la flatterie ne la distingue de la caricature. Et pourtant si la caricature ne se limite pas à la flatterie, toute flatterie est caricature. Mais seul le contexte permet d’y être sensible ou non.
Le pouvoir, en tout cas, qui s’y complaît, s’expose aux plus grands dangers.
Est-ce alors par flatterie ou par satire que Point de vue a choisi de comparer Mme Bruni-Sarkozy à Marie-Antoinette quand on sait comment la malheureuse reine a fini ?
Paul Villach
(1) Jean de La Fontaine, « Les obsèques de la lionne », VIII, 14, in « Fables ».