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UN JOUR COMME UN AUTRE

DANS UNE BANQUE...

Le Blog d'Olivier Berruyer

 

"Moi,

conseiller dans une agence bancaire..."

 

Un nouveau témoignage… :)

 Moi, conseiller dans une agence bancaire, je travaille dans l’une des grandes banques françaises, comme conseiller aux particuliers. Le poste est accessible dès Bac+2.

Je précise que je ne me destinais pas à cette branche, ayant un diplome en gestion de patrimoine, mais comme tant d’autres jeunes j’ai pris ce qu’il y avait à prendre..

L’année de travail est rythmée par des challenges commerciaux. Avant mon arrivée, jusqu’au milieu des années 2000, ils duraient 2 mois ; et étaient entrecoupés de 15 jours off. Aujourd’hui, ils durent 4 mois, et ne s’arrêtent qu’entre fin juillet et début septembre.

L’année, donc le temps, sont constamment rythmés par cette course aux résultats, qui met chacun en concurrence avec ses voisins. Et maximise le résultat global en maintenant perpétuellement les moins bien classés sous pression. Celà ne crée certes pas de Troubles musculo-squelettiques, mais c’est usant à la longue.

La quasi totalité des produit sont quantifiés, sur un objectif final à réaliser à terme, et un plan de marche quotidien à respecter pour l’atteindre : épargne logement, assurance vie, collecte (faire entrer plus d’argent qu’il n’en sort), prévoyance, assurances, comptes courants,…

La course ne s’arrête jamais. Et maintient l’espace temps dans un court termisme absolu.

Parce qu’il faut non seulement reussir l’objectif final, mais aussi être “dans le vert” (respecter le plan de marche au jour le jour), sur le fichier excel de votre n+1/n+2. Et ça sur tous les compteurs comme ils disent, idéalement.

Je suppose que les objectifs annuels sont tout bonnement divisés par le nombre conseillers, et “saisonnalisés” selon les priorités du moment.

“Conseiller” est d’ailleurs un terme plutôt destiné à la communication externe. En interne, nous sommes appelés “vendeurs”.

Quoi qu’il en soit, l’obtention de bons résultats pour chaque supérieur hiérarchique, du sommet à la base, dépend de l’atteinte de leurs objectifs par ses subordonnés directs.

Pas forcément révolutionnaire cette organisation. Mais insidieuse, car la pression s’accroît plus on descend dans la hiérarchie. D’autant qu’à chaque échelon les collaborateurs sont également en concurrence entre-eux. Ce qui incite mécaniquement à des comportements peu vertueux vis-à-vis du public, voire même dangereux pour l’entreprise elle-même.

Car seule l’obtention de (très) bons résultats dans la durée peut vous permettre d’accéder à l’échelon suivant. Pour un conseiller, celà signifie être régulièrement aperçu dans les 15/20 premières places sur au moins 12 à 18 mois. Et produire un chiffre d’affaires considérable.

Nous sommes ainsi par exemple lourdemment incités à “compléter” l’ouverture d’un compte courant ou un changement de carte bleue par la vente d’assurances additionnelles. Celles-ci ne sont pas intégrées au package de base, et donc non obligatoires. Mais la consigne est répetée lors des réunions commerciales.

Curieux, quand dans le même temps une des devises commerciales de l’établissement indique que l’intérêt de la banque passe après celui du client.

Concrètement, il s’agit d’annoncer au client le prix assurance incluse, à charge pour lui de comprendre qu’elle n’est dans les faits qu’optionnelle… Pas mal.

Concernant la bourse, les dirigeants ont bien compris l’aversion au risque intrinsèque à l’épargnant “moyen” français, ainsi que son potentiel manque de réactivité face à la volatilité des indices. Surtout depuis que la maison a eu quelques démêlés judiciaires dans ce domaine.

Dorénavant, il sort en moyenne chaque année un ou deux produits de type : fonds à promesse.

Le capital y est garanti à une échéance qui varie de 4 à 8 ans quoi qu’il arrive. La performance dépend des résultats sur la période, de l’indice de référence. Qui peut être un indice (Cac 40), ou un panier d’indices. Si l’indice de référence est positif à terme, le rendement le sera aussi, mais dans une fourchette déterminée à l’avance. Le rendement est nul ou quasi si l’indice est stable ou négatif. Mais si l’épargnant a besoin de tout ou partie de la somme avant échéance, il sort au cours du jour (donc potentiellement en perte), et perds de facto 4% de pénalité sur le capital investi.

Si comme moi vous lisez régulièrement avec plaisir Olivier, ou d’autres (Paul Jorion par exemple), vous savez que mettre en quarantaine plusieurs milliers d’euros sur le marché action à l’heure actuelle est probablement sensiblement témeraire.

Et ce d’autant plus si le client investisseur n’a que pas ou peu d’épargne facilement disponible par ailleurs. Mais si la direction a décidé de mettre l’accent sur ce produit (ou que le n+2 a décidé de “se montrer” pour consolider son évolution future), il va bien falloir “produire”. Tant pis pour ceux qui auront besoin de leur argent en cours de route. Ou qui s’apercevront dans 6 ans que, compte tenu de la chute de l’indice, ils y ont gagné moins que rendement d’un livret A…soit moins que l’inflation!!

Les reportings sont un bon moyen de coercition. Comme dans beaucoup d’entreprises, les managers sont debriefés chaque semaine, et font de même avec leurs subordonnés.

Mais quand les choses vont mal au classement, les choses s’instensifient. On peut vous appeler/convoquer tous les jours pour savoir où vous en êtes. Vous envoyer en session de rattrapage accélérée, pour vous remettre sur les rails. Vous imposer des séances de phoning, pour avoir plus de grain à moudre ensuite ; et vous y superviser physiquement. Parce qu’il y a évidemment un nombre minimal de rdv à effectuer sur la semaine.

Normal me direz-vous, qu’on ne soit pas payé à rien faire. Sauf qu’il ne s’agit pas selon moi de conseil tel qu’on pourrait le concevoir naïvement. C’est simplement statistique. Plus vous avez d’opportunités, plus vous produirez. Régulièrement en retrait commercialement, vous pouvez faire une croix sur toute forme d’évolution. Mais à terme, c’est votre place même qui peut être en danger.

Alors oui, les résultats sont globalement obtenus. De toutes les façon si vous n’êtes pas content, vue la situation du marché de l’emploi vous n’êtes pas franchement en position de vous rebeller ; ce qu’ils ont bien compris croyez-moi. Et, entre-nous soit dit, ça semble être peu ou prou la même chose ailleurs.

Mais si vraiment l’effondrement final doit avoir lieu, avec le cataclysme boursier qu’on peut imaginer, ou seront les managers qui ont préconisés ce fonds dans 4/5 ans ? Promus, soit sur un meilleur emplacement au même grade, soit dans les hautes sphères de la banque. Les conseillers eux seront passés directeurs d’agences, ou conseiller pro. Chacun aura (selon son grade) tiré profit financièrement/professionnellement de l’opération.

Simplement, la vraie gestion de portefeuille nécessite un suivi long terme; d’autant plus si le produit ne permet de sortie qu’à 4, 6, ou 8 ans. Mais la multiplication des objectifs et autres campagnes commerciales, le volume d’activité et les contraintes administratives (reporting) peuvent rendre ce suivi délicat.

L’obsession du court terme, encore et toujours.

Et la mobilité (interne ou externe) inhérente à notre marché du travail actuel.

J’ai vu des clients littéralement s’effondrer dans mon bureau. Les autres, la majorité, sont à la fois résignés et pleins de colère, presque épidermique chez certains, dès que le sujet est abordé.

Ils ont pour la plupart investis en haut de la désormais fameuse bulle Internet du début des années 2000. Ou au milieu des années 2000, peu avant le début du grand chambardement actuel. Bien garnis leurs PEA et comptes-titres, encouragés par leurs conseillers de l’époque, eux-mêmes largemment poussés à faire “profiter de rendements intéressants” à leur client. Aujourd’hui, les clients pleurent quand je leur annonce qu’ils n’ont que deux solutions:

  • faire le dos rond en attendant une hypothétique remontée (de l’inflation?? Ça oui peut-être..)
  • basculer en fonds euros, pour regagner sa mise, déduction faite des droits d’entrées, en disons…12 ans?? (“Bah oui Mme, c’est du 3% par an…”)

Mais en réalité, je ne suis moi-même là que pour leur vendre le dernier rejeton du produit en question!!

Ou autre chose. Tout ce que je pourrai en fait.

Ici aussi, rien n’a changé.

Les stratégies du top managment ces derniers mois m’ont également mis la puce à l’oreille.

Les lecteurs assidus que nous sommes de ce blog savons qu’en réalité l’édifice financier entier est moribond depuis 2008. Donc eux le savent aussi, énarques de leur état.

Comment un tel fiasco a-t-il bien pu se produire?? Quid de la suite sur cette branche d’activité?

Je suis comme vous, informé par le web… Là-dessus, no comment.

Ca laisse le sentiment diffus d’une grande précipitation, voire d’un aveuglement financier bien connu..

Plus récemment, il a été décidé d’appliquer une tarification forfaitaire aux comptes courants dits inactifs, c’est-à dire sans opération sur au moins 12 moins consécutifs. La modification, applicable quelques mois plus tard, a été imposée aux clients via l’envoi d’un simple courrier, et n’a même pas été concertée avec la base. C’était soit ça soit clôturer volontairement son compte. Sympa! Comme souvent dans ce cas de figure, nous recevons (après coup) un argumentaire type à rétorquer en cas de contestation. Nous l’avons donc découvert sur le tas.

Pour information, il s’agit dune multiplication unilatérale du prix annuel par 10…

L’affaire a évidemment fait du bruit. Le bouche à oreille, avec les réseaux sociaux et autres associations de consommateurs, ça peut aller si vite. A tel point que la banque a dû se dédire publiquement, allant même jusqu’à remettre en cause le tarif initialement imposé, et l’importance même du courrier. (!)

Personnellement j’ai “perdu” 50 000€ d’objectifs sur mon portefeuille dans cette histoire.

Si la même mésaventure est arrivée à plusieurs collègues face à des clients mécontents, ce sont facilement des sommes astronomiques qui s’évaporent instantanément du bilan de la banque.

Et rendent aussitôt la réalisation des objectifs (de collecte) hypothétique. Si vous connaissez beaucoup de commerçants capables de faire passer une aussi grosse pilule facilement, appelez-moi.

Qui a décidé des objectifs ?

Le board.
Qui a décidé d’augmenter si soudainement les tarifs?

Le board.
Qui viendra me tancer si jamais je ne réalise pas mes objectifs?

Le même board..

Résultat des courses : l’augmentation tarifaire (donc le gain escompté) s’éloigne, au moins temporairement,mais commercialement/médiatiquement le mal est bel et bien fait. 

On dit merci qui?

Ce même board accueille depuis quelques temps l’un des ex-dirigeants d’une des plus prestigieuses banques étrangères.

Ici aussi, on voit que “rien n’a changé”.

En faillite en 2008 à cause des prêts toxiques, la valeur de l’action de cette banque s’est effondrée à ce jour de plus de 95% sur les 5 dernières années.

Si le Pdg de l’époque est bien parti avec environ 700k€ de primes, il y a aussi eu 9000 postes détruits. Tout ceci a bien évidemment coûté des dizaines de milliards au contribuable local ; puisque la banque a été nationalisée. Et là aussi , soit dit en passant, on a socialisé les pertes (après avoir privatisé les profits pendant les belles années).

Du coup, je suis devenu plus ou moins imperméable à ces discours moralisateurs parlant d’efforts, de courage, de mérite ou encore de responsabilité.. Qu’ils me soient appliqués individuellement dans mon travail, ou qu’ils concernent plus généralement la sévère dérégulation (accélérée) en cours sous nos yeux un peu partout, d’ailleurs.

Car ici aussi il faut “réduire les coûts”.

Mon agence a perdu deux postes de conseillers en seulement quelques années. Dans les grandes agglomérations, les agences ont été fusionnées deux par deux. Celà permet d’économiser sur les doublons ; notamment de ne payer qu’un seul directeur plutôt que deux.

Le “survivant”, sera secondé sur le terrain par un collaborateur non cadre, chargé en clair de faire tourner la boutique quand le directeur est absent. Pratique le collaborateur, il assure et, même légèrement promu, coûte deux fois moins à l’entreprise.

De très nombreux départs ne sont pas remplacés. Des services externalisés. Ce qui altère mécaniquement, soit la qualité du service, soit le bien-être des collaborateurs.

Sur la partie non bancaire, le guichet public a été refait 3 fois sur les dernières années. De 5 positions de travail, il est passé à 4, puis 2, puis 1. En tout juste 6 ans ! Chapeau.

J’appelerais celà l’allégorie de la grenouille pour ceux qui connaissent. Ce guichet dorénavant unique est de plus en plus intermittent. Régulièrement fermé une voire deux heures avant l’heure officielle. Nous disons “panne informatique” là ou il faudrait dire : pas de personnel. Ou plus exactement: pas de volontaires pour assumer, à ses frais, les conséquences d’une réorganisation dont il sort individuellement plus perdant que bénéficiaire. Un guichetier non bancaire est embauché au Smic.

Certains clients mécontents nous traitent alors de nantis, feignants, etc  Comique, alors que leur inconfort a pour cause une vision rationnelle des coûts.

Toujours sur le non bancaire, le samedi est devenu le jour de l’étudiant. Ils sont de plus en plus à venir en extra, faire le travail. Ils sont aux côtés de stagiaires et intérimaires, eux aussi en expansion. Parfois 3 ou plus simultanément ! Pratique, la boutique tourne avec des stagiaires qui coûtent entre 400 et 500 euros par mois. Les intérimaires eux sont renouvelables au mois.

Ah, le coût du travail…

Symboliquement, et très visuellement, la vente y est devenue l’essentiel de l’activité, au détriment du service d’intérêt général. Ces derniers temps je constate que ma propre rémunération variable semble se corréler inversement à la pression subie.

L’endroit où se créée facilement le précédent, la brèche, qui sera ensuite généralisée à toutes les catégories (cf les retraites).

Non, pas de quatorzième mois. Le treizième? J’aurais bien aimé.. 200€ d’intéressement et puis s’en va…

Ma banque ne fonctionne pas différement du modèle que la finance généralise dans toute la société. Dérégulation pour tout horizon. Course à la performance individuelle, soi-disant synonyme
d’enrichissement futur. Cet enrichissement ne concerne en réalité que le dernier décile.

Nous autres ne sommes qu’un indispensable marchepied. Joli jeu de dupes.

Tout ceci est subtilement mené, mettant progressivement la population devant le fait accompli.

Plus problématique: l’énorme majorité n’y voit encore que du feu, continuant de s’en prendre plutôt à son voisin.

Signé : un lecteur du blog…

 

P.S. : vous aussi, n’hésitez pas à me contacter si vous avez envie de témoigner avec un regard “d’insider”.

 

 

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Tag(s) : #Economie
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