Blog d'Olivier Berruyer
En Ukraine, l’Union européenne applique des principes opposés à ceux qu’elle promeut ailleurs
Si l’on examine les motifs du contentieux entre l’Union européenne et la Russie au sujet de l’Ukraine, on voit que sur la plupart des points la position de l’Union est en contradiction avec les principes qu’elle promeut ailleurs.
C’est à l’évidence le cas du soutien à la révolution dite de la place Maïdan qui a renversé le 22 février dernier le président Viktor Ianoukovitch et permis l’élection le 25 mai (avec 40 % d’abstentions) de son successeur Petro Porochenko. Le renversement par la rue d’un président légitimement élu comme Ianoukovitch, pour impopulaire qu’il ait été, est totalement contraire aux valeurs que l’Union européenne prétend défendre.
Que dirait-on à Bruxelles si le président Hollande, très impopulaire aussi, comme on sait, devait se retirer de la même manière ? Ajoutons que le mouvement de Maïdan a une composante néo-nazie qui n’est pas précisément sympathique. D’aucuns invoquent la corruption de Ianoukovitch, mais les gouvernements pro-occidentaux qui avaient suivi les révolutions “oranges” de 2004, en Géorgie comme en Ukraine, l’étaient-ils moins ?
Le respect des minorités linguistiques est inscrit dans différents documents publics de l’Union européenne, notamment la Charte des langues régionales. Quand le Parlement ukrainien retire tout statut officiel à la langue russe en Ukraine, au bénéfice de l’ukrainien qui en est très proche mais qui demeure une autre langue, et cela alors même que le russe est parlé par presque toute la population et qu’il est la langue unique du tiers oriental du pays, comment ne pas y voir une provocation ?
Mais elle ne gêne nullement l’Union européenne dès lors que la victime est la minorité russophone de l’Ukraine.
Le fédéralisme et la décentralisation sont au cœur de la doctrine européenne, non seulement quand il s’agit d’elle-même, mais aussi au sein des États membres, sur le modèle allemand, dit-on (1). Le Comité des régions d’Europe a un statut officiel depuis le traité de Maastricht (1992). Le projet français de “grandes régions”, susceptibles de recevoir le maximum des attributions de l’État central est issu, en partie, des courants de pensée dominants à Bruxelles. Les bons élève de l’Europe, comme l’Espagne, ont poussé à fond la logique de la décentralisation. Rien ne laisse supposer à ce jour, que la Russie veuille annexer l’Ukraine.
Aussi un grand pas en avant serait-il fait dans la solution du conflit, si Kiev acceptait un statut fédéral pour ses provinces russophones, y laissant au russe le statut de langue officielle. Bien que cette revendication aille pleinement dans le sens des idées de l’Union européenne, Bruxelles, à l’évidence, ne pousse nullement son partenaire ukrainien dans ce sens.
On peut certes considérer l’annexion de la Crimée par la Russie comme une violation du droit international. Dommage que l’Union européenne ait montré l’exemple en ratifiant l’indépendance du Kosovo, décidée par les États-Unis en 2009, violation tout aussi flagrante de ce même droit et d’autant plus grave qu’elle créait, elle, un précédent.
D’une façon plus générale, le morcellement étatique ne semble pas gêner les instances bruxelloises qui savent bien que plus les États membres seront nombreux et faibles, plus elle a des chances de régner. Elle a joué le rôle que l’on sait, à l’instigation de l’Allemagne, dans l’éclatement sanglant de la Yougoslavie, elle n’a pas objecté à celui de la Tchécoslovaquie. Elle n’a pas fait obstacle non plus, que nous sachions, à l’aspiration de l’Écosse à indépendance.
Même si on peut contester sa valeur juridique, personne ne doute que le résultat du référendum par lequel la Crimée a demandé son rattachement à la Russie ait reflété la volonté de l’immense majorité des habitants de la péninsule. Pourquoi dès lors refuser à la Crimée ce qu’on a accordé à la Slovaquie et au Monténégro ?
Certes, dans le cas de la Crimée l’aboutissement est le rattachement à la Russie, pas l’indépendance. Mais au regard du principe fondamental d’autodétermination des peuples, l’effet est le même. Quant au sort des minorités, gageons qu’il vaut mieux aujourd’hui être Tatar en Crimée que Serbe au Kosovo !
On pourrait élargir le sujet et dire que tant dans le cas du Kosovo que de l’Ukraine, Bruxelles semble avoir une forte complaisance pour les États ouvertement mafieux! Ou encore évoquer le rôle des néo-nazis dans le gouvernement de Kiev. Mais cela est une autre histoire.
En tous les cas, il est clair que pour l’Union européenne, l’État unitaire et l’intégrité territoriales ne sont sacrés nulle part, sauf en Ukraine.
Roland HUREAUX, sur son blog
NOTES :
(1) La diplomatie d’État, d’un côté, la diplomatie du parti de l’autre, l’une traitant avec les gouvernements, l’autre avec les partis frères et avec les masses, sans compter la diplomatie des services secrets.
(2) Sans doute l’UE n’a-t-elle pas l’équivalent des partis communistes, mais, de pair avec les États-Unis, elle dispose de nombreuses ONG à prétention démocratique qui s’agitent en Europe de l’Est.
(3) Sous réserve d’une grande prudence à l’égard des énormes masses humaines que représentent la Chine et l’Inde.
(4) L’exaspération n’est pas moindre aujourd’hui en Russie. Sans chercher quel côté a commencé, on notera qu’à l’Ouest, dirigeants et médias sont les plus excités, le peuples beaucoup moins, alors qu’en Russie, il semble que les dirigeants, Poutine en particulier, jouent plutôt un rôle modérateur face à un peuple exaspéré.
(6) Entretien – Bild 16 mai 2014.
(7) Il est vrai moins désintéressé que Schmidt en raison de ses intérêts dans Gazprom.
(8) Zbigniew Brzeziński, Le grand échiquier, 1997.
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