
Question : Monsieur le président, tout d’abord nous tenons à vous remercier pour cette interview, de la part de RT, Rossiïskaya Gazeta,Pervy Kanal, Rossiya 24, RIA Novosti et NTV. Merci beaucoup de nous l’avoir accordée dans ce moment critique de la crise syrienne, au moment où il y a beaucoup de questions à aborder, portant sur la possible issue du processus politique de pacification, sur l’état actuel de la lutte contre Daesh et sur le statut du partenariat russo-syrien, tout comme sur l’exode massif des Syriens vers l’Europe, qui fait la une des médias européens.
Nous entrons en ce moment dans la cinquième année de la crise syrienne. Vous avez démenti toutes les prédictions des leaders occidentaux considérant votre départ comme imminent, et exercez toujours la fonction de président de la République arabe syrienne. Récemment il y a eu beaucoup de spéculations liées aux rapports indiquant que les représentants de votre gouvernement avaient rencontré des représentants de votre adversaire, l’Arabie Saoudite, d’où la supposition que le processus politique en Syrie avait franchi une nouvelle étape. Cependant, les déclarations de l’Arabie Saoudite, qui continue à insister sur votre départ, montreraient qu’au final il n’y a eu que très peu de changements, malgré l’existence d’une menace très importante de la part de groupes comme Daesh, bien au-delà des frontières syriennes.
Quelle est alors votre position concernant ce processus politique ? Que ressentez-vous à l’idée de partager le pouvoir et de travailler en commun avec ces groupes d’opposition, qui continuent de déclarer qu’il ne peut y avoir de solution politique en Syrie sans votre départ immédiat ? Vous ont-ils montré qu’ils étaient prêt à collaborer avec votre gouvernement et vous-même ? En plus de cela, dès le début de la crise syrienne, plusieurs de ces groupes exigeaient des réformes et un changement politique. Mais ce changement est-il réalisable aujourd’hui, dans les conditions actuelles, où la guerre continue et la terreur se propage en Syrie ?
Bachar el-Assad : Permettez-moi d’abord de diviser cette question. C’est une question multiple sous forme d’une seule question. Tout d’abord, à propos du processus politique. Dès que la crise a commencé, nous avons adopté une approche de dialogue. Il y a eu beaucoup de tours de ce dialogue entre les Syriens en Syrie, à Moscou, à Genève. En fait, le seul résultat vraiment tangible, était le Moscou 2 – pas le Genève, pas le Moscou 1 – et en réalité il s’agit d’un résultat partiel, incomplet, ce qui est naturel vu l’ampleur de la crise. C’est impossible d’arriver à une solution en quelques heures ou en quelques jours. C’est un pas en avant, et nous attendons le Moscou 3. Je pense que nous devons poursuivre le dialogue entre les différentes entités syriennes, entre les entités et les courants politiques, tout en combattant le terrorisme afin de trouver un accord sur l’avenir de la Syrie. C’est ce qu’on doit continuer à faire.
Si j’avance vers la dernière partie de la question – car elle est liée à celle à laquelle je suis en train de répondre – s’il est possible de réussir à atteindre quelque chose vu la prévalence du terrorisme en Syrie et en Irak et dans la région en général. Comme je l’ai dit, nous devons poursuivre le dialogue afin d’arriver à un accord, mais si on veut mettre en place quelque chose de réaliste, il est impossible de faire quoi que ce soit quand des gens sont tués, quand le sang coule sans cesse et tant que les gens ne se sentent pas en sécurité. Admettons que nous allons nous mettre ensemble – les partis ou les entités politiques – et que nous atteindrons des accords dans les domaines politique, économique, de l’éducation, de la santé, dans tous les domaines.
Comment pourrons-nous les appliquer si la priorité de chaque citoyen syrien reste sa propre sécurité ? Nous pouvons donc parvenir à un accord, mais il n’est pas possible de l’appliquer tant que le terrorisme n’est pas vaincu en Syrie. Il faut vaincre le terrorisme et pas seulement Daesh. Je parle du terrorisme, car il y a beaucoup d’organisations, surtout l’Etat Islamique et al-Nosra, qui ont été déclarées terroristes par le Conseil de sécurité. Voilà ma réponse concernant le processus politique.
Quant au partage du pouvoir, nous le partageons déjà avec une partie de l’opposition qui a été d’accord pour le partager avec nous. Il y a quelques années, ils ont rejoint le gouvernement. Bien que le partage du pouvoir soit une question qui relève de la constitution, qui est liée aux élections, surtout aux élections parlementaires, et bien évidemment à la façon dont ces entités représentent le peuple syrien – mais vu la crise, nous avons décidé de faire un pas vers eux, peu importe son efficacité.
A propos de la crise des réfugiés, je voudrais dire quelques mots concernant les accusations de la propagande occidentale, qui essaye de montrer que ces réfugiés échappent au gouvernement syrien que les occidentaux traitent de «régime» bien évidemment. Dans les faits, l’Occident pleure d’un œil sur le sort de ces réfugiés et les vise avec une mitrailleuse d’un autre œil, car ces gens ont quitté la Syrie à cause du terrorisme, surtout à cause des terroristes et des meurtres, mais aussi à cause des conséquences du terrorisme.
Quand vous faites face au terrorisme, vous voyez vos infrastructures être détruites, et vous ne parvenez plus à subvenir à vos besoins. Du coup beaucoup de gens partent, à cause du terrorisme, et parce qu’ils veulent gagner leur vie quelque part dans ce monde. Alors, l’Occident s’apitoie sur eux, ce même Occident qui soutient les terroristes depuis le début de la crise, quand il a dit que c’était un soulèvement pacifique, quand il a dit après que c’était une opposition modérée. Et maintenant, quand ils disent que s’il y a des organisations terroristes, telles que Daesh ou al-Nosra, c’est à cause de l’Etat syrien, du régime syrien ou du président syrien. Alors, tant qu’ils resteront dans cette optique propagandiste, ils auront de nouveaux réfugiés. Le souci n’est donc pas dans le fait que l’Europe ne les a pas acceptés ou gardés, le souci c’est qu’elle ne veut pas s’occuper des causes du problème.
Si leur destin vous préoccupe, arrêtez de soutenir les terroristes. C’est notre point de vue concernant cette crise. C’est au cœur de toute cette question des réfugiés.